Avant que le sommeil nous emporte, Vallès nous avait raconté, à demi amusé, l’ambiance qui régnait pendant les interminables séances de la Commune. On y légiférait à marche forcée sur les loyers, les salaires, les subsistances, la monnaie, l’interdiction du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, la gratuité des musées, puis soudain arrivait une proposition dont il fallait discuter sans tarder sous peine de voir l’assemblée se diviser irrémédiablement. La dernière en date émanait du peintre Gustave Courbet qui avait exigé qu’un décret décide de la suppression de Dieu ! Ni plus ni moins… Avant de se tourner vers le mur pour s’assoupir, Vallès avait terminé par ces mots :
- J’ai voté contre en expliquant que Dieu ne me gêne pas. Il n’y a que Jésus-Christ que je ne peux pas souffrir, comme toutes les réputations surfaites.
Pages 74-75
Le banquet des affamés Didier Daeninckx
Gustave Courbet naît à Ornans, près de Besançon, en Franche-Comté, de parents agriculteurs. Seul garçon d'une fratrie de cinq enfants, il fut très certainement adulé par les cinq femmes de sa vie, ses quatre sœurs et sa mère. Très beau jeune homme, ambitieux, pétri d'un orgueil dont il fut souvent moqué (il déclare d'ailleurs au publiciste Francis Wey : « Je peins comme un Dieu ».), il manifeste son goût narcissique dans ses premières œuvres, des autoportraits. On connaît une centaine de portraits du peintre par lui-même. Et puis, quoi de mieux pour se faire connaître que de se représenter soi-même, surtout avec un tel talent !
(Musée d'Orsay)
Admirez ce beau visage romantique, ces magnifiques cheveux bouclés, ce regard hautain, ces yeux langoureux aux lourdes paupières et surtout ces longues mains fines et graciles.
Nous sommes en Janvier 1871, le Second Empire de Napoléon III est démis suite à la défaite d'une guerre éclair contre les Prussiens. La France signe un armistice qui la proclame vaincue et la place sous l'autorité du chancelier Bismarck. Pour les parisiens, cette signature met fin à l'état de siège qui a rationné et affamé la capitale pendant quatre mois.
Mais la ville a résisté et n'accepte pas la défaite, ni le gouvernement français dirigé par Adolphe Thiers qui s'installe à Versailles. Les classes populaires, les travailleurs et les ouvriers qui sont alors majoritaires à Paris s'organisent et se soulèvent le 18 Mars, déclarent la Commune de Paris indépendante et élisent leurs propres représentants le 26 Mars. Ce gouvernement se divise en plusieurs commissions qui organisent la vie publique : la sûreté, la guerre, les finances, la justice et le travail. L'enseignement n'est pas oublié et l'on retrouve l'auteur Jules Vallès, le chansonnier Jean-Baptiste Clément et le peintre Gustave Courbet dans les membres décideurs de la commission dédiée à l'éducation.
Pendant deux mois, la ville de Paris s'organise et vit de manière autogérée et pacifiste. Cependant, la répression menace les communards. Les différentes fédérations se préparent à riposter à une éventuelle attaque du gouvernement Versaillais. Gustave Courbet décide de faire blinder les fenêtres du Louvre pour en protéger les œuvres d'art ainsi que la Fontaine des Innocents et l'Arc de Triomphe. Un autre monument impérial néanmoins ne s'attire pas les faveurs du président de la Fédération des artistes, c'est la Colonne Vendôme. Courbet estime en effet que pour faire “table rase” du passé napoléonien, il convient de déplacer ce monument symbole de guerre et d'impérialisme aux Invalides, auprès des souvenirs d'une autre époque. La commission accepte la proposition et va plus loin, la colonne sera détruite ! Elle est donc abattue le 16 mai 1871, sous les applaudissements de la foule parisienne.
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