Je sens que le PAX va me dire « mais où va-t-il cherchez tout ça ?
En l’occurrence ici dans la lecture du livre de Jean-Marc Dreyfus Vollrath d’Hitler à Adenauer 1 ambassadeur entre deux mondes
« Demi-juifs, ou « Mischling », en allemand : tel est le terme forgé en 1935 par les nazis, dans leur folie de classification des races, pour désigner les individus descendant d'un ou deux grands-parents juifs. Issu de la très ancienne aristocratie terrienne du Mecklembourg par son père et de la bourgeoisie juive par sa mère, Vollrath von Maltzan est assigné à cette catégorie. S'attachant à retrouver les traces de ce personnage aujourd'hui oublié, qui fut un brillant diplomate à travers trois régimes politiques, Jean-Marc Dreyfus éclaire à travers son parcours ce que put être, dans la tourmente du IIIe Reich, le sort de ces « sang-mêlés ».
Il relate également celui du reste de sa famille, qui connut l'enfer de la persécution, de la déportation et de l'exil pour la branche juive, et s'accommoda du nazisme pour la branche protestante. Au plus près des archives et des témoignages de survivants, ce récit est aussi celui de la reconstruction d'après-guerre, quand Vollrath obtient le poste prestigieux de premier ambassadeur de la RFA à Paris.
Le pays cherche alors, en mettant au premier plan un homme qui fut menacé par le nazisme, à faire oublier la présence, au sein même du ministère des Affaires étrangères, de hauts fonctionnaires qui, quelques années auparavant, ont été complices du génocide...
Vollrath von Maltzan a résidé à Odratzheim, petit village d’Alsace typique qui ne compta jamais plus de 600 habitants, dans un château : « une bâtisse d’un étage, augmenté de combles, avec quatre grandes fenêtres de chaque côté de la porte, de style Régence, Auguste-Pierre Giraudon, commissaire royal à la guerre, l’avait fait construire au début du XVIIIe siècle. La propriété est protégée par un grand portail en fer forgé, d’où part une allée droite jusqu’au bâtiment. »
« C’est à Odratzheim qu’ont grandi Vollrath et sa fratrie à partir de 1902. »
Le propriétaire actuel est allemand.
« En 1902, lorsque les Maltzan s’installèrent à Odratzheim, Strasbourg était la capitale d’un Reichland d’Alsace-Lorraine florissant et en pleine expansion économique. Les mouvements protestataires qui refusaient la germanisation des trois départements français s’y faisaient plus discrets. L’annexion était pour la jeune génération une chose acquise, même si les partis politiques, très actifs, se divisaient entre factions plus ou moins francophiles et assimilationnistes. »
« La ville s’était considérablement développée avec l’afflux d’Allemands qui composaient désormais 40% de la population de la capitale. Le Reich construisit des bâtiments administratifs autour d’une vaste place circulaire bordée par le Palais impérial, créant une nouvelle cité, allemande par son esprit et son lexique architectural : la Ville Nouvelle, Neustadt. L’Université Empereur Guillaume était un fleuron allemand depuis 1872, avec ses recherches en anthropologie et sa chaire de psychiatrie, les sciences naturelles et même l’égyptologie. »
« Le français n’était plus parlé en 1902 que par une frange de la bourgeoisie, mais un sentiment francophile se maintenait, surtout dans les campagnes… »
« Vollrath von Maltzan était élève au grand lycée protestant, le Gymnase Jean Sturm. »
« Le Gymnase est aujourd’hui encore l’héritier de la Haute école libre de Strasbourg, fondée en 1538. L’institution était directement issue de la Réforme, et voulait former non seulement des clercs mais aussi des laïcs. Il instruisit, en s’adaptant, des générations de jeunes gens de la bourgeoisie locale, et fut à l’origine de la création de l’Université. »
Le Gymnasium ICI
Eve-Marie Grosset-Bourbange a reçu le 12 juillet 2018 le titre de lauréate en philosophie au Concours général, série Littéraire. Elle a reçu très précisément le deuxième prix national, ce qui fait d’elle en quelque sorte la vice-championne de France de la discipline.
Le Gymnase Jean Sturm félicite très chaleureusement Eve-Marie pour ce résultat éclatant, qui illustre la qualité de l’enseignement prodigué en Terminale L au Gymnase Jean Sturm.
Le Gymnase Jean Sturm de Strasbourg, établissement d’enseignement primaire et secondaire privé, aujourd’hui sous contrat avec l’État, se prête particulièrement bien à ce type d’enquête, d’abord à cause de sa très grande longévité. Fondée en 1538, au moment où la Réforme structurait ses institutions dans la ville passée au protestantisme, cette école confessionnelle luthérienne, élitiste par la réussite de ses élèves plus encore que par son recrutement social, peut s’enorgueillir d’un passé lointain et prestigieux. Elle porte le nom de Jean Sturm, son premier recteur. D’origine rhénane, mais passé par Paris, celui-ci la dota d’une organisation des études fondée sur une doctrine humaniste, qui fut un modèle pour l’enseignement secondaire au XVIe siècle, avant l’essor des collèges jésuites.
III. Le gymnase au temps du Reichsland (1888) ICI
Cet idéal avait été mis à rude épreuve, lorsqu’en 1888 eurent lieu les célébrations du 350e anniversaire, alors que l’Alsace était devenue un Reichsland. On sait peu de choses sur les festivités. L’imposant volume de Festschrift en deux tomes qui parut à cette occasion est un travail d’érudition, qui ne fait que des allusions marginales à l’actualité.
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Sous l’annexion. Auguste Schneegans en fit une critique vive dans un ouvrage paru en 1878. Selon lui, le Gymnase avait été avant 1870 « une oasis au milieu des établissements officiels », une école qui prônait la « méthode allemande » et qui, en prenant le « contrepied de la méthode officielle et jésuitique » avait fourni les preuves de sa supériorité ». Le Regulativ de 1873, qui fixait les nouveaux programmes, aurait par contre imposé le retour à l’ancienne méthode des jésuites, qui faisait de l’enseignement « un dressage », et remplaçait « l’éducation des humanités » par « une science de perroquet […] aussi inutile qu’indigeste », visant à faire de l’enfant « une recrue ».
Les souvenirs pleins d’ironie de Robert Redslob montrent le corps des professeurs et celui des élèves nettement divisés en « Alsaciens » et « Allemands immigrés », qui réduisaient leurs relations réciproques au minimum. À l’en croire, il vécut une jeunesse partagée entre deux mondes sans communication, celui de l’école et celui de la maison. Alors que généralement, depuis le temps de Jean Sturm, on insistait sur le fait qu’instruction et éducation devaient aller de pair au Gymnase, il s’écrie: « À l’école, nous faisions un apprentissage, c’était tout. Instruction, mais non pas éducation. Nous étions élevés, non par nos maîtres, mais par nos parents. Nous grandissions à un foyer qui était une enclave spirituelle de la France »
Il se pourrait que ce témoignage ne soit pas totalement représentatif. Le régime prussien s’était en effet assoupli, et une partie des élites strasbourgeoises avait alors accepté le compromis avec les Allemands. Robert Ernst, fils de pasteur libéral et ancien élève du Gymnase, devait aller plus loin, en adhérant au nationalisme pangermanique. Il devait s’engager volontaire à 17 ans en août 1914, puis vivre à Berlin, avant de se mettre au service du régime nazi, qui en fit un temps l’Oberbürgermeister de Strasbourg. Dans ses mémoires, rédigés dans une prison française en 1951, il confirme néanmoins l’attachement de la bourgeoisie protestante strasbourgeoise à la France, à sa langue et à ses mœurs, encore que, selon lui, l’esprit de résistance et le culte de la patrie perdue, caractéristiques d’une étroite classe sociale, se fussent atténuées à partir des années 1900.
En 1888, il devait en tout cas être difficile d’envisager, par exemple, une participation massive des anciens élèves, organisés en association, alors que beaucoup avaient quitté la région en « optant » pour la France, et que, parmi ceux qui vivaient encore sur place, le traumatisme de 1871 n’avait pas été surmonté. La reconstruction rapide du Gymnase après l’incendie de 1860 avait été possible grâce à la souscription de nombreux donateurs, surtout locaux, qui, en retour, avaient exigé une place plus grande dans la gestion de l’établissement, aux dépens des autorités de l’Église luthérienne. Ils avaient affirmé notamment l’autonomie de l’établissement par rapport à l’administration publique de l’enseignement, en même temps que son caractère laïque, qui devait éviter de le concevoir comme un séminaire protestant.
L’ouvrage d’Auguste Schneegans qui avait rendu compte des fêtes d’inauguration, avait présenté l’école de Sturm comme « le bien de tous les protestants, de l’ancienne bourgeoisie ou plutôt de l’ancienne population protestante de Strasbourg, de l’Alsace, de la France entière ». Il avait proposé une implication plus large des anciens élèves et de la communauté protestante, regroupés en association, dans la vie de l’établissement, pour « former un corps compact », « qui aurait voix au chapitre non pas aux heures de crise seulement, mais encore et surtout aux heures de prospérité et de réorganisation ».
Cette vision du Gymnase était complètement dépassée en 1888. Le directeur Charles-Frédéric Schneegans, qui avait voué toute sa vie à l’école strasbourgeoise, appartenait à la tendance libérale et laïque du protestantisme, qui s’était imposée lors de la reconstruction. Pendant le terrible siège de la ville en 1870, il avait dû payer de sa personne pour empêcher la destruction des nouveaux bâtiments, lorsque des bombes s’abattirent sur sa toiture pendant les violents bombardements allemands.
Lors de l’installation de l’administration allemande, il avait tenté coûte que coûte, en s’appuyant sur une partie des enseignants et sur les parents d’élèves, de sauver l’autonomie de son établissement et le caractère original de son programme de formation. Préserver un enseignement de valeur du français devait en particulier permettre aux élèves de se présenter au baccalauréat français. En 1872, le comité de l’Association des anciens élèves et amis avait d’ailleurs adressé une lettre au directeur, dans laquelle il demandait de ne pas accepter l’ingérence de l’État dans la direction de l’établissement, de veiller à conserver son caractère « libre et international », d’empêcher la diminution, voire la disparition des « cours de langue française ».
Ces appels ne furent pas entendus par la nouvelle administration, et, au moment des festivités de 1888, l’école avait en fait été mise au pas.
À partir de 1873, la désignation d’un Konrektor allemand à côté de C. F. Schneegans réduisait l’autorité de celui-ci, et fut le point de départ d’une normalisation.
En 1883, il ne restait plus que 9 Alsaciens sur un total de 34 enseignants : tous les autres étaient immigrés du Reich. Il faut dire que ces derniers se caractérisaient par leur professionnalisme, alors que les autochtones étaient jugés de formation inférieure, et voués aux petites classes. En contrepartie, la plupart des professeurs allemands ne faisaient que des passages brefs au Gymnase, avant de poursuivre leur carrière ailleurs. Le volume de Festschrift témoignait de ce nouvel état de fait dans le corps enseignant. Si l’histoire de la Haute École protestante, exclusivement dans sa période allemande, y faisait l’objet de nombreuses contributions, dans un esprit positiviste peu polémique, l’ouvrage accordait aussi de la place à des articles qui illustraient la science allemande, sans aucun lien direct avec Strasbourg et sa région.