Rassurez-vous, il ne s’agit pas du Jacques à la pipe et au solex qui fut un jour censuré ICI
Il s’agit tout bêtement de nippes.
Longtemps le matin, au temps où je nichais dans les bois, j’empruntais la ligne 2 du métro pour me rendre à la station Victor Hugo. Cette ligne, qui part de Nation pour se terminer à la Porte Dauphine, est encore emblématique des groupes sociaux qui habitent Paris, oui il reste du populo du côté de Stalingrad, Barbès, Pigalle, Blanche, et à partir de Montceau on file vers les quartiers huppés.
La ligne est aérienne, près de deux kilomètres en viaduc, soit environ 20 % de sa longueur. Quatre stations sont aériennes, dont celle de Barbès-Rochechouart qui surplombait le navire-amiral du magasin TATI.
Vous me connaissez, j’aime les fripes alors j’y suis allé fouiner, c’était à la fin des années 90.
Mais voilà, Tati, c’est vraiment fini ICI
L’immeuble historique de l’enseigne, situé dans le quartier de Barbès, dans le 18e arrondissement de Paris, est en vente. La municipalité veut y installer des logements sociaux et des commerces.
Juliette Garnier nous résume La fin d’une saga
La fermeture du Tati Barbès signe la fin d’une saga qui a débutée en 1948. Un entrepreneur d’origine tunisienne, Jules Ouaki, ouvre un petit magasin de blanc, c’est-à-dire une boutique de linge de maison, rue Belhomme dans le même arrondissement. Son nom est celui de l’anagramme de Tita, surnom de sa grand-mère Esther.
L’ancien sous-marinier de la France libre vend des lots ; il rachète au comptant des invendus, puis se fournit dans le quartier du Sentier, pour proposer des vêtements bon marché. L’entrepreneur a grandi dans le quartier de la Goulette à Tunis. A Barbès, il reprend la formule de vente au déballage, comme dans un souk. Les vêtements sont présentés en vrac dans des « cuvettes », sortes de bacs où les clients affluent pour trouver la bonne affaire. La formule du « Tati, les plus bas prix » séduit.
Jules Ouaki et son cabas imprimé en Vichy rose, inventé en 1962. Scoop, Gérard Géry, Paris-Match.
M. Ouaki impose son logo au vichy rose d’abord au 4, boulevard Rochechouart, puis sur les magasins voisins, toujours du côté pair. Exigeant, celui qui disait avoir pour devise « Deux yeux pour acheter et un pour vendre » est réputé pour « étrangler ses fournisseurs », rapporte un ancien de ses cadres.
Photo Pierre Boussel, AFP.
Puis Tati s’expatrie place de la République, en 1975, et, rive gauche, rue de Rennes, au rez-de-chaussée de l’immeuble Félix Potin. Dans ce quartier proche de Montparnasse, l’enseigne rencontre un grand succès. Simone Veil y achète « ses cadeaux de Noël », assure Pierre Génichon, un ancien de la maison. Les étudiantes du Quartier latin s’y fournissent en collants mousse à 2 francs. « Il fallait employer des femmes de ménage pour ramasser les sacs Tati dont les bourgeoises se débarrassaient dans la rue », rapporte-t-il.
Tati Barbès demeure cependant le magasin le plus fréquenté. « En 1975, on y vendait 1,5 million de blouses d’écoliers », selon M. Génichon.
A la fin des années 1970, après avoir racheté « les hôtels de passe voisins », rapporte un autre cadre, l’entreprise exploite près de 100 mètres du boulevard Rochechouart. La famille Ouaki met la main aussi sur Le Louxor, un cinéma qu’il veut transformer en magasin.
La folie des grandeurs, les pertes se creusent
Tati devient ainsi le cœur du carrefour Barbès-Rochechouart. C’est aussi un écosystème. M. Ouaki soigne « ses employés », à en croire les anciens. Rue Belhomme, à l’arrière du magasin de Barbès, une cantine sert à déjeuner à tous les salariés et « une tarte et une boisson », à l’heure de la pause. Des colonies de vacances gratuites sont proposées à leurs enfants, « dans le Cantal ou les Pyrénées », rapporte M. Génichon.
Mais, Tati, c’était aussi la « misère sociale », juge aujourd’hui Karl Ghazi, représentant de la CGT commerce de Paris, qui rappelle les conditions de travail « horribles », la « vétusté » des locaux, les salaires « très bas » et le clientélisme envers ses employés non syndiqués ou proches de la direction. Malgré tout, sur Facebook, les 476 membres des « anciens de Tati » échangent souvenirs, photos et vidéos pour évoquer « ce foutoir joyeux ».
En 1982, Jules Ouaki décède des suites d’un cancer. Il n’a pas préparé sa succession. L’un de ses fils, Gregory, reprend les rênes. Il meurt un an plus tard, d’un accident. Les frères de Jules Ouaki reprennent le flambeau. Puis se déchirent. Sa veuve assure la relève.
Le 17 septembre 1986 se produit l’attentat de la rue de Rennes qui fait sept morts. La fréquentation des magasins Tati dévisse, même si dans la France des années 1980, l’enseigne discount continue de faire parler d’elle. C’est rue de Rennes, que l’équipe de Madonna achètera les culottes que la star américaine jettera à la foule lors de son concert au parc de Seaux, le 29 août 1987. Quant au point de vente de Barbès, il reste le meilleur de ses magasins : en 1987, il attire 35 millions de visiteurs dans l’année. C’est alors quatre à cinq fois plus que le Musée du Louvre.
En 1991, à 33 ans, Fabien Ouaki, l’un des cinq enfants du fondateur prend la suite de sa mère. Et, très vite, celui qui aime chanter du rock et élever des chevaux de courses prétend « faire passer Tati du cheap au chic ». Tati ouvre une enseigne d’optique, une agence de voyages, une bijouterie sous le nom de Tati Or, en 1994, rue de la Paix. L’enseigne s’installe aussi en province, à Marseille, en 1997 et à l’étranger (Suisse, Turquie, Liban) et exporte ses robes de mariée à New York, en 1998.
Folie des grandeurs. Les pertes se creusent.
L’enseigne se déploie encore en province, à marche forcée mais, en avril 2017, le groupe Eram jette l’éponge
En 1999, l’entrepreneur obtient une indemnité d’éviction de la compagnie d’assurances AGF, son bailleur, pour quitter son emplacement de la rue de Rennes et laisser la place à Zara. Mais c’est insuffisant pour remettre sur pied Tati. En 2001, les pertes atteignent 6 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 150 millions d’euros. Cinq de ses trente magasins sont fermés. En 2003, Tati dépose le bilan. Presque un an plus tard, l’enseigne est reprise par Vetura, une filiale du groupe familial Eram. La famille Ouaki sort des affaires.
L’enseigne se déploie encore en province, à marche forcée mais, en avril 2017, le groupe Eram jette l’éponge. Au terme de mois de négociations, Tati tombe dans l’escarcelle du groupe GiFi. Son fondateur, Philippe Ginestet, a l’appui des salariés. Pour l’emporter, il promet de ne pas procéder à des licenciements pendant deux ans et surtout de continuer à exploiter le magasin de Barbès auquel les salariés et les élus du personnel se disent tant attachés. Il n’en sera rien. Les travaux de rénovation n’ont pas été entrepris, souligne une élue syndicale.
Le roi du discount est déchu, dépassé, concurrencé aussi par Internet et « Wish », cette application qui vend des articles à bas prix, juge le gérant d’une boutique voisine. Et, à en croire un ancien cadre, le génie des Ouaki n’anime plus l’immeuble. « On entre par une petite porte et on ressort par la grande, celle de l’angle. C’est exactement l’inverse de ce qu’il faut faire. »
Tati vit des dernières heures chaotiques. Le magasin situé à Paris dans le quartier de Barbès (18e arrondissement), ultime point de vente à porter son enseigne, devait initialement fermer ses portes courant janvier. Le groupe GPG (GiFi), qui détient l’entreprise depuis 2017, a annoncé, le 7 juillet 2020, le transfert de dix-huit de ses magasins sous son enseigne de déstockage KLO et la fermeture définitive du magasin historique situé à l’angle des boulevards Barbès et Rochechouart.
Depuis, alors que la crise du Covid-19 ravage le commerce parisien, le groupe fondé par Philippe Ginestet, créateur de GiFi, a discrètement mené des négociations avec les trente-quatre salariés du magasin pour assurer leur reclassement, leur départ à la retraite ou leur licenciement. Ses représentants ont aussi rencontré les élus du 18e arrondissement pour évoquer le sort des employés et celui de l’immeuble haussmannien qui demeure en copropriété entre la famille héritière du fondateur Jules Ouaki et le groupe GPG.
Tous deux ont convenu d’un bail précaire, à titre gratuit, le temps de vendre les 6500 mètres carrés. Ils ont donné un mandat au spécialiste de la transaction immobilière BNP Paribas Realestate, début 2021, pour boucler la cession « au cours du deuxième trimestre de 2021 », selon une source proche de la famille Ouaki, qui refuse de dévoiler le montant attendu.
Mais la municipalité parisienne vient de s’inviter dans le dossier.
Ça c’est une autre histoire qui ne m’intéresse pas.
Fabien Ouaki et Tati. Une affaire de famille
Fabien Ouaki a dirigé le groupe sans la ferveur de son père.
par Nathalie BENSAHEL et Frédéric PONS
publié le 30 août 2003
Encore tout récemment, il disait qu'il rêvait de contrôler une centaine de magasins à l'enseigne rose Vichy, multipliant par quatre le nombre de ses commerces. Et envisageait d'ouvrir un restaurant boulevard Rochechouart, à Paris, dans les coursives de la maison de Barbès. Il caressait également l'idée d'ouvrir boutique sur les Grands Boulevards de la capitale. Las, Fabien Ouaki, 46 ans, PDG de Tati, n'ira manifestement pas au bout de ses ambitions : la situation financière de la maison l'a conduit, vendredi, à déposer le bilan du groupe familial (lire ci-contre).
Vrac.
La faute à ce patron atypique ?
Son père Jules, lui, avait la «gniaque». Tout juste débarqué de Tunisie en 1948, il ouvre son premier magasin de 50 mètres carrés au 22 boulevard Barbès. C'est là qu'il invente un concept révolutionnaire dans le commerce français : la fringue en vrac. Il achète des lots soldés qu'il paye cash, fait tourner ses stocks à toute allure et reconstitue l'atmosphère du bazar où les clients peuvent toucher une marchandise à tout petit prix. Des culottes et des collants à 1 franc, des savons et des casseroles, et dès la fin des années 60, des robes de mariée à moins de 500 francs. Les immigrés du XVIIIe de Paris sont les premiers à faire sa fortune. L'idée improbable est devenue un énorme succès qui permet à Jules Ouaki de s'installer en grand à Barbès, puis à République et jusqu'à la rue de Rennes à Paris. Le «cheap» devient branché et les bourgeoises s'en entichent : Azzedine Alaïa, le célébrissime couturier tunisien, a donné à la marque ses lettres de noblesse en lui dessinant une collection. Quand Jules Ouaki disparaît en 1982, Tati semble là pour l'éternité.
Mais il y a un hic : depuis le décès du fondateur, toute la famille se mêle des affaires du groupe. Les deux frères de Jules, ses cinq enfants et son gendre Hubert Assous copilotent l'entreprise dans un joyeux foutoir. Il n'y a pas vraiment de stratégie mais plutôt une sorte de «Soviet Ouaki». Le tout s'accompagne d'embrouilles familiales interminables sous l'oeil impitoyable de la gardienne du temple «Madame Eléonore». En 1991, c'est elle qui propulse le plus jeune des cinq enfants à la tête du petit empire, histoire de mettre de l'ordre. «J'ai pris la direction à la demande de maman», raconte Fabien Ouaki. «Il fallait protéger l'entreprise de nos bagarres familiales. Je me suis retrouvé en première ligne et je devais faire gaffe : ça tirait dans les couloirs.»
Bon fils. Las, de son propre aveu, Fabien, benjamin de la famille, n'était pas un manager. Mais il choisit d'être un bon fils. Pourtant, ses centres d'intérêt sont ailleurs : le rock d'abord, avec le groupe qu'il a formé. Ouaki flirte aussi avec le spiritualisme et accroche pour de bon au bouddhisme du dalaï-lama avec qui il cosigne en l'an 2000 un ouvrage intitulé La vie est à nous. Et puis il y a les chevaux de course, une écurie d'une vingtaine de pur-sang qu'il fait courir aux couleurs du dalaï-lama, orange et bordeaux.
Le PDG de Tati n'en passe pas moins les années 90 à tenter de moderniser la vieille maison. Passer de l'ère des carnets à souche des vendeuses (qui ont perduré longtemps après l'âge d'or des années 60-70) au temps des codes-barres, organiser la logistique et les achats, diversifier les activités commerciales vers la bijouterie (Tati Or), les bonbons (Tati Bonbons), les lunettes (Tati Optique), les voyages... il aura tout essayé. Y compris d'aller s'installer, en 1998, sur la Cinquième Avenue à New York. Un flop terrible.
Concurrence. Et Fabien Ouaki a beau faire, la lourdeur de Tati se révèle trop pesante. La réactivité du groupe est beaucoup trop lente : les Zara et autres H & M lui taillent des croupières à coups de nouvelles collections permanentes. Et des coûts de fabrication ultra bon marché : pendant que Ouaki se perd dans la joaillerie et la confiserie, les autres grandes enseignes de la distribution font fabriquer en Asie des dizaines de milliers de pièces de confection qu'ils revendent à des prix de plus en plus bas. Tati ne peut bientôt plus concurrencer les Auchan (enseigne Kiabi) et autres Vivarte (La Halle aux vêtements) : là où Ouaki passe commande pour 5 000 ou 7 000 pièces en Thaïlande ou en Chine, ses compétiteurs cassent le marché en commandant des lots de 30 000 à 40 000 pièces.
Et puis il y a l'argent, qui commence à manquer. En 1995, Fabien s'est endetté avec deux de ses frères Albert et Sylvain et sa soeur Esther, pour racheter à leur mère la totalité du capital de la marque. Fabien devient premier actionnaire avec 57 % du capital, les autres recevant 14 % chacun. Mais pour devenir propriétaires, ces quatre Ouaki-là se sont lourdement endettés : en l'an 2000, ils devaient rembourser l'équivalent de 200 millions d'ici 2006 à leurs créanciers.
Poker menteur. Quatre ans plus tard, Ouaki est fatigué. Disputes familiales, affaires de moins en moins florissantes : le patron, finalement, aimerait bien quitter le navire. Contre l'avis de ses frères et soeurs, il décide de donner un mandat de vente de Tati à la prestigieuse banque Lazard. Ce qui ne va pas vraiment arranger les négociations, qui ressemblent de plus en plus à une partie de poker menteur. Un jour, Ouaki affirme à qui veut l'entendre qu'il a reçu une «offre ridicule» de 300 millions de francs, un autre qu'il a refusé une proposition à 600 millions.
Que s'est-il passé ?
La famille s'est-elle opposée à la vente ?
Lui laissait entendre qu'il faisait monter les enchères entre les acheteurs potentiels, notamment les frères Grosman, propriétaires de Celio. Et que la notoriété de la marque et les emplacements immobiliers de Tati, surtout à Paris, valaient de l'or : «Tati, c'est plus d'un milliard de francs de chiffre d'affaires, plus de 30 magasins, 25 millions de clients et des sites inestimable, disait-il à l'époque. Tout cela vaut de l'argent.» Un avis que n'ont jamais partagé les banquiers du secteur : «Cette maison est un vrai foutoir», affirmait l'un d'entre eux. «Il faut attendre que le prix demandé par Ouaki baisse. Et encore, même pas cher, je ne suis pas certain que cette affaire vaille la peine.» En désespoir de cause, Fabien Ouaki a fini par retirer son mandat à la banque Lazard. Et s'est mis à chercher du cash seul. Quitte à vendre le magasin de la place de la République à Paris, voici deux ans. «A un très bon prix», dit-il. Avant, en 1998, il y avait eu la vente en or massif du Tati de la rue de Rennes.
Partage. A bout de souffle, Ouaki est allé chercher un spécialiste de la grande distribution en 2001 pour en faire son directeur général, partageant pour la première fois le pouvoir avec un étranger à la famille. Redresseur de la marque Jacadi, Christian Raillard voulait redonner à Tati son statut de bazar de centre-ville. Et d'ouvrir deux magasins dans Paris intra-muros Italie 2 et rue Réaumur pour donner le ton. Raté. Toujours à court d'argent, Fabien Ouaki a fini par vendre à la Mairie de Paris l'ancien cinéma Le Louxor, boulevard Barbès, pour 1,3 million d'euros. Ça n'aura pas suffi.