En ce temps de pandémie je pratique l’alternance blanc/noir, deux couleurs – qui ne sont pas des couleurs ICI – abhorrées : en effet le blanc fut la couleur du drapeau royal et le noir celle des pirates et des anarchistes.
Mon alternance à moi n’a rien d’idéologique ou de politique, elle est littéraire.
À propos d’alternance, il en est une que les urbains ignorent : celle des arbres fruitiers à pépins tels les pommiers, les poiriers ou les agrumes qui sont les plus sensibles à l'alternance. Les oliviers et certains pruniers sont aussi victimes de ce phénomène. Ces arbres donnent une belle récolte tous les deux ans, la récolte intermédiaire étant moindre ou quasi-inexistante.
Bref, comme le disait Pépin (ça devrait plaire à la mouche du coche), j’alterne mes lectures entre les polards, dit noirs, et les romans, dit blancs surtout chez Gallimard qui s’est octroyé une collection du même nom et où Marcel Duhamel a créé la couverture très sobre et typographique de la Série Noire. Parfois, je pratique l’alternance à l’intérieur d’un même jour en lisant du blanc le matin et du noir le soir.
Bref, comme le redirait Pépin, mes choix dans le blanc comme dans le noir se portent surtout vers des auteurs non gaulois, étasuniens, italiens, espagnols, anglais, allemands, ex-pays de l’Est, etc. Les jeunes plumitifs français de romans noirs n’arrivent pas à la cheville des anciens, quant aux blancs c’est pire.
Bref, comme oserait le re-re-dire Pépin, au risque que le coq chantât trois fois, attendu que les plumitifs redresseurs de torts de Télérama que j’engraisse de mon abonnement depuis des siècles et des siècles, viennent de commettre le 12/02/21 un article au titre très Télérama sous la plume de Christine Ferniot ICI :
La littérature a-t-elle assassiné le polar ? ICI
Attendu que je douille pour mon abonnement je le partage avec vous, même si je ne pense pas que la question de la porosité entre le polar et la littérature classique soit essentielle, si j’ai du courage je chroniquerai sur une nouvelle tendance des polars franchouillards : l’abus de références historiques très Wikipédia.
Romans noirs absorbés dans des collections généralistes, auteurs qui délaissent le polar au profit de la littérature “blanche”, porosité grandissante dans les codes et thèmes abordés par le roman policier et la fiction traditionnelle…
Le polar est-il toujours un (mauvais) genre à part ?
En 1986, le romancier et essayiste Michel Lebrun écrivait dans son encyclopédie L’Année du polar : « D’ici dix ans, tous les romans seront policiers. » Ce parrain du polar appréciait les formules à l’emporte-pièce, reconnaissant – déjà – que « les frontières séparant le roman noir et la littérature blanche se fendillent… » au profit du genre « noir ». Mais voilà qu’à présent il semble que la balance penche de l’autre côté, et que le polar soit en train de perdre son statut, enviable, de mauvais genre.
Cela commence par les couvertures, comme le décrit Oliver Gallmeister, patron des éditions du même nom – qui publient, entre autres, Craig Johnson, William Boyle ou David Vann : « Pour moi, le polar, c’est de la littérature, alors pourquoi faire une collection à part estampillée polar ? Depuis trois ans, j’ai une seule collection de romans, et une autre de livres en poche, sans distinction de genre. Le terme polar devrait disparaître et le noir n’est plus un sujet. »
Oliver Gallmeister : « Pour moi, le polar, c’est de la littérature, alors pourquoi faire une collection à part estampillée polar ? »
Oliver Gallmeister ne déteste certes pas la provocation, ni dans le domaine de la littérature, ni dans celui du marketing. Mais il représente une tendance, confirmée par un de ses confrères, Pierre Fourniaud, patron des éditions La Manufacture de livres, qui firent notamment connaître Franck Bouysse (Prix des libraires 2019 pour Né d’aucune femme) : « Je culpabilise un peu, car j’ai monté ma maison grâce au polar, face auquel les lecteurs, critiques et animateurs de festivals se révèlent moins hermétiques que pour la littérature dite blanche. Ces lecteurs-là sont passionnés et moins sectaires. Mais pour la suite, le lectorat s’obtient plus largement en littérature blanche. » Pierre Fourniaud a donc, lui aussi, délaissé ses couvertures emblématiques pour lecteurs de polar et, comme Oliver Gallmeister, souhaite que les libraires placent ses romans sur les tables de littérature générale.
Outre ce positionnement commercial, qui touche donc au premier regard, il faut aller voir du côté des auteurs. Là non plus, le voyage d’une couleur à l’autre n’est pas nouveau. Dans les années 1980-1990, Daniel Pennac et Tonino Benacquista quittent la Série Noire pour se glisser dans la Blanche de Gallimard. Plus récemment, Pierre Lemaitre chez Albin Michel et Nicolas Mathieu chez Actes Sud passent du côté « blanc ». Ces écrivains ont des univers bien à eux et ne les abandonnent pas à la faveur de ce mouvement, mais le changement de couverture leur permet d’être inscrits sur les listes de prix littéraires – jusqu’à obtenir le Goncourt, Pierre Lemaitre en 2013 et Nicolas Mathieu en 2018.
“Lorsque Sandrine Collette était labellisée polar, elle n’avait pas autant de lecteurs qu’aujourd’hui.” Véronique Cardi, directrice des éditions Lattès
Sandrine Collette est un autre exemple symptomatique de cette migration. La romancière fait ses débuts en 2013 chez Denoël, dans la collection Sueurs Froides, avec Des nœuds d’acier, un huis clos dans une ferme isolée, entre captivité, violence et vengeance. Elle obtient coup sur coup le Grand Prix de littérature policière et le Trophée 813 du meilleur roman francophone. Deux récompenses reconnues et estampillées polar. Au fil des livres, l’autrice ploie sous les récompenses polar (prix Quais du polar, Landerneau du polar, Sang d’encre…). Jusqu’en 2020 où Sandrine Collette est publiée chez Lattès, en littérature générale, pour Et toujours les forêts, suivi en 2021 par Ces orages-là. Véronique Cardi, qui dirige les éditions Lattès, est la première à dire que Sandrine Collette traite toujours les mêmes thèmes et motifs, et que la frontière est floue. « Mais lorsque Sandrine Collette était labellisée polar, elle n’avait pas autant de lecteurs qu’aujourd’hui », ajoute-t-elle. Pour l’éditrice, le polar permet de faire émerger des œuvres intéressantes qui feront leurs œufs ailleurs.
Destinée aux inconditionnels du polar, la couverture de la Série Noire est « comme une balise », note Stéfanie Delestré, patronne de la collection.
Le polar en serait-il alors réduit à ouvrir la voie à la fiction généraliste, à labourer le terrain pour les autres ? C’est oublier trop vite le succès du noir et ses « tonalités parallèles », comme le souligne Marie-Caroline Aubert, responsable du domaine étranger à la Série Noire : « Chez nous, ce qui marche le mieux, ce sont des auteurs comme Jo Nesbo, Deon Meyer, Jorn Horst, Dror Mishani et Dolores Redondo. Du pur polar. C’est simple, il ne faut pas mélanger le contenu et le contenant, ne pas brouiller les emballages. » Stéfanie Delestré, patronne de la Série Noire, insiste quant à elle sur la « promesse faite au lecteur ». La couverture de la Série Noire est, note-t-elle, « comme une balise » et les lecteurs inconditionnels savent où ils vont et ce qu’ils attendent : « Il faut continuer les collections, les reconnaître dès la couverture. En Série Noire, ce qui se vend bien, c’est un polar qui respecte les codes. La charte graphique décide pour le lecteur qui achète une Série Noire les yeux fermés. Quand Marcel Duhamel crée la couverture très sobre et typographique de la Série Noire, à une époque où la mode est aux photos de femmes dénudées, tout le monde lui dit qu’il a tort, et c’est lui qui a raison en proposant des points de repère. »
Même conviction chez Natalie Beunat, éditrice de Points/Policier (au Seuil), qui voit dans ce « mauvais genre » une dimension politique et idéologique : « Dans l’histoire du genre, il faut noter l’arrivée d’auteurs comme Dashiell Hammett (1894-1961) ou Raymond Chandler (1888-1959), qui font la révolution avec leurs romans noirs subversifs, mettant en cause la société. Déjà, à cette époque, on dit à Chandler : vous écrivez tellement bien que vous devriez écrire un “vrai” livre. Et lui de répondre : il y a deux sortes de livres, les bons et les mauvais ! » Pour Natalie Beunat, « le polar est un mauvais genre car il s’empare du roman social, il réfléchit sur ce qu’est la quête absurde de l’argent et du pouvoir. Le roman noir aujourd’hui, c’est le roman politique ».
“Tant que le crime ne disparaîtra pas, le polar ne pourra pas mourir.” Jeanne Guyon, éditrice chez Rivages/Noir
La grande différence, c’est le code ! Pas d’infériorité ou de supériorité entre littératures noire et blanche, mais dans le cas de la première, le respect de l’enquête, de la quête, de la résolution d’un crime, qui peut être politique, social, familial. Jeanne Guyon, éditrice chez Rivages/Noir, rappelle que le crime est au centre du polar : « Tant qu’il y aura crime et point de vue moral, il y aura polar. Tant que le crime ne disparaîtra pas, le polar ne pourra pas mourir. » Citant Jean-Patrick Manchette, elle rappelle la colère de l’écrivain lorsque son roman Fatale (1977) avait été édité hors collection noire : « Ça dépolardisait son livre et il répétait en l’occurrence que la ratatouille des labels était inepte. »
En fait, le polar, quelle que soit l’époque, est en embuscade. Tantôt il remplace le roman social qui semble prendre ses distances, tantôt il nous révèle des situations dramatiques, politiques, historiques, par le biais du délit, maître mot dans la fiction noire. « C’est le reste de la littérature qui se sert du polar », insiste Jeanne Guyon. Mais contrairement au roman « blanc », il respecte les codes et les contraintes. Hervé Le Corre, dans son dernier roman, Traverser la nuit, en est l’exemple évident. Un flic, une femme battue, un tueur en série, un crime à résoudre, une enquête dans la ville. « Oui, je travaille sur les codes, je laboure les clichés… Je les crois encore pertinents pour décrire des tragédies intimistes », explique le romancier. Le roman noir doit avoir de l’ambition pour que la qualification s’applique de manière valorisante : « Ça étendra le domaine de la lutte », dit-il encore. « Le polar doit garder son statut d’empêcheur de tourner en rond », reprend Natalie Beunat. Les lecteurs ne s’y trompent pas, puisque un roman vendu sur quatre est un polar.