DVD toujours, j’ai revu Belle de Jour de Luis Buñuel, tiré du roman de Joseph Kessel qui fit scandale lors de sa parution en 1928 chez Gallimard qualifié par le scénariste Jean-Claude Carrière, d'ouvrage mineur : « un petit roman de gare, tout au plus ».
Belle de Jour fut pour moi un film initiatique :
12 novembre 2006
Le clone de Giovanni Drogo
Tout près de la frontière, aux confins de mon univers connu, j'attendais le jour où la vraie vie commencerait. J'étais le clone de Giovanni Drogo, ce jeune ambitieux pour qui « tous ces jours qui lui avaient parus odieux, étaient désormais finis pour toujours et formaient des mois et des années qui jamais plus ne reviendraient... »
Aux yeux du clan des femmes je croissais, en âge et en sagesse, dans l'étroit périmètre de notre bocage cernée de hautes haies, alors que je ne poussais vraiment que dans l'obscurité du Rex et du Modern. Perfusé par les yeux verts et le nombril de Debra Paget dans le Tigre du Bengale et par les bas de soie glissant sur les cuisses diaphanes de Catherine Deneuve dans Belle de Jour, je me lignifiais en silence. Jour après jour j'accumulais la chlorophylle des belles étendues sur le papier glacé des magazines de mode de ma mère. Je thésaurisais de la beauté pour gagner les centimètres qui me placeraient au-dessus du commun. C'était le bonheur de jours passés à regarder filer les heures, hors des limites du réel, avec pour seule ligne d'horizon la belle destinée qu'allait m'offrir la vie, au plus haut, à l'étage des seigneurs. Quand parfois le doute m'effleurait - allais-je pouvoir m'extraire de ce monde contraint ? - je me parais des oripeaux d'Edmond Dantès, le trahi, le paria surgi de nulle part accomplissant son implacable vengeance : les yeux topaze d'Yvonne Furneau m'irisaient...
Après avoir visionné le film, qui n’a pas pris une ride, j’ai cliqué sur le bonus Histoire d’un film où Jean-Claude Carrière, que j’apprécie beaucoup, donne un éclairage très intéressant sur la genèse et le tournage du film, sur Catherine Deneuve aussi.
Bonne pioche je suis tombé sur Jacques Lacan !
Avant détail géographique :
« Séverine, Catherine Deneuve… se rend un jour chez Madame Anaïs, qui tient une maison de rendez-vous rue Virène, et fait acte de candidature comme pensionnaire en demandant de ne travailler qu’entre 14h et 17h. »
Il n’y a pas de rue de Virène à Paris, en revanche, à deux pas de chez moi, la rue Léon-Maurice Nordmann, commence rue de la Santé. J’y passe souvent sur mon vélo. « Cette voie faisait précédemment partie de la rue Broca et avant 1890 de la rue de Lourcine. Un arrêté du 18 décembre 1944 lui donna le nom de l'avocat résistant Léon-Maurice Nordmann (1908 - Mont Valérien, le 23 février 1942), fusillé par les nazis.
Plusieurs plans du film Belle de jour de Luis Buñuel ont été tournés dans le square Albin-Cachot, renommé pour l'occasion « cité Jean-de-Saumur » où est situé l'appartement de Mme Anaïs. Catherine Deneuve rentre au no 3 du square, numéroté 11 dans le film. L'appartement est situé au no 3, mais la cage d'escalier est située à un autre numéro. L'appartement utilisé était celui de l'assistant de Buñuel.
Ensuite je fouine sur Google et je tombe sur un excellent article :
Pourquoi il faut absolument redécouvrir "Belle de jour", de Luis Buñuel ICI
« À quoi penses-tu Séverine ? » Dans le miroir embué de la salle de bain, Pierre contemple le reflet de sa femme, en train de se réveiller. Les deux ne font pas encore chambre à part, mais dorment déjà dans des lits séparés. « Je pensais à toi. À nous deux. Nous nous promenions ensemble dans un landau », répond la blonde. En vérité, celle-ci rêvait quelques minutes plus tôt d'abjection et de dégradation. De souillure et de soumission. La séquence inaugurale de Belle de jour montre en effet le couple lors d'une balade romantique en calèche dans les bois, rythmée par le tintement des grelots. Mais soudain le fiacre s'immobilise et Séverine, sur l'ordre de son mari, est empoignée par les deux cochers qui déchirent sa robe et abusent d'elle. Attachée à un arbre, bâillonnée puis cravachée, Séverine est livrée au valet de pied… et semble aimer ça !
D'une brutalité inouïe, les premières images du long-métrage de Luis Buñuel nous plongent dans la psyché féminine. Mêlant adroitement rêve et réalité, ce film au climat onirique est fréquemment émaillé de visions, nées de l'imagination fertile de son héroïne, en proie à des pulsions masochistes et à des fantasmes avilissants. Venu du surréalisme, le grand réalisateur espagnol formé par les jésuites est un habitué de ce genre de scène (on se souvient tous de la main pleine de fourmis et de l'œil coupé au rasoir d'Un chien andalou, coécrit par Dalí). Avec Belle de jour, Buñuel parle cette fois de ce qui nous trouble le plus : notre part animale. Cinéaste de l'inconscient, l'auteur de L'Âge d'or élabore, avec cette œuvre subversive, un dispositif sadien qui, cinquante ans plus tard, suscite encore l'émoi du spectateur. À l'origine, Belle de jour est un roman de Joseph Kessel qui fit scandale lors de sa parution en 1928 chez Gallimard.
Récit d'une libération, l'ouvrage raconte le parcours d'une jeune femme issue de la bonne bourgeoisie, qui n'a jamais éprouvé de plaisir auprès de son mari, et qui décide de mener une double vie et de se prostituer dans un luxueux bordel parisien, où se déclinent toutes les perversions. Raymond et Robert Hakim, deux juifs d'Alexandrie, achètent les droits du livre. Ces deux frères, qui avaient déjà produit un biopic sur Marthe Richard, prostituée qui a donné son nom à la loi de fermeture des maisons closes en France en 1946, puis Casque d'or avec Simone Signoret en putain flamboyante, voient en Belle de jour un sujet racoleur au fort potentiel commercial. Les Hakim proposent ainsi à Buñuel l'adaptation de la nouvelle de Kessel avec Catherine Deneuve en tête d'affiche. Au départ, le cinéaste n'est convaincu ni par le livre ni par l'actrice. Il appelle à la rescousse son scénariste du Journal d'une femme de chambre (1964), Jean-Claude Carrière, qui juge à son tour l'ouvrage mineur (« un petit roman de gare, tout au plus »).
Catherine Deneuve subit les pires outrages
Le metteur en scène et le scénariste décident alors de remanier l'intrigue et d'y introduire une dimension fantasmatique et psychanalytique. En effet, Buñuel, âgé de 67 ans, a d'autres ambitions avec ce film de commande qu'un simple produit mercantile (gravement malade, il avait annoncé que ce serait son ultime long-métrage. Ce ne fut heureusement pas le cas). À ses yeux, Belle de jour devait être une exploration de ce que Freud appelait « le continent noir », la sexualité féminine (plus tard, Lacan projettera d'ailleurs le film à ses élèves au cours de séminaires).
La suite ICI
Catherine Deneuve dans Belle de Jour de Luis Buñuel en 1967Photo : AFP
ÉCHOS DE LA SOIRÉE CINÉMA AVEC LACAN A PROPOS DU FILM « BELLE DE JOUR » DE LUIS BUÑUEL ICI
Le réalisateur Buñuel, s’attaque là à des territoires obscurs, celui du féminin et du désir qui ne sont pas sans soulever des polémiques, des incompréhensions et des tensions, quotidiennement. Donnant toute sa valeur actuelle au film, Fouzia Taouzari a ouvert le débat en inscrivant l’énigme féminine au-delà de la guerre des sexes : « Il y a une dimension du féminin qui fait horreur aux femmes et aux hommes ».
[…]
Face à cet abîme où la tendresse de son mari ne répond pas aux attentes de Séverine dont le désir se trouve en impasse avec son lot de frigidités, elle imagine des scénarios dans une sorte de rêverie. Dans ses rêveries, elle met en scène son mari, la faisant battre par des hommes de mains, ordonnant qu’on la maltraite, qu’on la diffame. Ces scénarios fantasmatiques sont bien loin de la réalité où son mari vient chaque soir la border, pour l’endormir dans un lit séparé d’elle. « Cet homme très amoureux n’est pas porté sur la chose », ponctuera Fouzia Taouzari. Il porte un très grand soin à sa femme, n’entend pas lorsqu’elle lui dit qu’elle n’est pas femme à se laisser endormir ! L’amour écrase le désir, il endort.
Avec ses courbes à se damner, sa moue innocente et sa beauté magnétique, Catherine Deneuve a marqué le cinéma avec son rôle sulfureux dans "Belle de Jour". Elle y incarne Séverine, l'épouse d'un interne en médecine qui, voulant assouvir ses fantasmes, se livre à la prostitution occasionnelle. Parce que la fraîcheur qu'elle dégage à l'écran nous inspire encore, flashback sur 10 clichés de l'actrice dans le film de Luis Buñuel. ICI