Les confinements successifs ont permis à Olivier de Moor de nous fait partager sa passion pour la peinture sur Face de Bouc.
Alice Olivier de Moor·
Rare de trouver peinture aussi saisissante. Je pense qu'il faut aller chez Helen Schjerfbeck pour trouver autant de force. Paula Medersohn-Becker vint souvent en France pour étudier et suivre ce qui s'y faisait. Elle ne vendit que trois tableaux durant sa courte vie.
« Je veux apprendre à exprimer la délicate vibration des choses, le frémissement en soi ». Tout un programme. Alors bonne année et tous mes meilleurs vœux. Ne me reste plus qu'à lire « Etre ici est une splendeur ».
David Hockney a quitté le soleil californien pour venir s'établir en Normandie en 2019 dans le petit village de Beuvron-en-Auge dans le Calvados. Le célèbre peintre britannique, artiste vivant le plus cher du monde, y passe son confinement et se régale en peignant la nature au printemps.
Très sollicité à Londres, le peintre star a filé à l’anglaise vers la Normandie. Ses toiles du bocage où triomphe son art figuratif sont désormais exposées à la galerie Lelong. ICI
C’est une route mauve, comme une moquette ultra confortable, qui serpente mollement. Des collines dodues de gazon vert pétant. Des pans de ciel moiré et un brouillard gris, léger, qui embrasse le bocage. Le magicien Hockney est de retour à la galerie Lelong. Mais pas comme on l’attendait. Star de la peinture contemporaine, le très célèbre peintre des piscines et des jeunes gens attirants s’est mué, à 83 ans, en un pimpant gentleman-farmer. Il montre une longue suite d’œuvres : jonquilles d’or au printemps, caprices branchus de pommiers gorgés de fruits lourds à l’automne, ou labours givrés quand le feu de cheminée est de retour. À deux doigts de la carte postale régionale, mais bigrement impressionnant, son éden est désarmant de fausse naïveté : voilà des paysages doux, coquets, au charme décalé, avec leurs typiques maisons à colombages et leurs sillons sagement labourés.
La Normandie façon Trenet
« Comme il arrive souvent dans la vie, cette aventure a commencé par un concours de circonstances, narre avec gourmandise Jean Frémon, directeur de la galerie Lelong. En octobre 2018, David Hockney était à Londres pour l’inauguration de son grand vitrail à l’abbaye de Westminster. Il ne souhaitait pas rentrer tout de suite à Los Angeles, trouvant les voyages intercontinentaux fatigants. Il savait que s’il restait à Londres il serait instantanément submergé de visites et de sollicitations diverses. Le salut est dans la fuite, se dit-il. » Réfugiés dans leur voiture (car au moins on peut y fumer tout à loisir), David et Jean-Pierre, son assistant, embarquent pour traverser la Manche, puis font halte à Honfleur. Un détour au musée de Bayeux pour revoir la tapisserie et la visite du bocage normand font germer l’idée chez l’artiste : pourquoi ne pas s’installer ici pour peindre l’arrivée du printemps ? Il déniche et achète une maison dans la campagne, au bord d’une rivière ; le bâtiment est doté d’un vieux pressoir à retaper : l’atelier idéal.
“J’ai toujours été d’accord avec Francis Bacon au sujet de l’abstraction”
On n’avait jamais vu, ni montré, les paysages d’une telle Normandie, façon Trenet, c’est-à-dire bien avant l’arrivée de l’hypermarché du coin et des sinistres rangées de pavillons sans âme. Faut-il donc être un incorrigible Anglais pour voir le monde ainsi ? Ou un artiste tellement à part, pas vraiment pop, résolument figuratif, qui, depuis les années 1970, s’ingénie à nourrir ses peintures (paysages et portraits d’amis, de famille et d’amants) d’un obsessionnel naturalisme ?
Depuis ses débuts à Londres jusqu’à ses séjours à Los Angeles et Paris, Hockney a prôné, à l’opposé d’une lecture linéaire de l’histoire de l’art, qui aboutit au pur art abstrait (selon l’avis principalement défendu par la critique américaine d’après-guerre), des créations nées de l’observation et de l’imagination. « J’ai toujours été d’accord avec Francis Bacon au sujet de l’abstraction, déclare-t-il. Je me disais : comment aller au-delà ? Ça ne mène à rien. Même la peinture d’un Jackson Pollock est une impasse.
Le très influent critique américain Clement Greenberg a affirmé : « Aujourd’hui il est impossible de peindre un visage. » La réponse du peintre De Kooning, « C’est sûr, et il est impossible de ne pas en peindre », m’a semblé plus sage. Je pensais : si ce que dit Greenberg était vrai, alors les seules images du monde visible que nous aurions seraient des photographies. Ce serait trop ennuyeux. Il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond dans ces arguments. »
Rebelle, anticonformiste et se revendiquant comme un héritier de l’inépuisable histoire de l’art (des paysages peints sur rouleaux par les Chinois à ceux des artistes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, tels le Lorrain, Constable ou Van Gogh), Hockney explore et transforme l’art du paysage comme personne. Ainsi, dès son arrivée à Los Angeles en 1964, il apprend d’abord à conduire pour s’en aller découvrir, à bord d’une petite voiture décapotable, les immenses espaces exotiques, et si « sexy », comme il dit, de Santa Monica ou de Mulholland Drive. Il se crée son propre cinéma. Invente des perspectives. Multiplie, surtout à partir de 1980, les tableaux de paysages, affichant une palette débordante de plaisir visuel immédiat, une saturation de couleurs, rouge pétant, rose lumineux et orange cadmium. On dirait du Giotto à Hollywood, au bord de la highway.
À la même période, jamais à court d’inventivité, il se passionne pour le Polaroid et s’en va sillonner les routes d’Arizona, mitraillant les immenses espaces rocheux des canyons de Zion et de Bryce et, bien sûr, du Grand Canyon. Exposés au Centre Pompidou, à Paris, en 1982 puis à Arles en 1985, ses saisissants photocollages révèlent, une fois encore, un artiste très au fait des dernières techniques — il emploiera, on le sait, le photocopieur et l’iPad — et soucieux d’inscrire son œuvre dans un rapport de filiation à ses prédécesseurs, en s’appropriant la multiplicité des points de vue héritée du cubisme.
De retour en Angleterre, dans les années 2000, Hockney se lance illico dans un nouveau projet fou : une installation vidéo multi-écrans. Dans les bois de Woldgate, il fixe neuf caméras sur le toit d’une Jeep pour filmer un même sentier aux quatre saisons, comme si plusieurs paires d’yeux observaient le paysage de façon simultanée et ininterrompue. Ou encore, faisant le pari de la démesure, réalise Bigger Trees Near Warter, une œuvre monumentale composée de cinquante toiles juxtaposées, pour son exposition à la Royal Academy de Londres. Sir David Hockney est ainsi : hédoniste, acharné au travail. Qu’il neige ou qu’il vente, de la tablette numérique au mobile, de Los Angeles au pays d’Auge, ses fertiles pérégrinations ne cessent de jardiner l’amour profond de la nature.
À voir
« Ma Normandie » Jusqu’au 27 fév. | Du mar. au ven. 10h30-18h, sam. 14h-18h30 | Galerie Lelong & Co., 13, rue de Téhéran, 8e | 01 45 63 13 19 | galerie-lelong.com
À lire Conversations avec David Hockney, de Martin Gayford, éd. du Seuil, 28,40 €.
David Hockney : la Normandie est une source inépuisable d'inspiration
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