Trop facile de présenter Bacri comme un éternel ronchon et ce pour 2 raisons qui vont vous surprendre :
Michel Rocard, adolescent, scout aux Eclaireurs unionistes. Il était alors surnommé «"Hamster érudit". (Collection particulière)
1- Je suis de gauche. Et ça date de 1978. D’un coup de cœur que j’ai eu pour Michel Rocard, si triste, si humain, au soir de la défaite des socialistes. Il m’a bouleversé. Je me suis dit : il est sincère, ce mec. Et j’ai commencé à m’intéresser à la politique qui, jusque-là, m’indifférait. Mais je n’aime pas la gauche angélique. Et cela ne me dérangerait pas de sucrer le mot « Fraternité » dans la devise de la République. Trop hypocrite. On a besoin de justice, d’égalité des chances, mais pas de s’aimer les uns les autres. Le respect est largement suffisant.
Nous sommes le 19 mars 1978, la gauche vient encore de perdre une élection qu'elle aurait dû gagner. La majorité UDF-RPR conserve le pouvoir. Le choc est terrible pour la gauche. A la télévision, sur Antenne 2, paraît alors Michel Rocard, qui a décidé de griller la politesse électorale à tout le monde, y compris à François Mitterrand, Premier secrétaire du PS. Et qui va prononcer un discours, préparé à l'avance, destiné à marquer les esprits. A prendre date. A se poser en homme de l'avenir.
"C'est un nouveau rendez-vous manqué par la gauche avec l'histoire, et c'est le huitième depuis le début de la Ve République. Y a-t-il donc une fatalité, qui veut que la gauche ne puisse gouverner dans ce pays? Ce soir je tiens à dire non, il n'y a pas de fatalité!" Le propos touche les téléspectateurs, surtout à gauche, qui constatent que la rupture de l'union de la gauche, survenue en septembre 1977, a provoqué une nouvelle défaite électorale sous le magistère Mitterrand.
Rocard parle moderne
Ce soir-là, Michel Rocard crève l'écran. Et le lendemain, la France ne parle que de ça. Plus que le défi lancé à Mitterrand, qui n'est pas encore perceptible, à ce moment précis, c'est surtout le fait qu'un homme de gauche a dit qu'il refusait la fatalité de la défaite qui marque les esprits. Le regard face caméra. La voix ferme. La solennité. Nous sommes loin de la forme traditionnelle des déclarations politique d'usage en soirée électorale.
Ronald Pedros poursuivis par deux joueurs parisiens lors de la rencontre PSG – FC Nantes du 11 janvier 1995
2- Jean-Pierre Bacri est mort lundi 18 janvier, à l’âge de 69 ans était un admirateur du FC Nantes et de son jeu « à la nantaise » Jean-Pierre Bacri avait confié, en 2015, « j’aime beaucoup Nantes et je dirais même que c’est une de mes villes préférées » Le comédien était de passage dans la cité des Ducs pour la sortie du film La vie très privée de Monsieur Sim. Il avait également rappelé avoir « joué quinze jours à Nantes une pièce qui s’appelait Cuisine et Dépendances, écrite avec Agnès Jaoui et on avait passé vraiment du très très bon temps. J’aime beaucoup cette ville. »
« Le FC Nantes de Suaudeau était flamboyant »
Autre confidence ce même jour de 2015 à l’animateur de France Bleu : l’acteur révèle qu’il est un admirateur du FC Nantes des années 1994-1996, alors que le club est à son apogée, et fait mouche avec son jeu « à la nantaise ». « J’ai adoré cette équipe où il y avait Pedros, Ouédec, Loko. Le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau était flamboyant. Je me souviens d’un match où elle avait écrasé, éclaté le PSG. Elle avait fait un match exceptionnel. »
Jean-Pierre Bacri, en 2011 : « Ma gueule fait la gueule, c’est ainsi »
Par Annick Cojean
ENTRETIEN
Il y a dix ans, « Le Monde magazine » avait consacré un « Je ne serais pas là si » à Jean-Pierre Bacri, dont on a appris la mort lundi 18 janvier 2021. Quand Bacri, le taciturne, se racontait et disait tout ce qu’il devait aussi à Agnès Jaoui.
Je ne serais pas arrivé là si…
… si je n’étais la somme de névroses parentales, volontairement entretenues, auxquelles j’ai rajouté des névroses personnelles, et en premier lieu la détestation absolue des contraintes. De mon père, qui était facteur, j’ai gardé une névrose de la droiture, disons un sens de la parole, de l’égalité et de la justice qu’il résumait par cette phrase mille fois rabâchée : « Pour moi, balayeur ou président de la République, c’est la même chose ! ». Autrement dit : on leur doit le même respect. De ma mère, par goût, j’ai conservé l’orgueil. Un orgueil que je tire peut-être de mes valeurs. En tout cas, une estime de soi satisfaisante. Je me plais comme je suis. Et je me suis créé un univers dans lequel le plaisir est prioritaire et les contraintes définitivement bannies.
Vous devez bien avoir quelques contraintes !
J’en ai eu toute ma jeunesse et dans mon premier travail à la Société Générale de Cannes qui semblait alors être mon destin. Je devais me lever tôt. Me raser de près, ce qui m’était pénible, à moi qui ai une barbe de brun. Porter le costume-cravate. Et sourire. Tout le temps sourire. Eh bien j’en ai eu marre. J’ai décidé que c’était inhumain. Que je ne ferais plus jamais ces minables concessions d’amabilité et de sourire forcé. Quand je sourirais, ce serait spontanément, quand ça me viendrait. Parce qu’un sourire, ça a de la valeur. A celui qui me l’arrache, je donne quelque chose de bon et de vrai. Alors on dit souvent que je fais la gueule. Mais oui ! Bien sûr que je fais la gueule ! Et je vais continuer à la faire ! Quand je n’ai rien à dire et aucune raison de sourire, je fais la gueule. Je fais ma gueule. C’est-à-dire, j’ai cette tête.
Attendez ! Faire « la » gueule ou « ma » gueule, c’est différent !
Oui, mais apparemment, ma gueule fait la gueule. C’est ainsi. Bref, j’ai la névrose des contraintes et vous n’imaginez pas ce que cela exige d’anticipation pour l’organisation de ma journée, de mes loisirs, ou de mes choix professionnels. Je marche sur un fil, en vigilance permanente, pour prévenir l’ennui, les ennuis et ce qui pourrait altérer mon plaisir. Cela me conduit à refuser des tas de scénarios, y compris de jolis rôles – j’ai trop peur de l’insatisfaction que le film me procurerait en fin de compte. Cela m’incite aussi à me passer de dîners en ville. Je me prive sûrement des quelques rares moments d’intelligence et d’esprit qu’on y croise, mais je m’épargne tellement d’ennui que cela vaut le sacrifice ! Cet univers est violent, comme dirait notre ami Woody Allen. Il faut donc ne prendre que le meilleur. Pendant qu’il en est encore temps.
Avez-vous aimé votre jeunesse ?
Pas du tout ! Je n’en ai aucune nostalgie. Je me sens même anti-proustien. Que des contraintes. De l’ennui. Et de l’attente. Une attente infinie.
Attente de quoi ?
Attente d’être adulte. Je me revois encore boire café sur café dans les milk-bars à côté du lycée avec la conscience d’attendre. Je n’étais pas malheureux. Mais je rêvais de liberté. Et mon rêve s’est réalisé. Je ne savais même pas à quel point être adulte était bien. Je le suis devenu quand j’ai débarqué à Paris, que je suis rentré dans un cours d’art dramatique et que, d’un coup, la culture, les textes, la liberté me sont tombés dessus. Paris, c’est l’affaire de ma vie. L’essentiel de mon bonheur est parisien. Ça fait 35 ans que je vis à Paris. Ça fait donc beaucoup de bonheur !
Et vous n’aimez pas vous éloigner de Paris ?
Non. D’autant que j’ai la phobie de l’avion. Ça m’a pris il y a quinze ans, lors d’un vol pendant lequel j’ai soudain paniqué. Horrible. Un pur cauchemar. J’ai essayé de me raisonner, j’ai fait un autre essai. Atroce. Plus question de m’infliger pareille souffrance. Le train existe.
D’où est venue l’idée d’écrire ?
J’ai découvert Harold Pinter au cours d’art dramatique, et j’ai été fasciné. Quel sens du dialogue ! Bien joué, c’est d’une telle intelligence ! D’une telle vérité ! J’ai eu envie d’essayer d’écrire des dialogues. Puis de fabriquer une ambiance. De construire une histoire. Et c’est devenu une passion. Mais c’est difficile, exigeant, laborieux. On rencontre mille complexités, on se heurte à ses limites. C’est le seul moment où je me sens dans le labeur. Même avec Agnès qui, pourtant, rend l’exercice possible.
« Je ne serais pas arrivé là… sans Agnès Jaoui » ?
Oui, je peux le dire. C’est la rencontre de ma vie. On est loin d’être identique, mais on partage le même esprit, la même conception du monde et de la vie. Je n’imaginais même pas qu’une telle connivence fut possible. Ça change tout.
Pourquoi vous voit-on si peu sur les plateaux de télévision ?
Je ne voudrais pas avoir l’air arrogant, mais franchement, c’est trop médiocre, c’est même pathétique. Quand je vois les malheureux invités de ces plateaux obligés, sous prétexte de promotion, de rire en se laissant moquer, humilier, par des animateurs d’une vulgarité déprimante, je trouve cela insupportable. A une époque, j’ai répondu à quelques invitations de ces animateurs et je n’hésitais pas à leur rentrer dedans. Le problème, c’est qu’ils adoraient ça ! Cela faisait de moi un « bon client » qu’on avait envie de réinviter pour refaire le même « numéro ». Quelle ironie ! Car je ne faisais pas un numéro. J’étais chaque fois sincère, réellement exaspéré par leur comportement. Et je me sentais sali d’être ainsi récupéré par ce système pervers.
Vous n’hésitez pas, en revanche, à afficher des positions politiques.
Quiconque lirait attentivement nos scénarios saurait très bien où on est. Je suis de gauche. Et ça date de 1978. D’un coup de cœur que j’ai eu pour Michel Rocard, si triste, si humain, au soir de la défaite des socialistes. Il m’a bouleversé. Je me suis dit : il est sincère, ce mec. Et j’ai commencé à m’intéresser à la politique qui, jusque-là, m’indifférait. Mais je n’aime pas la gauche angélique. Et cela ne me dérangerait pas de sucrer le mot « Fraternité » dans la devise de la République. Trop hypocrite. On a besoin de justice, d’égalité des chances, mais pas de s’aimer les uns les autres. Le respect est largement suffisant.
Vous n’êtes jamais retourné en Algérie, quittée l’année de vos 10 ans. Ressentez-vous un lien particulier avec cette région du monde ?
Ah oui ! Un vrai lien. Comme avec les Arabes. Je me sens tout à fait de leur famille. Enfin, de celle des sémites au sens large. Je suis juif, donc cousin, frère des arabes. Je me reconnais dans leur culture, leur chaleur, leur façon de donner leur amitié. Inutile de vous dire combien les révolutions en cours me passionnent. C’est extraordinaire.
Le jeune homme quittant la côte d’Azur pour Paris a-t-il changé ?
Beaucoup. Grâce aux textes qui m’ont éduqué. Et puis grâce à Agnès. Comme un troisième cycle ! J’adore m’améliorer.
En 1992, le FC Nantes est au bord du dépôt de bilan, interdit de recrutement, et installe par défaut une génération de joueurs formés au club. Trois ans plus tard, ces Canaris sont sacrés champions de France: 32 matchs d’affilée sans défaite, meilleure attaque, meilleure défense, meilleur buteur et meilleur passeur. Une saison monumentale menée par Coco Suaudeau sur le banc, Christophe Pignol en défense, Makélélé dans les bras de la fille du coach, un PDG de la Biscuiterie Nantaise (BN) comme président et un trident d’esthètes devant. Plusieurs années après, Nicolas Ouédec, Patrice Loko et Reynald Pedros se mettent à table et revivent leurs exploits, entre un chutney de céleri, des noix de Saint-Jacques rôties et une bonne bouteille de saumur-champigny.