Google est un drôle de fouineur, en faisant des recherches sur ma mission à Cognac il m’a mis sous le nez un article de Catherine Bernard dans Libération :
Le vin français prend une piquette ICI
Ce fut publié le 25 décembre 2001, 20 ans déjà !
Catherine était correspondante à Montpellier.
Voilà le travail :
De Bordeaux au Languedoc, en passant par le Beaujolais, son rapport, remis cet été à Jean Glavany, a fait l'effet d'une bombe (1).
Depuis, Jacques Berthomeau est devenu une star que les vignerons s'arrachent pour s'entendre dire leurs quatre vérités.
A Bordeaux, il y a trois semaines: «Vos vignes font de mauvais vins? Arrachez-les!»
Dans l'Hérault, invité la semaine dernière à fêter le centenaire des coopératives: «Buvez-vous du vin de table au petit déjeuner?»
Car, en cette fin d'année où les acheteurs font leur marché pour 2002, vignerons et négociants se sont rendus à l'évidence. L'année 2002 ressemblera à 2001, en pire. Les Français boudent le vin. Les Anglais, les Américains, les Allemands et les Japonais en consomment davantage, mais ils continuent à préférer ceux du Nouveau Monde (2) à nos appellations d'origine contrôlée (AOC), vins de pays ou vins de cépage. En conséquence de quoi, les prix sont au plancher. Et les transactions au ralenti. La règle vaut pour à peu près tous les vignobles, et notamment pour le Languedoc, plus grand vignoble du monde habitué à vendre dans l'Hexagone, un temps persuadé d'avoir gagné la bataille de la reconversion en misant sur les vins de cépage (sept millions d'hectolitres produits).
Poids de l'histoire. La scène se déroule à Narbonne chez Val d'Orbieu, premier fournisseur du marché français avec 3 milliards de francs de chiffre d'affaires (460 millions d'euros). Joël Castany, son président, sait que les 350 millions de francs (55 millions d'euros) d'aides aux viticulteurs décrochés par Jean Glavany, le ministre de l'Agriculture, auprès de Bruxelles, ne changeront rien à l'affaire. Voilà trois ans que le groupe coopératif audois peine à commercialiser ses vins de cépage sauvignon, plantés dix à quinze plus tôt en lieu et place des aramons, cinsaults ou carignans. Les sauvignons, comme les merlots, syrahs, chardonnays et cabernets, sont ici le symbole du sursaut qualitatif du Languedoc. «Sur les 10 000 hectolitres de sauvignon, on ne sait bien en vendre que 6 000, admet Joël Castany. J'ai le choix entre aller piquer les fesses des commerciaux ou aller voir ce qui se passe dans le vignoble. Là, on découvre que l'on a planté du sauvignon où il ne fallait pas, ou que les vignes sont mal conduites. Résultat: nos sauvignons sont moins bons que ceux du Nouveau Monde.» Ce qui vaut pour ce cépage vaut pour les autres. «On a oublié que, pendant que nous faisions des efforts, nos concurrents en faisaient aussi. Et eux, qui n'ont pas le poids de l'histoire, vont plus vite. Les acheteurs anglais de Tesco ou Sainsbury restent quatre jours dans le Languedoc. Ils goûtent une vingtaine de vins, en deux heures, chez moins d'une dizaine de fournisseurs potentiels. Ils demanderont à chacun deux ou trois échantillons qui déboucheront éventuellement sur une vente. Ils savent exactement ce qu'ils veulent et à quel prix. Loin des circuits commerciaux, les viticulteurs ne l'ont pas compris», résume Alain Grignon, ex-directeur commercial d'une cave coopérative, parti fonder son entreprise de négoce.
Premier touché, le vignoble languedocien n'est pas le seul. Longtemps dopée par son marché, la filière française s'est en réalité contentée de très bien vendre à l'international ses vins à 150 francs la bouteille (60 % exportés), oubliant au passage qu'ils ne représentent que 3,8 % de la production. Et elle se réveille bousculée sur le coeur du marché mondial, celui des vins entre 16 et 60 francs la bouteille, lesquels représentent 30 et 40 % de la production. Résultat, depuis janvier, les exportations de beaujolais ont reculé de 9 % en valeur. Globalement, les ventes de vin français reculent aux Etats-Unis (-9,7 %), en Allemagne (-4 %), au Danemark (-9,1 %) et en Belgique (-5,7 %), des marchés pourtant tous en croissance.
Pas dignes. «Nous sommes encore drapés dans le dogme de l'AOC qui permet aux paresseux de vivre sur un patrimoine commun, analyse Michel Laroche, négociant-éleveur de Chablis. Or, les AOC sont une garantie d'origine, mais pas encore de qualité. Elles le seront quand les comités de dégustation oseront refuser l'agrément à ceux qui n'en sont pas dignes. Si on ne regarde pas cette réalité en face, dans dix ans les Français consommeront eux aussi 10 % de vins importés.» A Narbonne, Joël Castany continue de battre sa coulpe: «Plutôt que de céder aux sirènes des vins de cépage, nous aurions dû concentrer nos moyens sur le lancement d'un bon vin de pays d'assemblage avec une marque, une étiquette simplifiée au maximum. Au lieu de commercialiser deux millions de bouteilles, comme c'est le cas aujourd'hui, nous en serions à cinq millions. L'image des grands vins a tenu lieu de politique commerciale à toute la filière.»
Ce défaut se lit dans les résultats de la première enquête conduite par la Direction régionale de l'agriculture et de la forêt (Draf) auprès des 364 caves coopératives du Languedoc-Roussillon. La moitié adhère à un groupement de commercialisation, 53 ont un oenologue et 14 ont des salariés chargés de la prospection des clients. «A quelques exceptions près, les groupements ont davantage servi à récupérer des aides qu'à bâtir une stratégie commerciale. En face, trop faible et trop régionalisé, le négoce n'a pas investi dans le marketing», pointe Michel Rémondat, ex-directeur du Comité interprofessionnel des vins du Languedoc et créateur d'un site Internet dédié à la filière (3). C'est ce qu'Alain Grignon stigmatise comme la «culture de l'écoulement» opposée à celle de la demande des producteurs du Nouveau Monde. Le 7 novembre, Jacques Berthomeau a mis autour d'une table trois producteurs et trois négociants pour animer un «comité stratégique». Une première. L'objectif ? Accoucher, d'ici à mars 2002, d'un plan stratégique à l'instar de celui réalisé par les Américains (Wine Vision) et les Australiens (Plan 2010). Les bonnes idées ne suffiront peut-être pas. Quand la filière vins française dégage 1,6 % de résultat net, les Australiens, avec leurs entreprises intégrées, en dégagent 10 %.
(1) Comment mieux positionner les vins français sur les marchés d'exportation.
(2) Vins des Etats-Unis, d'Australie, d'Argentine, du Chili, de Nouvelle-Zélande et d'Afrique du Sud.
(3) www.vitisphere. com
Catherine BERNARD