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10 décembre 2020 4 10 /12 /décembre /2020 06:00

The Morgue at Paris. The Last Scene of a Tragedy.

Le verbe « morguer » signifie « regarder avec hauteur ». Première dérivation de sens, la morgue désignait l’endroit d’une prison où les guichetiers dévisageaient les prisonniers avant de les écrouer.

 

Fruit de mes lectures (Pages 109 à 111) :

 

Metropolis - Philip Kerr - Babelio

 

« Le centre d’exposition des morts du Hanno, appelé également « morgue de la police », portait bien son nom. C’était un spectacle populaire, le dernier d’Europe peut-être, où l’on pouvait voir les cadavres de ses compatriotes assassinés, dans toute leur dégradation anonyme, si épouvantable fût-elle. Les gens formaient une file d’attente de Hanoversche Strasse jusqu’à Oranienburger Tor pour voir « l’exposition ». Répartis dans des vitrines autour du hall central, les corps ressemblaient aux occupants du célèbre aquarium du zoo. Assurément, nombre d’entre eux paraissaient aussi léthargique qu’une murène antique ou un homard bleu hargneux. L’entrée était interdite aux enfants de moins de seize ans, mais cela ne les empêchait pas d’essayer de tromper la vigilance des gardiens, qui n’étaient pas employés par la police ni par l’hôpital de la Charité, situé en face, mais par l’hôpital vétérinaire municipal voisin. »

 

[…]

 

« … l’exposition du Hanno avait beaucoup de succès auprès des artistes berlinois. Je supposais, à tort, qu’ils suivaient en cela la tradition de Léonard de Vinci et, peut-être, de Goya en quête de modèles qui tenaient la pose sans bouger.

 

Mais ce mardi après-midi –là, je n’en vis qu’un seul au Hanno. Et m’étonnai de constater qu’il ne dessinait pas d’études anatomiques, mais uniquement des blessures – des gorges tranchées ou des torses éviscérés – et qu’il semblait s’intéresser uniquement aux femmes, nues de préférence. La quarantaine, trapu, brun, il était habillé, pour une raison obscure, en cow-boy. Une pipe à la bouche, il ne prêtait aucune attention aux personnes qui l’entouraient. »

 

« En dépit de son accoutrement excentrique – il portait même des éperons –, ce type était bel et bien un Berlinois. Clamer ses droits face à un officiel prussien était une réaction aussi typique que son accent.

 

« Dans ce cas, vous êtes mieux renseigné que moi, Herr…

- Grosz, George Ehrenfried Grosz.

 

[…]

 

« Ils étaient sur le point de m’exécuter comme déserteur quand la guerre s’est arrêtée. Mais ce que j’avais eu le temps de voir a influé sur mon travail. Définitivement, sans doute. Voilà pourquoi mes thèmes de prédilection sont le désespoir, les désillusions, la haine, la peur, la corruption, l’hypocrisie et la mort. Je dessine des ivrognes qui vomissent leurs tripes, des prostituées, des militaires avec du sang sur les mains, des femmes qui pissent dans votre bière, des suicidés, des hommes affreusement mutilés et des femmes assassinées par des hommes qui jouent au skat. Mais mon sujet de principal, c’est la métropole de l’enfer. Berlin. Avec ses excès incontrôlables et sa décadence, cette ville semble incarner l’essence même de la véritable humanité. »

 

George Grosz - 258 œuvres d'art - peintureGeorge Grosz Self-Portrait | National Portrait Gallery

Biographie George Grosz ICI 

 

Tandis que l’Allemagne post-Première Guerre mondiale vit les dernières heures de la République de Weimar et que Berlin est alors une cité interlope pleine de bars sombres et de trafics louches, l’extrême pauvreté qui y règne alors, la mafia berlinoise, « l’Unterwelt » (en allemand, «le monde souterrain »).

 

Les nuits berlinoises avant la seconde guerre mondiale ICI 

 

La Morgue, cette institution parisienne, n’est pas une invention du XIXe siècle. Dès le XIVe, les prisons du Châtelet comportaient un dépôt de cadavres dans la basse geôle. À cette époque les morts sont entassés, et on peut les voir au travers de guichets aux fins d’identification.

 

Les personnes qui reconnaitraient quelqu'un sont priées d'en informer les gardes.

 

Le XIXe siècle institutionnalise la Morgue, établie en deux sites au cœur de la capitale, à la pointe de l’île de la Cité, ouverte quotidiennement au public. Elle est organisée en deux salles séparées par une cloison vitrée, une salle d’exposition où les cadavres quasi nus, rafraîchis par un filet d’eau, sont exposés et une salle pour le public, très souvent affluent, qui défile. Plus tard s’adjoignent des espaces spécialisés, salle d’autopsie, salle de greffes, qui répondent à la vocation première du lieu, en même temps que sont progressivement tentés différents procédés de conservation, jusqu’à l’installation du frigorifique en 1897.

 

Ce ne sont pas seulement les bandes d’adolescents qui courent à la Morgue, ni quelques marginaux en mal de sensations. Bruno Bertherat nous indique dans ses recherches sur la Morgue que les journaux de l’époque parlaient de « foule », de « cohue ».

 

Au total, l’exposition publique n’a jamais cessé d’être au XIXe siècle un spectacle populaire. Un journaliste va jusqu’à affirmer, à la fin du siècle, que « la Morgue fait partie des curiosités cataloguées “choses à voir”, au même titre que la tour Eiffel, Yvette Guilbert (la célèbre chanteuse de cabaret rendue célèbre par Toulouse-Lautrec) et les catacombes ». On peut même dire que la Morgue a été l’un des monuments parisiens les plus visités du siècle

 

Deux enfants ont passé près de moi au coin du pont. Deux enfants du peuple, deux pauvres gamins, l’un ayant dix ans peut-être, l’autre sept, gais, frais, souriants, en guenilles, mais pleins de vie et de santé, courant, riant, ayant le loisir devant eux et la joie en eux. Le petit s’est penché vers le grand et lui a dit : « Passons-nous à la Morgue ? »

Hugo, V. (1987). Choses vues. Paris : Robert Laffont, p. 833.…

 

Face à cette curiosité fascinée dont se fait l’écho littéraire les auteurs célèbres et reconnus comme Zola, Hugo ou les frères Goncourt.

 

Les autorités publiques commencent à s’émouvoir. Selon les détracteurs de la Morgue, devenue spectacle tant populaire que bourgeois, la moralité publique est en danger, menacée, exposée aux pires vices, aux effets pervers. Des voix s’élèvent pour condamner la spectacularisation de l’exposition. On commence donc par couvrir d’une pièce de cuir le sexe des cadavres ( !). Autant dire que ce qui se cachait là était l’un des objets manifestes de la fascination. La censure montrait le censuré, comme le refoulant montre le refoulé. On cherche ensuite à interdire l’accès de la Morgue aux femmes et aux enfants.

 

En 1887, le magistrat Adolphe Guillot lance une campagne virulente pour la fermeture de l’établissement, qu’il obtiendra, soutenu par les criminologues et des psychologues de l’époque comme Gustave Le Bon, dont La Psychologie des foules qui connaît un grand succès sera commentée par Freud.

 

Aussi, par mesure d’« hygiénisme moral », la Morgue ferma ses portes sur un décret du préfet Lépine le 15 mars 1907. Cette fermeture fit l’objet d’un discours lyrique et démagogique du magistrat Guillot : ICI 

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