Le quotidien l’Union a publié le 27/12/2020 un article titré :
Bouilleur de cru pendant 47 ans à Corroy, il prend sa retraite
A 80 ans, Serge Poncelet prend sa retraite de distillateur d’eau-de-vie, après des décennies de labeur et de passion.
BARBONNE-FAYEL (MARNE) CORROY (MARNE)
Inexact la preuve ICI
14 janvier 2009
L’art de la goutte : « Ni la tête ni la queue »
Mon père, Arsène Berthomeau, possédait un alambic mobile, il était un « bouilleur ambulant », son père, mon grand-père Louis, propriétaire de quelques ares de vignes, en vertu de ce qu’il qualifiait du « droit de bouillir » ses lies*, une liberté fondamentale à qui les opposants, qui considérait ce droit comme une tolérance, donnait le nom de privilège, le fameux « privilège des bouilleurs de cru ». Louis Berthomeau était donc un « bouilleur de cru ». Mon père installait son alambic dans un atelier public établi en un lieu déclaré aux Indirectes, généralement près d’un point d’eau où l’on déversait les effluents). Donc la « goutte » je connais, les 10 ter, « la volante », les bonbonnes et les baricauts de gnôle issus de droits de défunts (le privilège n’était pas transmissible après les lois Mendès-France) en transit dans le grenier, le petit doigt sous le mince filet translucide, la vapeur de l’alambic dans les petits matins d’hiver, les briquettes de coke dans la gueule rougeoyante de la chaudière, la canadienne de mon père, le casse-croute sur le pouce des hommes…
* (tout propriétaires, fermiers, métayers ou vignerons pouvait distiller des vins, des cidres ou poirés, marcs, lies, cerises, prunes et prunelles provenant exclusivement de leur récolte personnelle à la condition de ne pas se livrer au commerce des alcools)
29 mars 2018
La canadienne du père Arsène bouilleur ambulant lorsqu’il distillait la goutte avec son alambic mobile ICI
Précision : Mon père, Arsène Berthomeau, exerçait la profession de bouilleur ambulant, du fait que nous avions des vignes il était aussi bouilleur de cru.
Le « privilège des bouilleurs de cru » a été supprimé en 1959 et ce droit s'éteint au décès des derniers détenteurs : il ne s'agit donc pas de la fin du bouilleur de cru, mais de la fin de son exonération, un privilège instauré par Napoléon pour ses grognards. Pas à l'individu mais au terrain dont il était propriétaire. Puis son fils, à son tour, et ainsi de suite.
Pierre Mendès-France, en 1959, a pris la décision par la voie législative, dans le cadre d'un plan national de lutte contre l'alcoolisme, de limiter la quantité d'alcool pur à 1 000 degrés, c'est-à-dire vingt litres d'eau de vie à 50 degrés par client et sans taxe. Une taxe importante était alors appliquée sur les litres supplémentaires. Ce privilège avait été accordé à celles et ceux qui avaient produit de l'eau de vie avant 1959 mais malheureusement n'était plus valable après la mort des ayants droit et non transmissible aux enfants.
Les distillations à domicile sont interdites. Les bouilleurs de cru doivent donc distiller ou faire distiller pour leur compte dans un atelier public ou dans les locaux des associations coopératives de distillation ou chez le bouilleur de profession dans les conditions fixées par l'administration des Douanes et des droits indirects. Les conseils municipaux ou les syndicats agricoles peuvent demander que soit ouvert au moins un atelier public de distillation par commune.
Il était une fois… Le destin de « Bobosse », trafiquant de calva et rêveur au long cours
Publié le 19 octobre 1994
ENQUÊTE
Trésors du « Monde ». Chaque dimanche, nous exhumons de nos archives un article marquant. Aujourd’hui, le portrait d’un personnage haut en couleur, décédé en 1994 : Honoré Boissière. En Normandie, il vendait de l’alcool artisanal, et bricolait d’improbables rafiots pour voyager.
Cet article est paru dans Le Monde du 19 octobre 1994
Ses copains le surnommaient « Bobosse ». Ils trouvaient ça moins guindé qu’Honoré, mieux ajusté à la carrure du bonhomme. On ne peut courir le monde, défier la maréchaussée et s’appeler Honoré. Autant s’affubler d’un surnom sur mesure, paré pour l’aventure et l’anticyclone des Açores. Lui, l’ami Boissière, soixante-dix ans et un destin de roman, c’était donc Bobosse, Bobosse d’Ouistreham, trafiquant de « calva », rêveur au long cours, flibustier aux cheveux blancs qui vendait la « goutte » pour bricoler ses rafiots et filer loin, très loin, par-delà le Cotentin.
Parvenu à bon port dans les mers à 30 °C, il écrivait des cartes postales, des petits bonheurs de bout du monde, avec des filles tout sourire et du soleil entre les lignes. Quand il sortait un thon, il en était si fier, ce vieux brigand, qu’il envoyait une photo de la bête. Mais l’autre matin, à l’heure du premier café, le téléphone a sonné au Coin du port, le bistrot des fidèles, à Ouistreham. A l’hôpital de Fort-de-France, Bobosse venait de lever l’ancre. Triste fin pour un baroudeur qui espérait sombrer par gros temps à la barre de son voilier.
A sa façon, Honoré Boissière était une gloire locale sur la Côte de nacre. Sa vie, en partie révélée par un long reportage du réalisateur Rémi Mauger pour France 3 Normandie, est de celles qui se content à mots gaillards, entre gens de mer et d’amitié : l’enfance, dans une famille d’ouvriers agricoles ; l’adolescence, avec l’Occupation et le débarquement ; l’armée, en Indochine. Et la suite, surtout la suite : l’usine, le calva, la prison, l’océan.
« Je ferai le tour du monde »
Au départ étaient donc l’usine et ce boulot d’ajusteur-outilleur appris sur le tas, en « fils de prolo », comme il disait. De Saïgon et du Mékong, il causait peu. Une « erreur de jeunesse », à l’entendre. Il préférait d’autres luttes, contre les patrons, pour les ouvriers. Permanent à l’union départementale de la CGT, il fut de toutes les mêlées des années 1960. « A Bobosse, rien d’impossible ! », rigolaient les camarades en le voyant foncer, tête baissée, persuadé que le meilleur chemin d’un point à un autre restait la ligne droite.
Il avait son caractère, genre fort en gueule et franc du collier. Il adorait déjà les bateaux, des coques de noix qu’il bichonnait à ses heures perdues. Il les baptisait à la faucille : l’Unité, la Fraternité… Mais personne ne le croyait trop quand il promettait : « Je ferai le tour du monde. »
Et la retraite arriva. 5 500 francs par mois. Une misère pour cet appelé du grand large. Manière de financer ses défis, il se fit donc trafiquant de calvados, un métier à risques, pratiqué par les patriarches du Bocage, le père Lariflette ou encore Edmond, dit « l’Ancêtre ». Fallait avoir ses entrées dans les fermes du « triangle d’or » du calva (Vire-Villedieu-Domfront) et convaincre les producteurs de brader leurs surplus. Comme les autres, il avait ses réseaux, une confrérie de paysans sans façon qui buvaient le coup et ne lésinaient pas sur les degrés. Il repartait le coffre plein, des bidons de 20 litres. 70, 72 degrés. Une boisson d’hommes, pour sûr.
A la revente aussi, il savait y faire. L’été, il visitait les campings. De bons clients, les vacanciers : 300 à 400 litres en trois heures de temps ! L’hiver, il sillonnait le pays, de Grenoble à Lille, démarchait les comités d’entreprise et les particuliers. A Ouistreham, il ravitaillait les ouvriers, sur les chantiers du port. Avant le premier coup de pioche, il était déjà là, coffre ouvert, verre en main.
Effluves suspects
Bobosse a été arrêté sept fois. Question de malchance ou de maladresse. Un jour, les gendarmes le cueillent au pied du pommier qu’il vient de provoquer. Un autre, il s’enlise en filant à travers champs. Il allume une fusée de détresse et fait flamber sa voiture. Les pandores flairent des effluves suspects, demandent ce que contenaient les bouteilles noircies. « De l’air ! », réplique le corsaire du Bocage. Au total, il a sacrifié ainsi quatre véhicules, des Citroën, « à cause des bonnes suspensions ».
En mars 1990, il parvient enfin à larguer les amarres. L’Espérance 1, voilier de bric et de broc, brave les interdits de navigation et le mène en Espagne, aux Canaries, au Sénégal. Honoré Boissière voit du pays, engrange des souvenirs pour ces nuits à fond de cale. Mais le périple prend fin le 23 février 1991, sur un récif plus têtu que lui, au large de Belem (Brésil). L’Espérance 1 coule en dix minutes, emportant le journal de bord, les photos, le matériel. Rapatrié en mars 1991, il découvre la prison. Pas bien longtemps : deux mois. Il écrit aux copains : « Me voilà à l’ombre. De la fenêtre, on voit des nanas. » Des « nanas », mais pas la mer.
L’homme est opiniâtre. A sa sortie, il reprend le chemin des fermes, réactive ses réseaux. Son nouveau bateau s’appellera l’Espérance II. Un autre chalutier sauvé de la casse et transformé en voilier blanc. Bobosse bricole le jour, la nuit, dort dans un camping-car ou chez un ami. Casse-cou, il risque quelques sorties en mer, des escapades à sa façon : droit devant. Le 10 juin 1992, un jour d’inattention, il heurte la coque d’un cargo. L’Espérance II s’en sort avec des égratignures.
Les « copains d’abord »
Quand la « goutte » lui vaut des misères judiciaires, Honoré ose des tirades à la Bobosse : « Vous n’avez pas devant vous un bandit, un assassin ou un voleur, pas même un délinquant. Vous avez devant vous un homme qui a lutté et qui continue de se battre avec ses moyens pour tenter de réaliser un vieux rêve : sillonner les mers. » Car il veut repartir. Oublier les amendes. Revoir les Antilles, ses « potes » des tropiques. Nouvelle traversée, la belle vie, « la tête au soleil, les pieds dans l’eau ».
Le 23 février 1994, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, les fidèles d’Ouistreham se cotisent pour lui offrir l’avion. Il passe deux semaines en Normandie, le temps d’embrasser ses petits-enfants et de faire la fête avec ses amis marins, une bande à la Brassens, des « pères peinards » façon Les Copains d’abord. Il leur parle des îles, des poissons, des pirates, de la mouette qu’il a sauvée, mais pas de politique, ni des patrons, parce que ça le met « toujours en rogne ».
Ce sera son dernier séjour au pays. Hospitalisé après un malaise au Venezuela le 21 septembre, il est ensuite évacué vers Fort-de-France, où il décède le 3 octobre. Quatre jours plus tard, il est enterré à Caen. Son bateau, lui, est toujours amarré là-bas, au terminus des rêveurs.