Vicky Krieps (Alma) et Daniel Day-Lewis (Reynolds Woodcock) dans « Phantom Thread », réalisé par Paul Thomas Anderson. LAURIE SPARHAM/FOCUS FEATURE
À toute chose malheur est bon, le confinement me fait découvrir des films d’exception que je n’ai pas vu en salle.
Phantom Thread de Paul Thomas Anderson avec Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville, 2 h 11 est de cette veine.
Daniel Day-Lewis fait partie des derniers grands acteurs, il « a annoncé qu’il tenait là son dernier rôle à l’écran. En attendant de savoir s’il se met à la retraite comme Greta Garbo ou comme Sarah Bernhardt, Phantom Thread donne la mesure du vide que Daniel Day-Lewis laissera. »
Daniel Day-Lewis, aux extrêmes de l’incarnation
L’acteur s’approprie ses personnages par une maîtrise totale de leurs gestes. Un investissement tel qu’il pense à chaque fois raccrocher. Son rôle d’un grand couturier dans « Phantom Thread » pourrait lui valoir un quatrième Oscar.
Pour Phantom Thread, il a passé un an auprès d’un maître costumier du New York City Ballet, Marc Happel, à perfectionner la broderie de la boutonnière. « On répète souvent, assure l’acteur, qu’en accomplir une centaine, gansée ou passepoilée, constitue un rite de passage, je m’y suis plié. » Il a également travaillé la technique, plus difficile à ses yeux, du drapé, dessinant des croquis à n’en plus finir. Il a eu des moments d’euphorie.
Dans sa manière de tenir les ciseaux, par exemple. Beaucoup s’en emparent avec lourdeur, avec la crainte d’endommager le tissu. Lui, à l’inverse, avait un usage aérien de l’outil pour, à chaque fois, couper avec la précision d’un laser, sur une surface réduite, avec plusieurs épingles dans la bouche.
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« Phantom Thread » : l’amour sous toutes les coutures
par Thomas Sotinel publié le 13 février 2018
Parmi toutes les gemmes que l’on accumule deux heures durant, en suivant ce « fil fantôme » qui donne son titre au film, il y a cette réplique : « Voyez-vous, l’aimer, lui, fait que la vie n’est plus un grand mystère. » On aimera Phantom Thread comme Alma (Vicky Krieps), l’immigrée d’Europe centrale, aime Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis), le couturier londonien. En s’abîmant dans le labyrinthe d’énigmes et d’illusions qui courent sous l’élégante surface du huitième long-métrage de Paul Thomas Anderson comme sous le maintien de gentleman du premier rôle masculin, au risque de réduire les autres films du moment à de simples évidences. Il est impossible d’évaluer le nombre de visions qu’il faudrait pour en épuiser les ressources.
Pourtant, rien de plus simple en apparence. Quelques années après la fin du Blitz, Reynolds Woodcock vit et travaille dans une belle maison de l’Ouest londonien. Chaque matin, il prend son breakfast en compagnie de sa conquête du moment et de Cyril (Lesley Manville), sa sœur, qu’il appelle affectueusement « my old so and so » (« ma vieille machine »), pendant que les employées de la maison Woodcock gravissent l’escalier de service jusqu’à l’atelier.
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Télérama
Critique par Pierre Murat
Dans les années 1950, Reynolds Woodcock est un couturier londonien fêté dont on se demande, tout de même, s’il a du talent, tant ses robes, toutes destinées à des altesses hors du temps, sont aussi glacées et figées qu’elles. Il ne pense qu’à son art et à sa mère, vit avec sa sœur, qui prend un visible plaisir à se débarrasser de ses conquêtes lorsqu’il s’en lasse. Mais la servante d’auberge qu’il choisit pour nouvelle égérie, Alma, diffère de toutes les autres. Woodcock tente bien de la réduire en utilisant ses armes habituelles — la séduction et la muflerie —, mais elle ne se laisse pas faire. Elle résiste, ce qui lui vaut des attitudes et des répliques de plus en plus blessantes…
Ce film aux sentiments engoncés et aux décors asphyxiants (avec ses escaliers étroits et ses murs resserrés, la maison de couture ressemble à un goulet d’étranglement) est probablement le plus cinglé jamais tourné par Paul Thomas Anderson. Certes, on n’y voit pas pleuvoir des grenouilles, comme dans Magnolia (1999). Mais avec ce couple que l’art réunit et que le quotidien sépare, le cinéaste a l’insolence de célébrer la passion, la démesure, l’amour fou qui se nourrit de tout, même du sadomasochisme, pour exister encore et toujours. Accepter de s’oublier, au risque de se perdre : François Truffaut avait évoqué ces tourments, jadis, dans La Sirène du Mississippi. Paul Thomas Anderson les porte jusqu’à l’incandescence.