Le confinement me pousse à une surconsommation de westerns et de vieux film américains ; le constat le plus criant est : les cow-boys, les malfrats, les justiciers type Clint Eastwood, les flics véreux, ont tous une sacré descente, ils sifflent des shots de whisky à un rythme d’enfer sans pour autant rouler par terre, du moins pour certains tout à la fin.
Selon la légende, les shots proviendraient de l’époque du Far West pendant laquelle les cow-boys en manque d’argent échangeait des cartouches de fusils/de revolver contre des petites quantités d’alcool. Sinon de façon plus réaliste, il s’agit juste d’un terme utilisé à partir de 1940 aux États-Unis pour parler de « petits verres destinés à servir du Whisky » (des verres de 4 cl)
Dans les films pas de problème, les verres sont souvent remplis de thé, alors est-ce une légende ou l’expression d’une réalité historique prouvée ?
Un peu d’Histoire donc :
Lorsque les colonies d’Amérique du Nord s’établirent, elles n’étaient que de simples ramifications de la culture éthylique européenne, et elles carburaient donc à la bière. Les pères pèlerins n’étaient pas supposés à l’origine débarquer à Plymouth Rock, mais le Mayflower étant à court de bière, ils avaient dû y jeter l’ancre.
Les nouveaux arrivants bâtirent des brasseries bien que l’eau de ce continent vierge fût potable : en bons Européens, ils hésitaient à boire de celle-ci…
Toutefois, la bière posait un problème de transport. Un tonneau de bière pèse son poids et, comparé à un tonneau de spiritueux, il ne contient pas énormément d’alcool. Vous, le pionnier mettent le cap à l’Ouest, vers un monde inconnu, avec un espace et un poids limités dans votre chariot, un tonneau de whisky vous soûlera beaucoup lus et plus longtemps.
[…]
Chaque fois qu’un américain s’aventurait dans l’Ouest sauvage, il emportait donc un tonneau de whisky (ou de cognac de pêche s’il s’en sentait d’humeur). Plus vous vous éloigniez de New-York, de Philadelphie, de Boston et du monde des buveurs de bière de la côte est, plus vous constatiez que la mousse traditionnelle laissait place aux alcools forts.
[…]
Hollywood aime représenter l’Ouest sauvage comme un monde de va-nu-pieds sans-le-sou, ou presque, une terre habitée par des hommes misérables et malhonnêtes…
C’est faux !
C’était là-bas que se produisaient les booms économiques – sur les mines, la fourrure, le bétail – alors que la main-d’œuvre manquait. Aussi les salaires ne cessaient-ils d’augmenter…
Le hic, c’est que les infrastructures ne suivaient pas assez vite. Il n’y avait ni routes, ni voies ferrées, ni tribunaux, ni shérifs. Pas de bars non plus (et très peu de femmes, mais nous y reviendront) Il en résulta une population composée en grande majorité d’hommes devenus riches qui ne pouvaient dépenser leur argent…
Donc, partout où se rendaient les travailleurs, le barman ambitieux n’était jamais loin.
Le premier saloon à avoir été désigné ainsi fut le Trou de Brown, en Utah. « Saloon » est le mot que j’emploierai pour le reste du chapitre. Sans doute l’idée était-elle de se donner un air légèrement guindé et français, ce que les premiers d’entre eux, situés sur la Frontière, ne pouvaient certainement pas revendiquer.
Je passe sur les ancêtres des saloons classiques : de simples tentes, une bâche, une planche posée sur deux tonneaux, le tour était joué. On y vendait du vrai whisky si on pouvait en acquérir un tonneau ou de l’alcool frelaté.
Après la tente vint la tranchée-abri, une sorte d’appentis creusé à flanc de colline… Quand le tavernier avait besoin de s’agrandir, il lui fallait dépenser 500 dollars pour une fausse façade de saloon. Le dernier élément de l’établissement était plus onéreux : le bar débarqua, taillé dans du bois dur et acheminé à dos de mule ; son prix était de 1500 dollars, transport compris.
Alors à quoi ressemblait lieu fini et comment était-ce d’y boire un coup ?
Hollywood nous montre un unique et énorme saloon situé au centre de la ville. Cette contrainte dramatique permet au héros d’y affronter le méchant…
Faux !
… il y avait des tas de saloons en ville…
Un saloon était souvent une bâtisse étroite, de préférence à un coin de rue, ce qui augmentait sa visibilité…
La fausse façade
Elle s’élevait sur deux étages et était clouée sur la vraie façade d’une maison d’un étage…
La fausse façade était ouvragée, avec de fausses fenêtres au second étage, et parfois même une gouttière pour un toit qui n’existait pas en réalité…
La fausse façade était un mensonge universel et flagrant qui, pour une raison mystérieuse, ne semblait gêner personne en Amérique.
La fameuse porte à double battant
Faux !
Elle passe formidablement bien à l’écran, mais dans la réalité, les portes étaient d’un modèle à peu près classique.
Dans les films, vous vous retrouvez ensuite face au bar. Autre erreur, car vous êtes en fait dans une salle longue et étroite, et le bar se trouve au fond, sur un côté, presque toujours le gauche. Il est réellement de toute beauté : sculpté, en bois dur – souvent en acajou ou en noyer –, verni au-delà de l’imaginable.
Sur le mur derrière le bar est accroché le miroir. Lui aussi est soigneusement astiqué car il vaut une somme rondelette. Il fait la longueur du bar et est lui aussi le symbole du statut du patron…
Le miroir a néanmoins une fonction, peut-être même deux. Il permet à ceux qui sont assis au bar de garder un œil sur quiconque approche dans leur dos. Et il leur donne l’occasion de lorgner la dame en costume d’Ève : le tableau est accroché sur le mur opposé – Il s’agit d’un nu voluptueux, de style pseudo-classique, pas exactement pornographique mais pas trop guindé non plus. La pose sage et les dentelles cachent les parties les plus intimes du modèle…
Le long du bar, à quelques centimètres au-dessus du plancher couvert de sciure, est fixé un rail en cuivre. Son rôle demeure obscur. Mais les clients n’avaient pas l’impression d’être dans un saloon tant qu’ils n’avaient pas posé un pied dessus. Fait étrange, au moment de l’instauration de la Prohibition en 1920, c’est ce rail qui manqua le plus aux clients qui leur fit verser des litres de larmes de nostalgie.
On peut s’en étonner dans la mesure où cet accessoire était probablement gluant de salive. Par terre, à intervalles réguliers – idéalement tous les quatre clients – étaient en effet disposés des crachoirs. On aurait pu croire que les consommateurs souffraient de rages de dents, en réalité, ils chiquaient tous du tabac.
Donc, vous placez votre botte (maculée de crottin) sur le rail de cuivre (gluant de salive) et le barman s’approche de vous et vous demande : « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? »
En voilà une bonne question, pour avoir la réponse deux possibilités :
- acheter Une brève histoire de l’ivresse de Mark Forsyth
- ou attendre une éventuelle chronique de ma pomme !