Un fermier Amish laboure son champ dans le Wisconsin (Etats-unis).
Voici donc la suite, je n’ai rien à ajouter, à vous de lire et de commenter.
Bonne fin de lecture.
Explosion de la pauvreté et réorganisation du capitalisme.
Avant que nos esprits ne soient occupés par les attentats barbares des islamo-fascistes, un autre sujet d’indignation commençait à faire la une des journaux, l’explosion de la pauvreté, en France et sans doute ailleurs, conséquence de l’arrêt de l’économie décidée dans une grande partie du monde au printemps de cette année. Les organisations caritatives parlent d’un million de pauvres en plus en France en raison de la situation économique. Le plan de relance annoncé par le gouvernement qui mobilisera 100 milliards d’euros sur les trois ans à venir ne s’intéresse que bien peu à ces nouveaux pauvres, pas plus qu’aux anciens à vrai dire, puisqu’ils bénéficieront de moins d’un milliard d’euros sur les 100 milliards annoncés pour « relancer » l’économie.
Le gouvernement souhaite avant tout relancer l’activité des entreprises. Elles bénéficieront de prêts et de subventions sans contreparties environnementales ou sociales, sans cohérence non plus avec les discours de printemps du Président de la République qui voulait alors rallumer la flamme de la confiance en parlant « des jours heureux » que nous allions retrouver après la crise, des jours dans lesquels la priorité serait donnée à la solidarité et à la restauration des conditions de vie des Français compromises par un mode de développement insoutenable.
L’économiste Robert Boyer note avec beaucoup d’à-propos que la description de la situation ouverte par le confinement du printemps 2020 en utilisant les mots de l’économie est totalement inappropriée. Il ne s’est pas agi d’une crise économique, mais d’une décision politique d’arrêter l’activité économique dans une grande partie de la planète. Les plans dits de relance sont en fait des programmes d’indemnisation des pertes subies par les entreprises à raison des décisions politiques qui ont été prises. En pratique, la mise en œuvre en trois ans de ces programmes risque d’avoir un effet limité sur la croissance économique. Ils visent à relancer la production, à conforter l’offre, alors que l’impact de la perte de revenus des centaines de milliers de personnes qui sont au chômage partiel et de toutes celles qui ont perdu leur emploi et leurs revenus, notamment les intérimaires, pèsera fortement sur la demande.
Le même Robert Boyer constate que la mise à l’arrêt de l’économie mondiale a été l’occasion d’une accélération de la transformation du capitalisme. Les activités traditionnelles, en particulier les activités mobilisant une main-d’œuvre qualifiée et des technologies de pointe comme la construction aéronautique ou l’industrie automobile sont très durement touchées et en régression. Dans le même temps, l’économie des plates-formes est en plein développement. Elles se présentent abusivement comme l’économie de la technologie alors qu’elles ne sont bien souvent qu’un moyen de mise en réseau de services rendus par des personnes peu qualifiées, soumises à une exploitation renforcée sans la protection apportée par un contrat de travail.
D’après Novethic, au premier semestre 2020, l’augmentation de la capitalisation boursière d’Amazon (commerce en ligne) a été de 401,1 milliards de dollars, suivi de Microsoft (informatique) avec 269,9 milliards de dollars, puis Apple (informatique) 219,1 milliards de dollars, Tesla (voitures électriques) 108,4 milliards de dollars, Tencent (jeux vidéo) 93 milliards de dollars, Facebook (réseau social) 85,7 milliards de dollars, Nvidia (informatique) 83,3 milliards de dollars, etc.
Ce n’est donc pas la crise pour tout le monde, et l’on peut craindre que ce mouvement ne soit irréversible après que les moteurs plus anciens de l’activité économique ont été mis à l’arrêt et peinent à redémarrer. On peut noter que cette mise à l’arrêt n’empêche pas la poursuite des restructurations (Renault, Thales, Bridgestone, etc.) et le marché mondial des fusions acquisitions en 2020 se porte extrêmement bien.
Dans le même temps, nous avons appris dans la première quinzaine d’octobre l’échec des négociations engagées dans le cadre de l’OCDE pour définir un cadre commun permettant de taxer les profits de ces compagnies que l’on désigne souvent par le sigle GAFA, construit avec le nom de quatre sociétés importantes du secteur. Mais nous avons vu qu’il y en avait bien d’autres. Elles localisent leurs profits dans les pays leur offrant la plus faible taxation et non là où elles réalisent leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices. Ce faisant elles organisent une évasion fiscale massive, en réalisant des profits considérables et en employant des centaines de milliers de personnes en dehors de toutes les garanties normales accordées par la législation du travail des pays avancés.
Rappelons que l’union européenne avait indiqué qu’elle financerait son plan de relance notamment par une taxation de ces entreprises ; mais on voit mal comment elle pourra y parvenir après l’échec des négociations multilatérales sur le sujet et alors que la cour de justice européenne a annulé purement et simplement les redressements significatifs qui avaient été imposés à ces sociétés par la commissaire européenne à la concurrence.
Et puis les « réformes » et la modernisation du pays toujours recommencée…
Il y a quelques semaines également, les mouvements de protestation se développaient au sein des universités contre le projet de loi de programmation de la recherche pour la période 2021/2030. Celle-ci est accusée par les enseignants-chercheurs d’augmenter leur précarité, de renforcer la bureaucratisation de la recherche et d’accélérer son déclassement mondial. Emmanuelle Charpentier, microbiologiste de nationalité française, a reçu au début du mois d’octobre le prix Nobel de chimie, avec Jennifer Doudna, pour des travaux qu’elle a réalisés aux Etats-Unis. Elle a déclaré après l’annonce du couronnement de ses travaux qu’elle n’aurait pas trouvé les mêmes conditions de travail en France qu’aux USA et que cela expliquait son choix de l’avoir quittée depuis 20 ans. Difficile dans ces conditions de présenter ce prix Nobel comme la confirmation du bon fonctionnement de notre système d’enseignement et de recherche.
La décision d’Emmanuel Macron de déployer la 5 G, justifiée par la supériorité du modèle de développement français sur celui des Amish, commençait également à indigner, à faire polémique, à susciter des motions de nombreux conseils municipaux refusant de déployer cette technologie sur leur territoire pour des raisons économiques et sanitaires. Beaucoup considèrent qu’il aurait fallu suivre la recommandation de la « conférence citoyenne sur le climat » consistant à attendre les résultats des études scientifiques sur l’éventuel impact sanitaire de cette technologie avant de prendre une décision. Les critiques sur son utilité et sur son impact environnemental, notamment en raison de la quantité supplémentaire d’énergie nécessaire à son fonctionnement, radicalement contradictoire ce qu’il faudrait faire pour assurer la transition énergétique, sont également très nombreuses.
Je pourrais multiplier les sujets qui ont suscité en moi de l’indignation en si peu de temps.
Par exemple le projet de loi « Accélération Simplification de l’Action Publique » ou ASAP, en cours d’examen par l’Assemblée nationale qui sous couvert de simplification du fonctionnement de l’administration risque de remettre en cause l’essentiel des mécanismes de concertation préalable à la réalisation de projets néfastes à l’environnement, en confiant le pouvoir de décision au seul préfet.
Comme il faudra bien le moment venu rééquilibrer les finances des grands dispositifs de protection dont nous bénéficions et comme le refus d’augmenter les impôts sur les revenus perçus par les plus riches est un postulat de l’action des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron, l’ajustement ne pourra se faire que par les « réformes », c’est-à-dire par la réduction des garanties dont bénéficient les retraités, les chômeurs, etc. C’est pourquoi on reparle de la réforme de ces grands dispositifs.
Il faudrait aussi que nous prenions parti dans le conflit qui oppose l’Arménie, peu soutenue par la Russie, à l’Azerbaïdjan, très soutenu par la Turquie qui conduit par ailleurs une politique très agressive en Méditerranée. Que nous ayons un avis sur la réforme de la politique agricole commune qui se discute à Bruxelles, dont le budget sera diminué dans les années qui viennent et qui fait l’objet d’intenses tractations pour déterminer les bénéficiaires de la répartition de ce qui restera. Comme elle devra être plus respectueuse de l’environnement et conduite dans un cadre plus national que par le passé, sans que cette renationalisation ne permette de fausser la concurrence entre les agricultures des différents états membres, on voit que le défi est de taille !
Et puis, on discute à Bruxelles aussi de notre objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 : réduction de -55 % par rapport à 1990 disent les modérés ; -60 % réclament les plus écologistes. Dans les deux cas il s’agit de réaliser en 10 ans une réduction plus importante que celle qui a été réalisée en 30 ans par l’Union européenne, alors même que dans ce processus le début est plus facile que la fin. Il est facile d’éliminer les industries très polluantes, de passer du charbon au gaz, de réduire la consommation des véhicules et des machines jusqu’à un certain point. Mais les cinq derniers pour cent de réduction seront plus difficiles et plus coûteux à obtenir que les cinq premiers. L’INSEE vient d’ailleurs de publier une étude dans laquelle elle évalue l’investissement nécessaire pour parvenir à la « neutralité carbone en 2050 » à 100 milliards d’euros par an, simplement en France. Faut-il alors avec une partie des députés européens et des associations en France s’insurger contre les décisions trop timorées qui se préparent au sein de l’union européenne ou se ranger dans le camp des « réalistes » ? Les ressources financières et matérielles pour réaliser une telle transformation existent-elles ? Il est malséant de poser ces questions et le débat ne porte que sur les 5% qui séparent les vrais écologistes des autres.
J’aurais pu allonger considérablement la liste des sujets ayant fait l’objet de polémiques au cours des deux ou trois dernières semaines. Cette accumulation nous rend fous. Parce que nous réagissons aux informations qui nous parviennent, dans la forme sous laquelle elles nous parviennent, nous ne réfléchissons plus.
Pouvons-nous passer de l’indignation qui nous étouffe à la réflexion et aux propositions ?
Existe-t-il une ou plusieurs idées ou propositions qui puissent résumer mes indignations, leur donner un sens, me permettre de sortir du labyrinthe dans lequel je me heurte à des impasses successives ?
J’en vois quelques-unes.
1. Nous avons besoin de souffler, de ralentir le rythme: l’énumération non-exhaustive des sujets qui nous ont occupés au cours des trois dernières semaines montre qu’il est impossible pour un citoyen dont ce n’est pas le métier, de suivre la vie publique. La multiplication des lois, décrets, réformes en tous genres est le moyen le plus efficace pour couper les citoyens de toute possibilité de contrôler l’action publique. Le bruit qui assourdit et abrutit est plus efficace que le secret pour permettre à l’exécutif d’agir à sa guise. Alors, il faut le dire, la société française n’a pas besoin de réformes permanentes, elle a besoin qu’on lui fiche la paix, que l’on garantisse aux citoyens la continuité des services publics dont ils ont besoin, la certitude qu’ils ne seront pas sans revenus demain parce que leur usine aura été délocalisée ou leur retraite mise en cause. La tranquillité d’esprit est la principale condition de l’efficacité et de la créativité. Le rôle des responsables publics n’est pas de bousculer le pays et les gens qui l’habitent, mais de leur permettre de vivre dans la liberté, l’égalité et la fraternité.
2. Une des mesures qui permettrait de ralentir la frénésie réformatrice serait de restaurer le mandat présidentiel de sept ans. Ce serait une réforme bien insuffisante d’une constitution profondément inadaptée à la politique d’aujourd’hui et à une véritable démocratie, mais elle aurait beaucoup de conséquences positives. La cohabitation entre un Président et un premier ministre n’ayant pas la même orientation politique est la meilleure des choses qui puisse nous arriver dans notre régime exagérément présidentiel. Elle oblige au compromis et freine les ardeurs réformatrices qui peuvent se donner libre cours en l’absence de contre-pouvoir réel. Elle redonne un peu de sens à l’élection du Parlement. Elle devrait être soutenue par les Gaullistes au nom de la fidélité au fondateur, et par tous ceux qui veulent corriger les excès de notre monarchie républicaine et savent qu’il n’y aura pas de sitôt une majorité parlementaire pour la réformer en profondeur.
3. La plupart de nos problèmes peuvent être réglés sans bouleverser notre ordre juridique. L’islamo-fascisme sera vaincu si une politique cohérente et continue est conduite. Nous serions plus à l’aise pour défendre la laïcité si nous la respections pleinement. La République ne reconnait ni ne salarie aucun culte, dit la loi de 1905. Elle ne devrait donc financer aucune école privée confessionnelle, quelle que soit la confession dont il est question. L’argent ainsi épargné pourrait utilement être réorienté vers l’école publique qui en a bien besoin. Les responsables politiques, de droite ou de gauche doivent récuser publiquement toute possibilité d’accord avec les groupes ou associations qui veulent imposer leur foi comme règle d’organisation de l’espace public, ne respectent pas les principes de la République, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes et la neutralité des services publics. La religion est une affaire privée. La laïcité c’est la primauté des lois de la République, seules reconnues comme principe d’organisation des relations sociales, sur la foi qui ne saurait prévaloir ni à l’école, ni dans l’exercice de nos libertés. Les financements étrangers des associations religieuses doivent être interdits et les prédicateurs détachés renvoyés dans leurs foyers.
4. Pour que les institutions soient respectées, il faut d’abord que ceux qui sont chargés de les diriger et de les protéger les respectent. Les affaires concernant deux ex-présidents de la République, un ancien Premier ministre ou le Conseil constitutionnel, rappelées ci-dessus, montrent que ce n’est pas le cas. Les responsables politiques devraient être traités comme des citoyens ordinaires sur le plan pénal. Ils ne doivent pas pouvoir être poursuivis pour les fautes des services dont ils ont la charge s’ils ont fait leur travail et si la faute ne leur est pas directement imputable. Ils doivent pouvoir être poursuivis comme tout citoyen lorsque la faute est intentionnelle et leur est directement attribuable.
5. L’égalité et la fraternité sont deux valeurs intimement liées de la République. La fraternité ne consiste pas à donner quelques aides aux pauvres après les avoir réduits à la pauvreté. La fraternité suppose l’égalité, l’égalité réelle, pas la fausse égalité des chances entre ceux qui partent avec les ailes d’Hermès aux sandales et ceux qui doivent courir le cent mètres avec des semelles de plomb. Il faut redistribuer. En 1945, la dette publique française représentait 160% du PIB. Ce n’est pas grâce au plan Marshall qu’elle a été remboursée, mais grâce à l’impôt sur le revenu dont le taux a été relevé jusqu’à atteindre 74% pour sa tranche supérieure. Il faut donc faire l’inverse de la politique suivie depuis trop longtemps au nom de la capacité des plus riches à enrichir toute la société et augmenter l’impôt sur le revenu des plus riches.
6. Les relations entre l’Etat et les entreprises, en particulier celles dont il est actionnaire, doivent être revues. Les représentants de l’Etat dans les entreprises dont il est actionnaire agissent parfois pour défendre des intérêts inavouables, mais ils sont le plus souvent paralysés par les règles qu’ils se sont imposées. L’Etat actionnaire est souvent malavisé et presque toujours impotent. Si la possession d’actions ne permet pas à l’Etat de peser sur la direction d’une entreprise, il vaut mieux qu’il investisse cet argent ailleurs. Or, actuellement l’Etat reste actionnaire de nombreuses entreprises sans que l’on comprenne ce qu’il veut en faire. Le rôle de l’Etat actionnaire doit être redéfini, pas par l’inspection des finances, mais par le Parlement.
7. Les réseaux dits sociaux, sont la meilleure et la pire des choses. Ils ne sont pas responsables de tous nos maux, mais les entreprises américaines ou chinoises qui les contrôlent sont trop puissantes et exploitent ce que nous leur donnons pour étendre le champ de leur contrôle. Une campagne de désinscription massive – avec un objectif de plusieurs millions de désinscriptions en France- de ces réseaux serait plus efficace que toutes les tentatives d’en censurer les contenus qui buttent forcément sur la défense de la liberté d’expression qui ne peut pas être à géométrie variable. L’effondrement de Facebook ou de Tik Tok serait l’occasion d’essayer de trouver une réponse à la question du contrôle des réseaux sociaux, de leur fonctionnement et de leur utilité dans nos relations sociales et la construction d’une société plus vivable. Pourquoi faudrait-il accepter durablement dans ce domaine la domination de quelques groupes sans foi ni loi, en même temps qu’il nous semble naturel de faire la promotion des circuits courts, de la petite boutique face aux géants de la distribution, etc. ?
Qu’on le veuille ou non, la démocratie ne vivra pas grâce à internet et aux conférences citoyennes de consensus. Elle ne vivra que par l’engagement des citoyens organisés en partis politiques défendant des programmes et proposant une analyse de la société et de la façon dont on souhaite qu’elle vive, de sorte que nous ne soyons plus face aux évènements comme des lapins aveuglés par les phares d’une voiture, incapables de nous orienter, mais des citoyens capables non seulement de s’indigner, mais de formuler un jugement rationnel sur l’état des choses et des propositions partagées de façon suffisamment large pour le faire évoluer. Je ne règle pas le problème en disant cela. Reconstruire un parti n’est pas une mince affaire.
Le 21 octobre 2020
Jean-François Collin