Suis en avance, elle n’est jamais à l’heure c’est ce qui fait son charme, alors je pousse la porte de la librairie d’en face, je suis mon parcours habituel en zigzaguant entre les rayons, j’hume, j’effleure leur robe, je les retourne pour lire la 4e, je les ouvre, je lis.
Pour la Scierie la couverture a attiré mon œil, m’a séduit, sobre, dessin enfantin, numéroté 673368, et surprise estampillée récit anonyme.
J’ouvre :
J’achète.
Comme l’écrit sur le site Babelio un critique fanfanouche24 09 janvier 2014
« J'ai lu ce texte en une soirée, happée par la tension extrême du récit… »
Sa référence au film de Robert Enrico (1965) « Les grandes gueules », avec Bourvil, Lino Ventura… que je venais juste de revoir sur une chaîne du câble m’a plu.
« Ce monde d'hommes, dans cet univers particulier des marchands de bois, des scieries, des bûcherons, ...une violence entre les hommes liée à la dureté du travail…On retrouve à des niveaux différents, une âpreté terrible, approchante… »
Je lui laisse donc la plume :
« Il s'agit d'un véritable Ovni littéraire...
Un récit authentique sans fioriture… qui dit la violence d'un certain monde du travail, celui des scieries, des travaux de force en plein air, dans des conditions très éprouvantes, les « vacheries » que se font les ouvriers entre eux, alors que le travail est dangereux, et que les tâches nécessitent une solidarité vitale… - La scie, ce putain d'outil qui m'en fera tant baver pendant dix-huit mois. La lame, jamais fatigué, qui exige le travail de dix hommes pour la nourrir, pour la satisfaire- (…)
Cette vision de la rencontre de la lame et du bois, je ne l'oublierai jamais. Elle est d'un intérêt toujours renouvelé. Cette rencontre s'appelle – l'attaque-. Dans une scierie, tout le monde regarde l'attaque, le profane comme le vieux scieur qui, le front plissé, souffre avec sa scie, comme l'affûteur qui devine, rien qu'au bruit, si la lame coupe ou non.- (…)
Ce n'est pas pour rien qu'on appelle la scierie le bagne. Sortir de là-dedans, c'est une référence. Le gars qui a tenu le coup-là-dedans le tiendra partout, il porte la couronne des increvables. Mais cette couronne, il faut la gagner, il faut la payer, et elle se paye cher. (p.78)
Les descriptions du travail des gars à la scierie, par tous les temps, sont tellement « parlantes »et intenses… que nous, lecteurs, entendons les bruits infernaux de la scierie, des lames, des jurons des gars, souffrons avec ces hommes rudes, teigneux… mais aussi parfois tout simplement vulnérables comme des gosses. – Des fois, nous avons des accès de cafard qui se manifestent par des crises de rage ou d'abattement. Il ne reste alors, dans la pauvre cabane perdue dans la tempête et dans les bois, que deux grands gosses qui se serrent près du mauvais poêle- (p.99)
-Il m'entraîne et passe la main sur mes cheveux poissés et emmêlés. J'en pleure de plus belle. Il n'y a rien de tel que les brutes quand ils essaient d'être doux. C'est maladroit, gauche, empressé, en somme très sympathique et très marrant. (…) J'ai envie d‘être dorloté, tout simplement. Il est beau, le dur, le bûcheron ! Tout ce qui l'intéresserait, pour le moment, serait d'avoir une femme, pour se cacher la tête dans ses jupes. (p.107)
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Coup de cœur littérature française par L'équipe du Bateau Livre (Libraire)
Drôle de texte que ce petit opus anonyme, préfacé par Pierre Gripari, qui déclare que la lecture de "La Scierie" lui a permis de trouver son propre style. D’ailleurs selon les rumeurs, l’auteur ne serait autre que son propre frère… Publié une première fois 20 ans après écriture, on doit aux éditions Héros-Limite la remise en avant de cet ouvrage des années 50, qui vient de décrocher le prix Mémorable décerné par les librairies Initiales.
Un jeune homme d’origine bourgeoise se retrouve obligé de travailler car il a échoué à ses examens et ne sera pas appelé pour le service militaire avant deux ans. Plutôt que d’exercer un métier qui correspondrait à son milieu, il va chercher à se confronter au monde des travailleurs manuels, et c’est dans une scierie qu’il échouera. Attendu au tournant – les hommes ne se font pas de cadeaux dans le métier – il démontre un talent et surtout une ardeur au travail qui lui vaut rapidement le respect de la communauté. Mais jusqu’où peut-on repousser ses limites ?
Si "La Scierie" transpire la sueur, l’odeur des copeaux de bois, la brutalité des machines et des hommes qui les manipulent, l’ensemble dégage une grande poésie, qui charmera même ceux que le sujet n’attire pas de prime abord !