Hier j’ai étrillé le sémillant FRANZ-OLIVIER GIESBERT en tant qu’éditorialiste politique en surnuméraire au POINT, j’ai lu quelques-uns de ses romans qui ne m’ont guère convaincu de son talent d’écrivain. Il a écrit depuis 1972, plusieurs ouvrages sur François Mitterrand. Il a toujours suivi le président de près, tenant constamment à conserver et à honorer son rôle de journaliste indépendant. Après la mort du président, Giesbert décida de refondre ses ouvrages en un seul : François Mitterrand, une vie, une biographie scrupuleuse et profonde, portrait saisissant d'un personnage insaisissable.
Ce garçon est très cultivé, sa plume est fort bien aiguisée, comme en témoigne son dernier billet littéraire intitulé Saint François Mauriac, priez pour nous ICI
Pour le cinquantenaire de la mort de l’écrivain journaliste, son mythique Bloc-notes est réédité. Un bonheur de lecture et d’intelligence qui ne doit pas faire oublier les travers du personnage…
Je le lisais lorsqu’il était publié dans Le Figaro littéraire.
FOG s’en donne à cœur joie je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager sa verve.
En littérature, il y a plusieurs types de journaux. Ou bien ils sont à la gloire de l’auteur, qui travaille à son autopromotion. Ou bien, chose plus rare, ils auraient pu être écrits par son pire ennemi. Ou bien ils racontent une époque. Le Bloc-notes de François Mauriac, paru dans L’Express, puis dans Le Figaro littéraire, procède des trois genres en même temps.
On dit souvent de Mauriac qu’il était meilleur chroniqueur qu’écrivain. Le poète et le dramaturge sont oubliés, recouverts de pelletées de terre. Quant à l’auteur du Sagouin ou de Thérèse Desqueyroux, il n’a certes jamais cassé trois pattes à un canard, mais c’était un bon façonnier, une sorte de Maupassant de poche du Sud-Ouest qui sait trousser des histoires.
Le chroniqueur rehausse-t-il le romancier ?
Le tenancier du plus célèbre des Bloc-notes écrit pur, sans gras, en se regardant sans arrêt dans la glace. Aussi décrépit soit-il, il s’aime comme s’il avait 20 ans. Ivre de componction et de contentement, il ne rate jamais une occasion de se tresser des couronnes, n’hésitant pas à épiloguer longuement sur la grand-croix de la Légion d’honneur qui lui est décernée, sur proposition du général de Gaulle, en 1958.
Homosexuel caché, contrairement à André Gide ou à Julien Green, il est perpétuellement dans la pose et ne nous offre jamais un moment de doute, d’abandon. Aspergé d’eau bénite et confit de bons sentiments, son Bloc-notes sent cette odeur de renfermé si particulière des sacristies, les anciens enfants de chœur me comprendront. Pour un peu, on dirait que Mauriac concourt pour une place dans Le Grand Livre des saints, entre saint François d’Assise et saint François de Paule.
Au fil des pages et des jours, Mauriac repousse toujours plus loin les limites de la fatuité. Il revient souvent sur son « œuvre », un mot qu’il affectionne, son prix Nobel reçu en 1952, ou encore les dernières nouvelles de l’Académie française, dont il aura été l’un des parangons pendant près de quatre décennies. Il ne souffre pas qu’un gougnafier ait osé écrire que sa littérature « n’avait pas de dimension cosmique » et lui répond, blessé, en long et en large, qu’il ne se sent pas à l’étroit dans le monde intérieur, celui des âmes.
Il y a beaucoup de puérilité dans ce grand homme qui ne cesse de se rapetisser en érigeant sans répit sa statue. Un comportement assurément peu catholique quand on a tout le temps le mot de Dieu à la bouche. Tout le contraire de celui de l’immense Simone Weil, qui écrivait dans La Pesanteur et la Grâce que, pour accéder à la vérité du monde, il faut « se dépouiller » de sa « royauté imaginaire ». Devant la bouffissure de Mauriac, on a envie de l’inviter à descendre un moment de son ciel pour lui intimer, comme les anciens maîtres d’école, d’écrire cinquante fois sur son cahier la grande phrase de l’Ecclésiaste, qui ne figure manifestement pas parmi ses lectures : « Vanité des vanités, tout est vanité. »
D’où vient, alors, l’espèce de fringale qui vous prend quand on entame la lecture de ce monument journalistique qu’est ce Bloc-notes publié en coédition par Robert Laffont et Mollat dans la collection « Bouquins » ?
C’est que ce livre nous parle de nous et qu’il est resté incroyablement actuel quand l’auteur évoque, par exemple, « l’effroyable disproportion entre l’Histoire et les petits hommes qui se bousculent pour la faire ».
Ou quand il note qu’en France « la droite et la gauche sont la trop équivoque expression d’une inimitié foncière, enracinée dans les siècles ». Et de rappeler qu’après les Gaulois et les Francs, les seigneurs du Nord contre les Albigeois, « Armagnacs et Bourguignons, huguenots et catholiques, patriotes et émigrés, antidreyfusards et dreyfusards, collaborateurs et résistants donnent des noms successifs à cette haine ininterrompue, diversement colorée par les remous de l’Histoire. »
S’il porte à de Gaulle le regard énamouré que devait avoir, dans sa grotte de Lourdes, Bernadette Soubirous pour la Vierge Marie, c’est parce que le Général a été l’un des rares personnages historiques à réaliser la synthèse entre toutes ces passions, ces remugles. Ce qui n’empêche pas Mauriac d’avoir un gros faible pour Mendès France ou un petit pour Mitterrand.
Un style qui perce, éventre, dépiaute, comme une épée, où s’enchaînent les vacheries sur ses contemporains et les formules qui claquent.
Rajeunir en vieillissant. Pour couronner le tout, fascinante est la prescience de Mauriac qui, avec son œil de lynx, lui permet d’avoir plusieurs années d’avance sur tant de sujets, à commencer par l’inévitable décolonisation en Algérie ou le nécessaire retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958. Avec ça, un style qui perce, éventre, dépiaute, comme une épée, où s’enchaînent les vacheries sur ses contemporains et les formules qui claquent : « Il ne sert à rien à l’homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la Terre. »
Ces pages sont un bonheur de lecture et d’intelligence. Il serait complet si l’auteur consentait, de temps en temps, à laisser son habit vert d’académicien brodé d’or sur un portemanteau pour se présenter à nous nu et sans apprêt, comme un écrivain, un vrai. Même si, comme l’observe son préfacier et biographe Jean-Luc Barré, il n’a cessé de rajeunir en vieillissant, il y a chez Mauriac quelque chose qui le retient sur son estrade où, toujours en représentation dans la comédie des apparences, il n’est jamais vraiment lui-même.
En attendant, ses chroniques sont très souvent irrésistibles : avec ses contradictions et son honnêteté, il nous donne une grande leçon de journalisme, denrée périssable s’il en est. Obsédé par la postérité, ce « discours aux asticots », comme disait Céline, François Mauriac croyait qu’il y accéderait par la littérature. Las ! C’est, ô paradoxe, la recension de l’éphémère qui l’a sorti du purgatoire où il purgeait sa peine depuis sa mort, en 1970.
Son Bloc-notes reste un témoignage incomparable sur un temps englouti que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître et dont il égrène, entre fulgurances, bondieuseries, saillies ou nécrologies, les notes d’un long glas. Il nous prouve la débilité du vieux dicton qui prétend que le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir.
Que resterait-il de son « œuvre » sans ce magistral et majestueux Journal ?
Le Bloc-notes, de François Mauriac. Préface de Jean-Luc Barré, édition établie et annotée par Jean Touzot (« Bouquins », Robert Laffont/ Mollat, 2 tomes, 1 344 p., 32 € chacun).
À lire aussi Correspondance intime, de François Mauriac. Réunie et présentée par Caroline Mauriac (« Bouquins », Robert Laffont, 768 p., 30 €). François Mauriac, biographie intime, de Jean-Luc Barré (Éditions Pluriel, 736 p., 15 €).