À genoux sur un prie-Dieu, je me bats la coulpe, me couvre la tête de cendres, je confesse, qu’encore gamin, à l’école d’agriculture de la Mothe-Achard, dans les vignes d’hybrides à numéros et cépages interdits, du frère Bécot, maintenant chers à Lilian Bauchet, je détestais vendanger. Passer mon temps de travaux pratiques, 3 heures chaque matinée, à couper des grappes avec un sécateur me paraissait une geste bien peu à la hauteur de mon futur métier de paysan que je n’embrasserai jamais.
Dans les vignes du pépé Louis, du même acabit pour les cépages, je préférais conduire Nénette, notre vieille jument, le tombereau plein de grappes de raisins. Ce que j’aimais au Bourg-Pailler, c’était le vieux pressoir monté sur des roues en fer qui, en la période de vendanges, était installé sur le trottoir du devant de la bâtisse. Un monument de bois circulaire, ses grosses poutrelles entassées autour de la vis sans fin, le cliquetis de la lourde presse actionnée par une longue tige en fer, enfin le jus blanc ou rouge qui s’écoulait mousseux dans la vasque de bois, la pompe à mains, le gros tuyau qui s’étalait jusqu’à la cave, les gros tonneaux juste méchés, et dire que ce vin naturel allait sombrer devenu piquette bientôt couvert de fleurettes. Ma fonction à la maison était d’aller emplir les litres en tournant la clé encastré tout en bas du tonneau.
J’ignorais que la mention « vendangé à la main » allait devenir une marque de résistance
Et puis, je suis entré dans le vin par la politique, mais ça c’est une autre histoire…
Ce matin, ce sont Alice et Olivier de Moor qui tiennent ma plume, du côté d’Olivier c’est aussi le pinceau.
Quelques petites nouvelles des vendanges. Après ce début et cette tarentelle, qui avait quelque chose d’une veillée d’armes. L’exercice de communication sur cet outil est de dire que tout va bien, et que si ça va mal c’est de la faute des autres ou bien que le ciel nous a maudit. Alors maudits les pinots noirs de mes amis qui ont fondus comme neige au soleil. Il y a de grosses questions à se poser.
Du côté de Chardonnays, on a eu de la chance. Même si la situation est hétérogène. Une petite photo des grappes millerandée des Monts de Milieu en est la preuve. Car depuis quelques temps nous travaillons deux premiers crus. Et je dois bien avouer que non seulement je ne pensais jamais en travailler, et qu’en plus cela ne provoquait aucun manque chez nous. Je me souviens encore des gens qui nous regardaient de haut de ce fait. Ils n’imaginaient pas comment cela pouvait nous stimuler que de se moquer de cette hiérarchie. Qui reposait sur quoi, et qui repose encore sur quoi ?
Bien entendu cela me renvoie à des notions de peinture, que j’utilise comme un exutoire. La lecture récente d’ « Histoires de peintures» de Daniel Arasse fourmille d’anecdotes et d’explications qu’on peut utiliser à propos pour éclairer ce monde du vin. Alors ici comment ne pas utiliser Chardin maitre de la nature morte méprisée et renvoyée à un rôle secondaire de décors. Et Daniel Arasse d’expliquer son travail d’historien de la peinture :
« J’ai personnellement une très grande admiration pour les artistes, quel que soit leur médium et même s’ils ne sont pas très bons, parce qu’ils prennent des risques. Ils partent de rien pour en faire quelque chose. L’historien ou le critique, de son côté, part de quelque chose pour en faire autre chose, ce qui est très intéressant mais secondaire. Je pense toujours à cette phrase de Chardin que rapporte Diderot dans sa préface au Salon de 1765 ou 1767 : Chardin était responsable de l’accrochage des tableaux (titre très important qui lui donnait le pouvoir de mettre en avant ou de désavantager un tableau), il dit à Diderot, après lui avoir fait visiter le Salon : « Monsieur Diderot, de la douceur... », avant que celui-ci ne commence à descendre sauvagement les peintres... »
Cependant dans les « Mont de Milieu » tout se télescope, s’entrechoque. Je ne peux m’empêcher de penser ici à plus de mille ans de vigne, de couches successives de travail et d’interprétations de ce lieu. Depuis ces possibles moines de l’ordre de Saint-Martin qui venant de Tours auraient ramené avec eux la vigne. Fuyant la Loire qui portait Drakkars. L’ami Patrick Baudouin un rien taquin m’avait dit qu’ils avaient dû ramener du Chenin. Donc en quoi peut-on avoir un intérêt à se confronter à une telle histoire. On peut considérer que ...la messe est dite. Que nous ne sommes plus là que pour reproduire des gestes devenus perpétuels, une règle.
Vous le croyez vraiment ?
On se heurte alors à ce socle que l’on pourrait qualifier d’anthropologique, avec la petite liberté que l’on veut encore préserver comme une interprétation. En imaginant ce premier moine qui a peut-être planté de la vigne ici, ou juste à côté.
Quelle idée le traversait ?
Avait-il une idée de la suite ?
Le vigneron ici doit-il encore se poser des questions de son individualité ?
Daniel Arasse me sauve une nouvelle fois :
« Il y a deux autres façons de cadrer le détail, bien qu’il échappe toujours. Je me sers de l’italien, qui souvent rend les choses très claires. Il y a d’abord le détail particolare particolare, le détail de quelque chose de représenté, un endroit particulier de la chose représentée. Par exemple la croûte dans un morceau de pain est un particolare. Il existe dans la tableau comme détail de la chose représentée. L’autre, c’est ce que l’italien appelle le dettaglio, « détail » en français, qui implique quelqu’un qui découpe, comme de la viande au détail, comme le boucher qui découpe au détail. Il en va de même pour un tableau. Tout spectateur détaille son tableau, il le découpe. Quand vous regardez un tableau ou une photo, vous avez certainement une vue d’ensemble, mais qu’est-ce que l’on voit quand on voit l’ensemble ? J’aimerais le savoir. On perçoit l’ensemble, mais quand on commence à regarder, l’œil va s’attacher à certains éléments. Il va non pas découper physiquement, mais isoler, mettre en relief, avec une zone de flou autour, des éléments qui sont des détails. Mais ce ne sont plus les mêmes que les premiers. Ce sont à présent les détails, produits par chaque regardeur ou regardant de tableaux. »
Alors plutôt du côté particolare Mont de Milieu avec ses raisins régulièrement millerandés, et du côté dettaglio une vigne travaillée grâce à Valérie dont le sol est entretenu par le labour des chevaux de Cyrille Prestat, travaillée proprement en bio, vendangée à la main, et dont les jus sont maintenant en fûts et dans une amphore.