Au temps où j’allais, profitant de mes congepés, traîner mes guêtres du côté de Buoux je me rendais de temps en temps à Banon.
9 juillet 2011
BANON : pourquoi en faire tout un fromage ? Les bleuets, les feuilles de châtaignier et qu’est-ce-que vous boirez avec ça ? ICI
Banon est un charmant petit village des Alpes-de-Haute-Provence adossé au plateau d'Albion entre Lure et Ventoux dans les collines chères à Jean Giono. 878 habitants et plus de 100 000 livres à la librairie « Les Bluets » de Joël Gatefossé menuisier originaire de l’Essonne qui raconte avoir « cassé sa vie » à la mort de ses parents en 1990 et être venu s’installer un peu par hasard à Banon. Les débuts sont difficiles puis c’est le décollage et enfin le succès du au bouche à oreille.
Le banon est un petit fromage français de 6 à 7 cm de diamètre, au lait cru de chèvre d'une centaine de grammes issu d'anciennes recettes des fermes des Alpes-de-Haute-Provence. Les chèvres sont exclusivement de races provençale, rove et alpine et elles doivent paître sur les collines de la région pendant au moins 210 jours par an. Fromage à pâte molle à croûte naturelle, élaboré à partir de la technique du caillé doux et moulé à la louche avant d'être habillé, à la main, dans des feuilles de châtaigniers brunes et liées par un brin de raphia naturel (il est auparavant trempé dans l'alcool pour éviter les moisissures). Le ramassage des feuilles, qui doivent être récoltées brunes, se fait en automne lors de leur chute. Elles sont ramassées par des équipes de saisonniers sur le plateau d'Albion, dans les Cévennes, en Corse et en Ardèche.
17 mars 2017
À la récré, du pain, du banon, un livre, avec 1 petit coup de Bel-Air&Chardy d’Alice et Olivier de Moor : goûtons le silence ! ICI
« À Banon, on ne plaisante pas avec les livres. La preuve avec cette expérience géniale et exemplaire que personne ne semble regretter ! »
À Banon si vous vous promenez dans les couloirs du collège après l’heure du déjeuner, vous serez sans doute surpris par un silence complet…
Depuis la rentrée de septembre, c’est en effet devenu un rituel : des élèves à la cantinière en passant par le principal et le secrétaire, plus personne ne parle, plus personne ne bouge, plus personne ne travaille… mais tout le monde lit ! Lumière sur une initiative exemplaire qui a l’air de faire énormément de bien à tous !
Cette nouvelle habitude pour le moins originale a été prise au collège de Banon (Alpes-de-Haute-Provence). Désormais, entre 13h40 et 14h05, il y est interdit de faire autre chose que de lire. On peut lire n’importe quel livre, n’importe où ET dans n’importe quelle position, mais on est obligé de lire !
Je ne sais si ces vieilles chroniques ont donné à Alice et Olivier de Moor l’envie d’aller prendre du repos, goûter de la beauté, dans cette belle région où se situe Banon, mais Olivier m’a fait parvenir un petit mot :
Bonsoir Jacques,
Nous sommes rentrés: trop tôt. Car la vendange va devoir se faire trop tôt. Par obligation et déjà je sens l'obligation de courir une fois de plus.
J'aime beaucoup les "basses alpes". Et la librairie de Banon. Dans l'offre des livres offerte à l'acheteur, je suis tombé sur un livre consacré à la peinture et c'est passionnant.
Ha ! les Basses-Alpes...
Souvenir de mes années où nous récitions les noms des départements, préfecture et sous-préfecture.
Le nom de Basses-Alpes était jugé péjoratif, surtout quand on le comparait à celui du département voisin : les Hautes-Alpes. D'autres départements d'ailleurs avaient déjà ouvert la voie : la Charente-Inférieure était devenue en 1941 la Charente-Maritime, la Seine-Inférieure changeait de nom en 1955 pour devenir la Seine-Maritime, la Loire-Inférieure devenait en 1957 la Loire-Atlantique et les Basses-Pyrénées s'appellent depuis 1969 les Pyrénées-Atlantiques. Enfin, les Côtes-du-Nord, qui ne sont pas situées dans le nord de la France mais au nord de la Bretagne, sont devenues les Côtes-d'Armor en 1990.
C'est en 1952-1953 que l'idée d'un changement de nom pour les Basses-Alpes fait son chemin, au moment où le tourisme commence à se développer et où la mention de "Provence" veut être mise en avant, comme l'indique sur France Bleu 100% Sud Jean-Christophe Labadie, directeur des Archives Départementales des Alpes-de-Haute-Provence.
La suite ICI
Et la librairie de Banon. Dans l'offre des livres offerte à l'acheteur, je suis tombé sur un livre consacré à la peinture et c'est passionnant. C'est un résumé d'émissions que Daniel Arasse a fait avant de décéder. C'est Laure Adler qui lui confia pour France Culture une émision mensuelle sur les arts plastiques et l'histoire de l'art. Un extrait que voici :
FINALEMENT, La Joconde est un de mes tableaux préférés, il a fallu pour l'aimer beaucoup plus de temps que les cinq ans pris par Léonard de Vinci pour la peindre. Moi il m'a fallu plus de vingt ans pour aimer La Joconde. Je parle de l'aimer vraiment, pas seulement de l’admirer. C'est pour moi aujourd'hui l'un des plus beaux tableaux du monde, même si ce n'est pas nécessairement l'un des plus émouvants, quoique, franchement, c'est l'un des tableaux qui ont eu le plus de commentaires enthousiastes, jusqu'à la folie, de la part des gens qui l’aimaient, et cela montre qu'il touche. Moi, j'étais dans l’état d'esprit d'un spectateur de la deuxième moitié du XXe siècle, c'est-à-dire qu'on avait tellement vu La Joconde, on la connaissait tellement, qu'elle était devenue plus une plaisanterie qu'autre chose, d'autant que, Duchamp l’ayant reproduite avec cette inscription en bas du tableau : « L.H.O.O.Q. », on ne pouvait plus la prendre au sérieux. Il m'a fallu remonter ce handicap duchampien, non pas pour retrouver le regard de Léonard de Vinci ou de l'un de ses contemporains sur ce tableau, mais simplement pour comprendre comment celui-ci, peint dans des circonstances tout à fait particulières, pouvait avoir encore un tel effet, à bientôt cinq cents ans de distance. Cela ne tient pas seulement au délire de Walter Pater ou de Théophile Gautier. Même Kenneth Clark, le grand spécialiste de Léonard de Vinci, un homme très sérieux et l'un des meilleurs historiens de l’art du milieu du XXe siècle, dans un article, non pas de jeunesse mais de pleine maturité, écrit que La Joconde a l’air d'une déesse sous-marine : cette femme est assise dans une loggia, en hauteur devant un paysage très lointain, et il la voit comme une déesse sous-marine. Que se passe-t-il dans ce tableau pour que des gens sérieux, des responsables de musée et de grand savoir, puissent en dire des choses pareilles ? Ce tableau avait sûrement quelque chose. Personnellement, cela m'intéressait à moitié, mais à partir du moment où je devais écrire un livre sur Léonard de Vinci, je ne pouvais pas évacuer La Joconde, Je devais essayer de comprendre les enjeux de cette œuvre pour ce peintre. Et là, mon travail a été très fructueux. Je me suis demandé comment ce tableau était fait. Je vais en faire la description et vous verrez qu'apparaissent beaucoup de choses qu'on ne voit pas.
D'abord, la Joconde est assise dans une loggia, c'est-à-dire qu'il y a des colonnes de part et d'autre, sur les bords droit et gauche, jointes par le muret, derrière elle. Elle tourne le dos au paysage, qui est très lointain. Ensuite, elle est assise dans un fauteuil, je le sais uniquement parce que le bras gauche de la figure est appuyé, parallèlement au plan de l’image, sur un accoudoir. Mais cet accoudoir est Punique trace du fauteuil, il n'y a pas de dossier, ce qui est étrange. Et puis le paysage à l'arrière-plan est curieux puisqu'il est composé uniquement de rochers, de terre et d'eau. Il n'y a pas une seule construction humaine, pas un arbre, il y a seulement dans ce paysage quasiment pré-humain un pont, et c'est cela qui m'a posé beaucoup de problèmes d'interprétation. Ce pont enjambe ce qui doit être une rivière, mais qu'on ne distingue pas. Or, comment se fait-il que dans ce paysage des origines il y ait déjà un pont alors que toute présence humaine a disparu ?
J'ai donc commencé à me rendre compte que ce tableau recelait une méditation de Léonard particulièrement dense. Je ne devais pas m'en étonner puisque Vinci a dit que la peinture est cosa mentale c'est une chose mentale, et que par ailleurs, lorsqu'il a reçu cette commande en 1503 - il avait besoin d'argent et n'avait pas encore en ce temps-là de grandes commandes de la ville de Florence ça précédait de quelques mois la grande commande du palais de la Seigneurie (cf. Bataille d’Anghiari) qui fait qu’il ne livrera jamais le tableau à son commanditaire, Messere Giocondo, et le gardera pour lui toute sa vie. Il a achevé ce portrait pour lui-même. On a la preuve que l’idée de l’arrière-plan est venue très lentement. Il fallait comprendre le rapport qui liait cette figure assise si singulièrement dans ce fauteuil sans dossier et ce paysage : y a-t-il simplement opposition entre d’une part la beauté et le charme de la Joconde et d'autre part l’arrière-plan du paysage, ou bien y a-t-il aussi une relation entre les deux ?
J’ai essayé de mieux voir comment était peinte cette figure. Si vous la regardez bien, elle a le bras parallèle au plan de l’image, appuyé sur l’accoudoir. Elle est proche de nous, puisqu’on ne voit pas d'espace entre ce bras et une zone plus basse qui inscrirait une distance. En fait, elle est passée devant le parapet qui traditionnellement à l’époque séparait la figure peinte du spectateur, comme dans ces portraits d'origine flamande où le personnage est visible, mais où la base du tableau est faite d'un petit parapet, situé devant lui et devant lequel il place éventuellement sa main. Petit trait de génie de Léonard : mettre la Joconde dans l’espace du spectateur en faisant passer le parapet derrière elle, tandis qu'en même temps son bras fait barrière, bloquant la pénétration. Ensuite, le buste est de trois quarts, elle se tourne donc légèrement vers nous, le visage presque de face, et les yeux, perpendiculaires au plan, nous regardent directement où que nous nous trouvions par rapport à elle. Donc, depuis le bas du tableau jusqu'aux yeux, il y a une torsion de la figure qui fait qu'elle vous fixe. On est sous son regard, ce qui constitue un élément de fascination de ce tableau, tout comme on est un peu sous celui de la Vénus d'Urbin de Titien, le premier grand nu de la peinture occidentale, et ce n'est certainement pas un hasard si l'on est sous le regard de l’archétype du nu occidental. c'est-à-dire que du chaos on passe à la grâce, et de la grâce on repassera au chaos. Il s'agit donc d'une méditation sur une double temporalité, et nous sommes là au cœur du problème du portrait, puisque le portrait est inévitablement une méditation sur le temps qui passe. Montaigne le dit dans ses Essais : « J'ai plusieurs portraits de moi, combien suis-je différent aujourd'hui d'à cette heure. » On passe donc, avec ce sourire éphémère de La Joconde, du temps immémorial du chaos au temps fugitif et présent de la grâce, mais on reviendra à ce temps sans fin du chaos et de l’absence de forme.
Restait ce pont, dont je ne comprenais pas la présence jusqu'au moment où j'ai lu Carlo Pedretti, le grand spécialiste de Léonard de Vinci, capable d'écrire comme lui de la main gauche et à l'envers. C'est un homme admirable qui a passé toute sa vie avec Léonard de Vinci. À propos de cette interrogation sur la présence du pont, il dit une chose très simple à laquelle je n'avais pas pensé, à savoir que c'est le symbole du temps qui passe ; s'il y a pont, il y a une rivière, qui est le symbole banal par excellence du temps qui passe. C'est un indice donné au spectateur que l’étrangeté du rapport entre ce paysage chaotique et cette grâce souriante est le temps qui passe. Le thème du tableau c'est le temps. C'est aussi pour cette raison que la figure tourne sur elle-même, car un mouvement se fait dans le temps... Et l'analyse peut repartir à ce moment-là. Le tableau est fascinant parce que sa densité et sa sobriété font qu'il n'arrête pas de renvoyer la réflexion et le regard au regard...
Cela dit, et je n'en dis pas plus sur La Joconde. ]e ne pense pas que messere Giocondo aurait aimé le tableau s'il l'avait vu. Je pense même qu'il l'aurait refusé parce qu'il ne lui aurait pas plu.
Et le fait de faire de l'histoire permet là aussi d'avoir un regard un peu plus neuf sur les choses. Je pense que Francesco del Giocondo n'aurait pas accepté le tableau fini pour une bonne et simple raison : c'est qu'à l'époque, c'est un tableau scandaleux.
Aujourd'hui c'est le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, mais en 1503-1505, c'est un tableau inadmissible.
Pourquoi?
Voilà un bon bourgeois florentin, et pas n'importe qui, qui commande au plus grand peintre du moment le portrait de sa femme parce qu'elle lui a donné des enfants, et ce peintre lui présente, comme portrait, une jeune femme qui sourit, ce qui est incorrect, toute proche de nous, épilée des sourcils et des cheveux - alors qu'on sait très bien qu'à cette époque seules les femmes de mauvaise vie s'épilent - et ensuite il la plante devant un paysage pré- humain affreux, terrible. Or, comment voulez-vous qu'un mari souhaite voir sa femme charmante, aimante, qui lui a donné deux enfants, devant un tel paysage et non pas devant des prairies, des arbres et des petits oiseaux, ce qu'on trouve dans les fonds de portraits de Raphaël contemporains de Léonard. Il n'aurait pas pu comprendre, et je pense que c'est pour Francesco del Giocondo ou pour ce genre de spectateur que Léonard de Vinci a peint le pont, pour leur expliquer qu'il ne faisait pas n'importe quoi, et qu'il y avait effectivement une méditation profonde sur le temps. Mais je crois que ce tableau était trop innovateur il impliquait à l'époque un tel bouleversement des pratiques du portrait qu'il ne pouvait pas être compris immédiatement.
On le voit d'ailleurs dans les répliques qui en ont été faites. Raphaël a admiré La Joconde mais quand il fait La Dame à la licorne, il la normalise. La Joconde est à part.
Ce qui m'a aussi beaucoup frappé quand je travaillais sur La Joconde, c'est que je travaillais en même temps sur tout Léonard de Vinci et donc sur les cartes géographiques qu'il a réalisées à la même époque, et un soir j'ai eu une sorte d'illumination, peut- être une sorte de folie, en regardant ces cartes : j'ai perçu que le paysage de La Joconde en arrière-plan, avec son lac très élevé et son val aquatique et marécageux dans la partie gauche, était pratiquement la prise en vue cavalière d'une carte de la Toscane que Léonard de Vinci réalise aussi en 1503-1504, et l'un des problèmes qu'il se pose dans cette carte est de savoir comment le lac Trasimène a pu jadis, dans un temps immémorial, expliquer les marécages du Val d'Arno, qui se trouve au sud d'Arezzo, en Toscane. On voit sur sa carte qu'il a dessiné un cours d'eau qui n'existe pas dans la réalité, allant du lac Trasimène au Val d'Arno. Ce qui m'a frappé, c'est de voir que la construction de La Joconde s'accordait pleinement à une réflexion cartographique et géologique de Léonard de Vinci, si bien que le paysage représenté derrière elle, c'est la Toscane immémoriale, celle qui existait avant que l’humanité n'y crée la grâce de ce pays, car la Toscane est très belle et c'est La Joconde. Ce cours d'eau qui relie le lac Trasimène au Val dArno, c'est le sourire de la Joconde. On pourrait continuer.
Par exemple, c'est vrai qu'elle a l'air d'être dans une grotte, et on a un très beau texte de Léonard sur la grotte : comme il se penche pour voir ce qu'il y a dans la grotte, il est attiré et il a peur. Cette attirance et cette peur de Léonard de Vinci par rapport au corps féminin sont bien connues : il est le premier artiste à avoir dessiné un sexe féminin comme une grotte. On peut continuer indéfiniment comme cela. La Joconde condense, je crois, une méditation sur le portrait et le temps qui est fondamentale pour l'art du portrait occidental, et en même temps c'est certainement l'un des tableaux les plus personnels de Léonard, parce qu'il a peint pour lui le portrait de la femme fertile, l’épouse de Francesco del Giocondo.