Crédit photographique : © Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
© Man Ray Trust / Adagp, Paris
Mon titre vous a sans doute « enduit » en erreur, le bar dont il est question c’est le poisson et non le lieu de perdition où les aventuriers se racontent face à leur verre de whisky.
Qui est donc Alice Toklas
Alice B. Toklas, témoin parisien de la " génération perdue "
ALICE B. TOKLAS, dont " le Monde " a annoncé la mort le 9 mars 1967, aura survécu vingt et un ans à Gertrude Stein, dont elle partagea l'existence pendant près de quarante ans : de 1970, date de son arrivée à Paris, à 1940, date de la mort de Gertrude Stein.
Celle-ci a raconté, dans l'Autobiographie d'Alice B. Toklas (écrite en 1933), ce que furent ces années parisiennes, et a bien montré quel rôle était réservé à sa compagne : « J'ai toujours aimé les travaux d'aiguille et le jardinage », lui fait-elle dire à la première page, et, à la dernière : « Je suis assez bonne maîtresse de maison, assez bonne secrétaire. »
Dans l'ombre, soumise et fidèle, la maîtresse-de-maison-secrétaire réglait les problèmes matériels, les " relations publiques ", disait parfois non (aux importuns, aux fournisseurs) pour permettre à Gertrude Stein de dire toujours oui, pour permettre au génie de produire son œuvre.
En juin 1965, le Centre culturel américain organisa, rue du Dragon, un hommage à Gertrude Stein. Alice Toklas, malade, ne s'y rendit pas. W.G. Rogers, journaliste américain, ami de longue date de Gertrude Stein (il a écrit un livre de souvenirs : When this you see remember me), était venu à Paris à l'occasion de l'hommage. Resté affectueusement fidèle à Alice Toklas, il lui rendit visite quelques jours plus tard. Marie-Claire Pasquier, qui prépare un travail sur Gertrude Stein, l'accompagnait. Elle rapporte ici l'entretien et esquisse le portrait, en vieille dame, de cette ombre fidèle mais nullement effacée.
Par MARIE-CLAIRE PASQUIER. Publié le 22 mars 1967 ICI
En 1954, Alice Toklas publie un livre mêlant souvenirs et recettes sous le titre The Alice B. Toklas Cookbook. La recette la plus connue (qui lui a été soufflée par son ami l'écrivain Brion Gysin) s'appelle haschisch fudge, un mélange de fruits secs, d'épices et de « canibus sativa » [sic], d'où l'appellation de certaines préparations à base de cannabis et de chocolat : Alice B. Toklas brownies. Un second livre de cuisine paraît en 1958 : Aromas and Flavors of Past and Present. Elle écrit par ailleurs différents articles dans The New Republic et The New Yorker.
EXTRAIT : Du bar pour Picasso
Un jour que Picasso déjeunait avec nous, je décorai un poisson d’une manière qui, je le pensais, l’amuserait. Je choisis un beau bar rayé et le fis cuire selon une théorie de ma grand-mère qui n’avait aucune expérience culinaire et mettait rarement les pieds dans la cuisine mais qui avait des théories sans fin sur la cuisine, comme sur bien d’autres choses d’ailleurs. Elle prétendait qu’u poisson qui avait passé toute sa vie dans l’eau ne devait plus, une fois pris, avoir de contact avec l’élément dans lequel il était né et avait grandi. Elle recommandait de la griller ou de le pocher dans du vin, de la crème ou du beurre.
C’est ainsi que je fis un court-bouillon de vin blanc avec des grains de poivre, du sel, une feuille de laurier, un brin de thym, un peu de macis, un oignon piqué d’un clou de girofle, une carotte, un poireau et un bouquet de fines herbes. Tout cela fut cuit doucement dans la casserole à poisson pendant une heure, puis mis à refroidir. Ensuite le poisson fut placé sur la grille et la casserole couverte. Le court-bouillon fut lentement porté à ébullition et le poisson poché pendant 20 minutes. Puis il fut laissé à refroidir dans le court-bouillon. Il fut ensuite soigneusement égoutté, séché et disposé sur le plat à poisson. Peu de temps avant de le servir, je le couvris d’une mayonnaise ordinaire et le décorai à la douille avec une mayonnaise rouge, colorée non pas au ketchup – horreur suprême ! – mais au concentré de tomates. Ensuite, je fis un dessin avec des œufs durs passés au tamis, blancs et jaunes séparés, des truffes et des fines herbes hachées.
J’étais fière de mon chef-d’œuvre quand il fut servi et Picasso s’exclama devant sa beauté. « Mais, dit-il, il aurait dû être plutôt en l’honneur de Matisse, auquel il aurait mieux convenu que moi.
Carl Mydans, Liberation of Gertrude Stein. Author Gertrude Stein (R) walking with Alice B. Toklas (L) and their dog. Septembre 1944, Culoz (Ain).
LA FEMME À LA FRANGE, ALICE B.TOKLAS ICI
Voici comment Gertrude Stein, faisant parler Picasso, décrit sa compagne Alice Toklas dans son livre «Autobiographie d'Alice B. Toklas: «La miss Toklas, celle qui a des petits pieds comme une espagnole et des boucles d'oreilles de bohémiennes et dont le père est roi en Pologne comme les Poniatowski...».
Alice Babette Toklas était de San Franscisco comme les Stein et son père était effectivement d'origine polonaise. Elle était restée auprès avec son père et son jeune frère au décès de sa mère en 1897 et ils s'étaient tous installés chez son grand-père maternel, veuf lui aussi. Elle s'occupait de tenir la maison sans réel plaisir et dans l'indifférence familiale générale. Aussi, quand, après le grand tremblement de terre de San Franscisco en 1906, sa cousine Annette Rosenshine part avec Sarah et Michael Stein à Paris, Alice se décide pour l'aventure parisienne avec en poche suffisamment d'argent pour tenir un an. Elle part en compagnie d'Harriet Levy son amie et voisine de San Francisco qui avait étudié avec Sarah Stein au Mark Hopskins Institute of Art.