Être abonné à Télérama depuis Mathusalem présente, en dépit de mon allergie à la bien-pensance qui y règne, des avantages, tout particulièrement de me flécher des événements culturels intéressants.
“Je mange donc je suis” : un grand mezze ludique et savant au Musée de l'homme
Le crâne d'Homos sapiens (-14 000 ans) : le secret des mandibules du chasseur cueilleur
Des pierres taillées dans les cavernes à la porcelaine des dîners à l’Elysée, des galettes de blé du Néolithique aux repas en poudre des cosmonautes, des offrandes de Papouasie-Nouvelle-Guinée aux néons du supermarché… Il y a à voir et à manger en quantité dans l’exposition proposée par le Musée de l’homme, à Paris.
Pour sa nouvelle exposition, la vénérable institution blottie au pied de la Tour Eiffel s’empare d’un sujet aussi fédérateur qu’universel : l’alimentation. Conçue comme une déambulation à travers nos assiettes, ce copieux banquet ethno-scientifique en explore les facettes biologiques, culturelles et écologiques, sous un titre aux consonances cartésiennes : « je mange donc je suis ». En trois salles, 650 mètres carrés et 450 objets, l’accrochage propose un picorage ludique et savant, à la croisée de la science et de l’art, du passé et du présent. Le tout servi par une scénographie aux petits oignons, qui n’oublie pas l’humour, la poésie et l’inventivité.
Pédago sans être pédante, l’exposition ne craint pas, aussi, de se frotter aux sujets qui fâchent, de l’agriculture intensive (sans doute la première entrée au musée d’un bidon de Round Up !) aux OGM, des poussins broyés de l’élevage industriel aux « fausses » tomates marketées par la grande distribution…
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Christophe Lavelle, chercheur : « La cuisine, c’est la culture qui transforme la nature »
Commissaire de l’exposition “Je mange donc je suis”, présentée jusqu’à la fin août au musée de l’Homme, à Paris, Christophe Lavelle est un scientifique gourmand. Du casse-croûte de Cro-Magnon à l’assiette du futur, de la chimie de la mayonnaise à la pêche éthique, rien de ce qui touche à la nourriture ne lui est étranger. Pour lui, l’acte de manger fonde la civilisation.
Aussi à l’aise avec une fourchette qu’avec un tube à essai, Christophe Lavelle parle couramment la langue des cuisiniers, qu’il fréquente avec gourmandise, tout en menant des recherches pointues sur la fermentation ou l’épigénétique — l’incidence de notre environnement sur nos gènes. À 45 ans, et après s’être rêvé chef, ce physicien de formation mène ses recherches sous la houlette du CNRS, de l’Inserm et du Muséum national d’histoire naturelle. Jetant des ponts entre sciences dures et sciences humaines pour éclairer le sujet qui le passionne : l’alimentation. C’est avec cet appétit omnivore qu’il a conçu le menu de l’exposition « Je mange donc je suis », présentée jusqu’à la fin août au musée de l’Homme. Un voyage à travers l’assiette où se mêlent arts de la table et paléontologie, rites ancestraux et nourritures futuristes, pour mieux rappeler que « la cuisine, c’est la culture qui transforme la nature », comme le dit joliment cet épicurien. Et que se nourrir, acte aussi banal que vital, est plus que jamais au cœur d’enjeux essentiels — d’écologie, d’éthique et de santé —, comme la récente crise sanitaire est venue nous le rappeler.
L’alimentation semble devenue un inépuisable sujet de controverse. L’a-t-elle toujours été ?
Ce n’est que lorsque l’on a la certitude d’avoir une assiette pleine que l’on peut commencer à se demander dans quelles conditions nos tomates ont été cultivées, ou si on tolère bien le gluten du pain… Dans le monde occidental, ce confort absolu date des années 1950, moment à partir duquel ont commencé à émerger ces préoccupations, parce que les pratiques agricoles ont profondément changé en quelques décennies. Il faut se rappeler que l’histoire de l’humanité a été marquée par deux grandes révolutions alimentaires : la première est la transition du paléolithique au néolithique, le passage du chasseur-cueilleur, qui puise dans la nature ce dont il a besoin, à l’agriculteur-éleveur, qui produit lui-même sa nourriture. La seconde n’est intervenue qu’au milieu du XXe siècle, avec l’industrialisation des modes de production. Engendrant avantages — la capacité à nourrir le plus grand nombre — et inconvénients — des pratiques très énergivores, très polluantes, et qui posent de lourdes questions sanitaires sur le long terme.
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