Le charme discret de la correspondance privée à jamais disparue, lettres manuscrites ou dactylographiées, doubles sur papier carbone, archivées, conservées par les correspondants, fantastique réservoir des pensées intimes d’un auteur.
Lettres du mauvais temps de Manchette 1977-1995
C’est un recueil à effeuiller au gré de son humeur, du beau ou du mauvais temps, de l’envie de retrouver l’esprit d’un temps que les jeunes ne peuvent pas connaître…
Ainsi ce matin, je vous propose des morceaux choisis de sa correspondance avec Pierre Siniac.
Issu d’une famille de modestes artisans – sa mère était couturière et son père, d’origine grecque, “travaillait dans la chaussure“-, il quitte l’école communale à quatorze ans pour suivre une formation professionnelle de “technicien spécialisé dans le chauffage central“. Il connaît des années de galères et d’errances au cours desquelles il consacre ses journées au cinéma, à la lecture, à la flânerie et à l’écriture. Il publie son premier roman "Illégitime défense" en 1958.
Auteur de romans policiers, Siniac se distingue par un goût pour les histoires criminelles au dénouement surprenant et paradoxal, l'humour rabelaisien et la description d'une vie provinciale inquiétante. Ses descriptions du « milieu » montrent des personnages qui ne sont le plus souvent ni des exemples de bravoure, ni d'intelligence, ni d'honnêteté.
Moi aussi je me souviens de Jacques Siclier le critique ciné du Monde ICI
Le 20 juillet 1977 à Villers-sur-Mer
« Pour le cinoche, je me base personnellement sur les critiques du chrétien Siclier dans Le Monde : aussitôt qu’il dit « Quelle honte, ce cinéaste qui nous avait donné de l’espoir, à présent se prostitue, et fait semblant d’être de gauche, mais nous présente en réalité un tissu de brutalités avilissantes », je sais que je vais passer une excellente soirée. Pendant que j’y pense, je ferme la parenthèse) mais poursuis. C’est la société qui n’a plus de foi en soi-même, mon bon monsieur, voilà ce que je dis. Quand les grands Etats capitalistes se bâtissaient dans la fièvre, ça vous donnait Eisenstein et King Vidor. Maintenant, ils pleurnichent à propos de J.-F. Kennedy et de leurs hémorroïdes. Quelle pitié !
Chronique de cinéma dans Charlie Hebdo août 1979
« Hollywood, c’était le cinéma du capitalisme triomphant […]. Les riches étaient contents d’eux-mêmes et leur cinéma était brillant. À présent ils sont mécontents d’eux-mêmes et […] ils engagent des intellectuels de gauche pour vendre aux cadres ce message qui leur plaît : « Nous avons bien mal au cul, interrogeons-nous sur cette douleur » […] Comme grondait Jouvet dans La Charrette fantôme, quelle pitié ! quelle pitié ! Mais nous n’en aurons pas. »
« je ne crois pas qu’il reviendra de grands écrivains dans un siècle, ni jamais, à moins d’un effondrement total de la civilisation et d’un nouveau départ pris de zéro. Je crois tout platement qu’on a vraiment fait le tour des formes. Les gugusses modernistes ne font que réchauffer des restes de Céline, de Joyce, de Dada. De sorte que c’est nous qui pouvons nous permettre d’utiliser et de mélanger les formes pour « raconter nos petites histoires. »
Paris le 25 août 1977
Cher Siniac-zistait pas il faudrait l’inventer (là, je me défonce vraiment, sapristi !)
« … sur Siclier tu m’as mal lu. Ce qui en fait pour moi un bon baromètre, c’est qu’il fait toujours le même type de critique négative sur les films qui me plaisent. À tout coup, il les accuse d’être
- Bestialement brutaux
- Vulgairement racoleurs
- Faussement de gauche et en vérité de droite
- L’œuvre décevante d’un réalisateur qu’on croyait libéral et qui nous avait donné des espérances, mais qui, là, sombre.
Chaque fois qu’une de ses critiques a cette structure, je suis assuré de prendre mon pied en allant voir le film. (C’est à peu près exactement ce qu’il a dit de Marathon Man, et par exemple de Plein la gueule d’Aldrich.)
[…]
Cher Siniac, je te fais mes cordialités. Dur d’oreille ou non, je maintiens que nous devrions trouver une occasion de grignoter de conserve. Je parlerai par gestes obscènes, et tu me répondras des grognements hideux. Ça peut être vraiment bien. »