Le prince Juan Carlos de Bourbon, futur roi et le general Francisco Franco à un defilé militaire à Madrid en 1970. Rue des Archives/Mondadori Portfolio/Rue des Arch
«Españoles… Franco ha muerto», après 36 ans de dictature Francisco Franco Bahamonde, le caudillo meurt « dans un lit aux draps suants, avec l'extrême-onction, comme 1 petit-bourgeois »
Les mots tant attendus sont enfin prononcés par le président du gouvernement espagnol, Carlos Arias Navarro, le 20 novembre 1975.
«Enfin!» se disent les opposants.
«Enfin!» soupirent les partisans du vieux dictateur, indignés par le sort réservé au vieil homme, otage d'une médecine aux ordres de sa garde rapprochée.
Deux visions de la mort de Franco s'affrontent dans le même journal :
Guillemé-Brûlon écrit dans le Figaro
« Alors que le Caudillo (est-ce bien lui?) refuse toujours de laisser le pouvoir. Le général Franco meurt comme il a vécu. Dans le refus. En combattant. En état de guerre civile avec lui-même et avec tout ce qui l'entoure.»
Olivier-Lacamp toujours dans le Figaro, qui en ce temps-là était pluraliste, s'interroge :
«Est-ce une ironie du destin, une plaisanterie du ciel, un châtiment de Dieu, que cette banalité de la mort de Franco ?
Cet homme, pour ou contre lequel sont morts, par la bombe, le garrot, la mitraille et le fusil, tant d'hommes et tant de femmes, doit finir, lui, dans un lit aux draps suants, avec l'extrême-onction, comme une petit-bourgeois entre les siens. Au temps de la guerre civile, les républicains et les franquistes mouraient debout.»
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Francisco Franco Bahamonde, le plus ancien des chefs d'État du monde, « caudillo » depuis 1936, mourait. Et, avec lui, une certaine Espagne. Après trente-six ans de dictature, la mort de Franco allait permettre l'instauration d'un régime parlementaire.
Cependant, le franquisme ne s'éteindrait définitivement qu'après l'échec du coup d'État tenté par les partisans du Caudillo, en 1981, et surtout après l'arrivée triomphale au pouvoir, le 28 octobre 1982, du Parti socialiste ouvrier espagnol
En réalité, depuis la fin des années 1950, la croissance, l'ouverture économique, la dynamique des populations, la proximité d'une Europe en construction - espace démocratique d'où affluaient chaque été des millions de touristes - ébranlaient l'édifice politique et social patiemment construit par Franco. D'où un raidissement du pouvoir, incarné, à partir du 10 juin 1973, par l'amiral Luis Carrero Blanco, fidèle parmi les fidèles, devenu Premier ministre ...
La guerre froide l'a merveilleusement servi, puisqu'il s'est dès lors présenté, sur le plan international, comme le premier anticommuniste ?
Bartolomé Bennassar : Oui, il a joué à fond de cet argument selon lequel il aurait été un précurseur dans le combat entre les deux blocs. Lui qui était d'ordinaire si peu doué pour la vision à long terme, on peut dire qu'il a vu venir la guerre froide, et qu'il l'a remarquablement utilisée. Il y était toutefois aidé par les prises de position très précoces de Churchill sur le rideau de fer, et par le fait que les Soviétiques ne respectaient pas les engagements pris à Yalta.
Et Carrero Blanco a parfaitement défini la ligne de conduite qu'ils allaient suivre lorsqu'il lui a écrit, en août 1944, qu'il s'agissait de «prêcher aux Espagnols la guerre sainte de l'intransigeance antilibérale et anticommuniste », en ajoutant : « Qui sait si Dieu ne confie pas à l'Espagne une fois de plus la mission de sauver la civilisation chrétienne ? » Et cette stratégie s'avère payante, puisqu'en 1953 l'Espagne signe avec les États-Unis des pactes qui lui garantissent, en échange de bases militaires concédées sur son territoire, une aide matérielle considérable, et qu'en 1955 elle est enfin admise à siéger à l'ONU.
L'Histoire : Quelle est la nature du franquisme ?
B. B. : Le régime est fondé sur trois piliers : l'armée, l'Église et un parti de rassemblement dont le rôle fut d'ailleurs modeste très différent des partis nazi ou fasciste, de ce point de vue. Toutes les libertés syndicales ont été suspendues. C'est un régime d'ordre moral où la presse et l'édition sont surveillées par une stricte censure. La répression a continué bien après la guerre, et Franco l'avait prévu : sa fameuse, et scandaleuse, loi rétroactive sur la responsabilité politique est de février 1939, soit un mois avant la fin du conflit. Elle permet de poursuivre ceux qui se sont opposés aux militaires depuis février 1936, et même depuis octobre 1934 ! Les suspects risquaient la mort, ou la prison, au mieux la privation de travail. Il est certain que Franco a pratiqué une véritable politique de la vengeance, et ce pendant des années, jusqu'en 1966 environ.
L'Histoire : Donc, dix ans avant sa mort, Franco n'est déjà plus une figure respectée de la vie politique espagnole ?
B. B. : Non, et cela d'autant plus qu'à partir de 1973 et de l'assassinat de Carrero Blanco par les séparatistes basques le pouvoir a été capté par le nouveau Premier ministre, Arias Navarro : c'est un gouvernement très réactionnaire, qu'on a appelé « le bunker ». C'est ce gouvernement qui, en 1974 et 1975, refusera de gracier des condamnés à mort politiques. La mort de Franco est donc un soulagement pour les Espagnols.
Photo de l’assassinat du Premier ministre espagnol Luis Carrero Blanco par le groupe séparatiste basque ETA le 20 décembre 1973.
Mais il me semble que la transition démocratique avait commencé bien avant sa disparition, dans la mesure où, à chaque changement d'équipe ministérielle, des gens nouveaux sont entrés dans l'administration, y ont occupé des postes importants ; c'est un système assez poreux : il y a eu une enquête très intéressante à ce titre dans La Gaceta del Norte, qui en 1970 posait cette question iconoclaste : « Qui gouverne l'Espagne ? » Or j'ai constaté que 30 ou 40 des représentants de l'élite espagnole qui y étaient cités sont présents, quelques années plus tard, dans les rouages de l'État démocratique - certains dans les rangs socialistes, dont le futur ministre des Affaires étrangères, Fernandez Ordonez.
C'est sans doute ce qui a permis au système franquiste de durer, cette souplesse, cette perméabilité. Franco avait retenu la leçon : c'était le grand conseil fasciste qui avait destitué Mussolini. Il ne fallait pas se laisser enfermer dans un parti.
Hier, je notais que pour le tournage de la Folie des Grandeurs « Montand, farouche ennemi du franquisme, refuse de s'y rendre. Avant de céder devant les grimaces d'Oury, qui, en imitant de Funès, lui promet une franche rigolade »
Piqûre de rappel : La Guerre est finie d’Alain Resnais
Il se nomme Diego, mais aussi Carlos ou Domingo. Communiste espagnol réfugié à Paris, il change régulièrement d'identité pour passer la frontière et faire la liaison avec les camarades qui subissent la dictature. Diego (Yves Montand, sobre et émouvant) doit beaucoup au parcours du scénariste Jorge Semprún, ancien dirigeant de la résistance antifranquiste en exil. Le militant a transmis au personnage ses doutes sur le communisme et l'appel à la grève générale, en un discours.
Le titre, loin d'être un constat d'échec du combat contre le franquisme, s'interroge au contraire sur les nouvelles formes de lutte nécessaires pour un retour de la démocratie en Espagne. Comme Diego l'énoncera, excédé, aux amis de Marianne :
« L'Espagne est devenue la bonne conscience lyrique de toute la gauche, un mythe pour anciens combattants. En attendant, 14 millions de touristes vont passer leurs vacances en Espagne. L'Espagne n'est plus qu'un rêve de touriste ou la légende de la guerre civile. Tout ça mélangé au théâtre de Lorca. Et j'en ai assez du théâtre de Lorca. Les femmes stériles et les drames ruraux, ça suffit comme ça et la légende aussi ça suffit comme ça. Je n'ai pas été à Verdun moi, je n'ai pas non plus été à Teruel ni sur le pont de l'Ebre. Et ceux qui font des choses aujourd'hui en Espagne, des choses vraiment importantes, n'y ont pas été non plus. Ils ont vingt ans et ce n'est pas notre passé qui les fait bouger mais leur avenir. L'Espagne n'est plus le rêve de 36 mais la réalité de 65 même si elle semble déconcertante. 30 ans se sont passés et les anciens combattants m'emmerdent. »
Hier, je notais que pour le tournage de la Folie des Grandeurs « Montand, farouche ennemi du franquisme, refuse de s'y rendre. Avant de céder devant les grimaces d'Oury, qui, en imitant de Funès, lui promet une franche rigolade »
Je n’ai jamais mis les pieds en Espagne du temps de Franco et je suis allé en vacances chez des amis espagnols qu’en 1980.
Je viens de terminer un superbe roman Les patients du docteur Garcia d’Almudena Grandes chez JC Lattès
Une guerre interminable
C’est un travail titanesque auquel s’astreint Almudena Grandes depuis dix ans et la parution d’Inés et la joie, premier tome d’une série intitulée Épisodes d’une guerre interminable, qui au final devrait comporter 6 volumes. Le cinquième vient de paraître en Espagne alors qu’en France Lattès a enfin publié le précédent, Les patients du docteur Garcia.
Cette guerre interminable, les lecteurs d’Almudena Grandes savent bien qu’il s’agit de celle d’Espagne, qui a continué longtemps après sa fin officielle, jusqu’à la mort de Franco, en 1975. Les patients du docteur Garcia est sans l’ombre d’un doute le livre le plus dense de la série, nous catapultant de Madrid à différentes périodes, à l’Argentine de Perón, à un camp estonien pendant la seconde guerre mondiale, au Massachusetts, à Berlin à l’arrivée de l’armée rouge, etc. Une multitude de lieux pour une kyrielle de protagonistes, et c’est là où Almudena Grandes est très forte, en mélangeant personnages fictifs et historiques, comme la « célèbre » Clara Stauffer, une hispano-allemande, phalangiste et nazie à la fois, qui fut un rouage essentiel du transit des anciens nazis par l’Espagne avant de faciliter leur exfiltration vers l’Amérique du Sud et en particulier l’Argentine. A partir de l’histoire dans cette « transhumance » honteuse, car réalisée au vu et au su des démocraties occidentales, la romancière a tissé sa toile arachnéenne, avec 3 personnages principaux, deux républicains et un fasciste, qui changent plusieurs fois de nom dès lors que la clandestinité devient leur quotidien.
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EXTRAIT
« Le 30 décembre 1976, aux arrivées du terminal international de Barajas, nous nous étreignons longuement. J’avais les cheveux gris, les siens étaient tout blancs. J’avais grossi, il était désormais plus mince que moi. J’allais avoir soixante-deux ans, il en avait soixante-six. Nos enfants ne portaient pas nos noms, et nous avions largement l’âge d’être grands-pères. Son corps était couvert de cicatrices que mes mains avaient laissées. Chacun de nous appelait l’autre par son vrai prénom, qui n’était pas celui d’usage. Je lui devais la vie, et il e devait la sienne. En nous voyant, en bonne santé et encore vaillants, deux pères de famille respectables, personne n’aurait deviné que nous étions des perdants, que nous avions touché ensemble le fond de la défaite. Nous avion beau être tous deux conscients de ce long échec partagé, nous redevînmes forts, jeunes et invincibles pendant un instant, aussi puissants que notre foi, l’espérance qui nous avait unis pour toujours avant de nous abandonner dans le caniveau. »
Quatrième de couverture
Après la victoire de Franco, le docteur Guillermo García Medina continue de vivre à Madrid sous une fausse identité. Les papiers qui lui ont permis d’éviter le peloton d’exécution lui ont été fournis par son meilleur ami, Manuel Arroyo Benítez, un diplomate républicain à qui il a sauvé la vie en 1937.
En septembre 1946, Manuel revient d’exil avec une dangereuse mission : infiltrer une organisation clandestine d’évasion de criminels nazis, dirigée depuis le quartier d’Argüelles par Clara Stauffer, qui est à la fois allemande et espagnole, nazie et phalangiste.
Alors que le docteur García se laisse recruter par Manuel, le nom d’un autre Espagnol croise le destin des deux amis. Adrián Gallardo Ortega, qui a eu son heure de gloire comme boxeur professionnel avant de s’enrôler dans la División Azul, survit péniblement en Allemagne. Ce dernier ne sait pas encore que quelqu’un souhaite prendre son identité pour fuir dans l’Argentine de Perón.