Et si le fameux système, perverti par le serpent de mer du « néo-libéralisme », gonflé comme un soufflé par une débauche de mondialisation sauvage, d’externalisation à tout va, de consommation effrénée de produits importés de Chine, Vietnam, Bangladesh…, enserré par le FMI dans une stricte discipline financière, ligoté par des plans d’austérité aux effets contre-productifs, cache-sexe pour nous gaulois de nos faiblesses, de nos renoncements et de nos mauvais choix, venait d’être sauvé par la crise sanitaire qui oblige les dirigeants à jeter aux orties les outils forgés par des économistes dont l’art consiste à se planter systématiquement.
Souvenirs :
VIVE LA CRISE ! Le sous-titre étonne : La grande mutation des années 80, racontée par Yves Montand. ICI
C'était un dimanche ensoleillé d'avril de 2007, à un grand vide-greniers de la rue de Flandres, le numéro spécial de "Libération" Antenne 2 de février 1984, à même le sol, perdu dans une marée d'objets hétéroclites, me sautait aux yeux. Quel bonheur que de se retrouver projeté 23 années en arrière !
J'achetais bien sûr.
Puis il y eu la fameuse crise des subprimes en 2008
Bernard Madoff
Arrêté fin 2008 pour escroquerie, il a été condamné à 150 ans de prison pour avoir monté la plus gigantesque chaîne de Ponzi de l'Histoire. L'ex maître-nageur sauveteur à Long Island a fini par couler de nombreux investisseurs avec une escroquerie (estimée à près de 50 milliards de dollars) révélée par la crise financière de 2008. « Bernie » est devenu une star - incarné par Robert de Niro dans le téléfilm The Wizard of Lies sur HBO - en prison. Et il n'aurait pas perdu la main. Un journaliste a en effet révélé qu'il a monopolisé la totalité du chocolat en poudre pour le revendre plus cher dans la cour de la prison. Ce qui ne l'empêcherait pas d'être vu comme un « héros » par ses codétenus. Selon un ancien compagnon de cellule, quand il ne spécule pas sur la poudre (en chocolat), « Bernie » écouterait du rap et passerait son temps à la bibliothèque pour lire des livres de finance, mais aussi l'histoire du Petit Lord Fauntleroy.
« Ils savaient que les contribuables les renfloueraient. Ils n'étaient pas stupides, ils s'en foutaient ».
The Big Short : Le casse du siècle (2015)
Histoire vraie tirée du bestseller The Big Short: Inside the Doomsday Machine (À l’intérieur de la machine de la fin du monde), le cynisme et l’amoralité d’une certaine finance est encore plus marquée. On suit un trio de jeunes financiers interprétés brillamment par Brad Pitt, Christian Bale, Ryan Gosling. Ils découvrent la faiblesse du système de financement immobilier aux États-Unis.
Anticipant à plus ou moins long terme la crise des subprimes, ils vont parier sur la faillite du système. Les autres banques les regarderont agir sans y croire, tandis que leurs propres clients s’inquiéteront de ce pari. Alors qu’une partie du monde sera ruinée, les trois financiers feront fortune. « C'est un très bon film », estime l'investisseur Steve Eisman, qui a inspiré l’un des personnages, et dont le portefeuille est passé de 700 millions de dollars à 1,5 milliard durant la crise.
2020, la crise du Pangolin !
Billets de banque de différents pays ou régions. — © JASON LEE/REUTERS
La dette explose. Et alors?
Les gouvernements n’ont guère eu d’autres choix que d’avancer des dizaines de milliards pour éviter une catastrophe économique. Beaucoup craignent un endettement qui pèsera sur les prochaines générations dans les pays occidentaux. A l’inverse, il pourrait leur offrir une croissance plus durable
Mathilde Farine
Publié jeudi 11 juin 2020 ICI
Rarement, en temps de paix, les gouvernements ont à ce point ouvert les vannes budgétaires. Les uns après les autres, à coups de dizaines de milliards de francs, d’euros, de dollars, les Etats ont injecté des liquidités dans des économies qu’ils ont eux-mêmes dû mettre provisoirement à l’arrêt.
Vertigineux?
Peut-être, mais c’est une bonne chose:
«Ils ont vite réagi, cela montre qu’ils ont tiré les leçons de 2008 où, en Europe surtout, ils avaient fait une erreur de diagnostic, en pensant que l’économie allait rebondir d’elle-même rapidement et fortement», une fois la tempête passée, assure Mathilde Lemoine, cheffe économiste à la banque Edmond de Rothschild.
Les chiffres sont spectaculaires.
En absolu et ramenés aux économies de chaque pays. Juste en dessous de 10% du PIB en Suisse, juste en dessus aux Etats-Unis, plus de 30% en Allemagne. Pourtant, ils le sont moins lorsqu’on les compare aux trous béants créés par la crise sanitaire: «Le Seco avance une perte de PIB de 25%. Les mesures prises, même si elles sont impressionnantes, ne la compensent pas», nuance Mathilde Lemoine, qui s’attend à une deuxième phase de relance.
Début de la phase deux
Le creusement des déficits n’est donc peut-être pas fini. Parce qu’après avoir paré au plus pressé pour éviter des faillites et un chômage de masse, s’être assuré que la machine reparte dès que possible, il faut maintenant se concentrer sur l’investissement, qui créera les conditions de la croissance, ajoute Valentin Bissat, économiste chez Mirabaud Asset Management.
Si les emprunts n’évoquent a priori rien de positif, c’est en partie le fait de préjugés. Ou d’exemples de pays où la gestion financière a mal tourné, de fiascos historiques qui ont laissé des traces dans la mémoire collective. Or la crise n’est pas inéluctable. D’abord, elle est rarement le fait de la seule dette elle-même. Ensuite, les exemples d’endettements massifs, résorbés avec le retour de la croissance, existent aussi. Enfin, si les montants asphyxient une économie, des solutions existent et ne cessent d’être inventées.
Les emprunts, en soi, ne sont donc pas mauvais. S’endetter est même nécessaire pour des pays comme la Suisse, guetté par le vieillissement de la population et dont la croissance potentielle est faible: «L’augmentation de la croissance en Suisse ces dernières années avait résulté de la hausse de la population. Or cette dernière, qui compensait la productivité faible, est stabilisée. Donc pour que le soufflé ne retombe pas, il faudrait investir dans les infrastructures et encourager l’investissement privé», reprend Mathilde Lemoine.
Financer la transition énergétique
A défaut, la Suisse et nombre de pays européens auront un problème: «Des dépenses publiques qui n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la crise de 2008, couplées à un sous-investissement privé ont entraîné un vieillissement du stock de capital [le patrimoine non financier d’une économie, ndlr]. Or si cela continue, le potentiel de croissance va encore diminuer et rendra plus difficile le remboursement des dettes qu’elles soient publiques ou privées.»
Dans ce sens, ce n’est pas la dette qu’il faut craindre, mais le manque de dette qui trahirait de trop faibles investissements. Et qui empêcherait par exemple de financer la transition énergétique que de nombreuses personnes appellent de leurs vœux.
D'ailleurs, «le Fonds de relance européen « Next generation EU » change la donne. En investissant plutôt qu’en voulant gérer les dettes du passé, les chefs d’États et de gouvernement européen évitent un nouveau déclassement de la zone euro et son risque d’éclatement», ajoute Mathilde Lemoine.
Peur psychologique
Si on craint autant la dette, c’est en partie parce qu’on l’associe à un boulet qui freinera la croissance future, nourrira l’inflation ou l’hyperinflation.
Qu’on a ainsi créé une «peur inconsciente» exagérée. Pendant des décennies, le Fonds monétaire international (FMI) a imposé une stricte discipline financière pour fournir des prêts, arguant que trop de dette freinerait la croissance.
2 experts de renommée mondiale l’ont même théorisé, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, avant de se rendre compte qu’une erreur avait faussé tous leurs calculs, qui avaient établi à 90% du PIB un endettement qui freine la croissance. «Tout comme la zone euro avait fixé la limite à 60% du PIB, parce que c’était la moyenne au sein des pays membres avant l’introduction de la monnaie unique, pas parce que la théorie économique le recommandait», rappelle Valentin Bissat. On a utilisé ces théories lors de la crise de l’euro, avant de se rendre compte que les plans d’austérité avaient un effet contre-productif.
En outre, on raisonne, à tort, comme des ménages, déplorent les tenants de la théorie monétaire moderne toujours plus en vogue et incarnée par la professeure d’économie à New York Stephanie Kelton. Pour elle, on est tombé dans un piège linguistique en assimilant le vocabulaire des ménages qui doivent par exemple «se serrer la ceinture» à un Etat : rapportés à un individu, les «déficits» deviennent quelque chose à éliminer, alors que l’Etat, lui, ne fonctionne justement pas de la même manière. L’économiste se met en porte-à-faux avec l’idée que, pour dépenser, il faut d’abord savoir comment payer. Le marché obligataire et la banque centrale sont là pour veiller à ce que la pompe ne se tarisse pas. La contrainte budgétaire n’existant tout simplement pas, la vraie limite se trouve ailleurs: lorsque les dépenses publiques risquent de provoquer une surchauffe économique et de l’inflation.
La réaction à cette crise sanitaire s’apparente d’ailleurs déjà à une application de cette théorie, relèvent des économistes de Pictet dans une étude. Au moins dans une forme adoucie: les gouvernements empruntent, les banques centrales rachètent les créances et maintiennent les taux d’intérêt à des niveaux bas, évitant ainsi que le paiement des intérêts ne devienne ingérable.
Il faudra donc peut-être s’habituer à cette présence, finalement pas si menaçante, d’une montagne de dette. Et accepter que sa réduction doive prendre des décennies pour ne pas entraver la croissance. Dans une hypothèse de taux bas pendant une longue période, schématiquement, «les jeunes générations, qui ont tendance à consommer ou emprunter davantage, s’en sortent dans ce contexte mieux que les plus âgés, dont l’épargne stagne», souligne Valentin Bissat. Ils s’en sortiront d’autant mieux si ces emprunts servent à stimuler une croissance plus durable, plus verte.
Dans un entretien à « L’Opinion », Pierre Moscovici, qui a pris ses fonctions le 3 juin, argue que « quand la dépense est justifiée par des raisons exceptionnelles, économiques ou sociales, quand elle est bien utilisée, elle est légitime ».