Vue du village d’Oppède en 1940
Oppède !
Consuelo de Saint-Exupéry !
Je rode dans les travées de la librairie Gallimard, où je suis venu récupérer un petit butin post-confinement, et je tombe sur une petite collection blanche (Gallimard peut se permettre puisqu’il y a au catalogue la série noire qui a ses lettres de noblesse) : Oppède
Souvenirs
Je ne vais pas les égrener mais pendant des années j’ai arpenté le LUBERON
« Le Luberon (du provençal lébéroun, lièvre couché) est le nom donné à un massif montagneux français peu élevé qui s'étend d'est en ouest entre les Alpes-de-Haute-Provence et le Vaucluse : ce massif comprend trois « montagnes » : le Luberon oriental, le Grand Luberon et le Petit Luberon, séparées par deux voies de communication nord-sud. Ces dernières relient Lourmarin à Bonnieux et à Apt, en passant par la combe de Lourmarin.
Les dictionnaires français des noms propres (Larousse, Robert...) admettent une double forme, Luberon ou Lubéron, mais les gens originaires de la région affirment que la seule orthographe et prononciation correcte est Luberon, avec un "e" prononcé comme dans "venir", l'orthographe et la prononciation Lubéron étant « parisiennes ».
c’est à ce moment-là que je découvris Oppède, plus précisément Oppède-le-Vieux.
Ma première incursion en Luberon (en juillet 1988 pour quelques vacances, avec mes 2 chats : Pistou et Alfred, en un temps fort agité de ma vie, grâce à mon vieil ami Jacques Geliot, fut du côté de Robion. Louis Mermaz et Georges Marchais y passaient des vacances m’avait-on dit. Ce n’est pas la proximité de ces deux éminents protagonistes du Programme Commun qui m’avait poussé en ce lieu mais tout simplement l’envie d’être éloigné des rives de la tempête. Beau village avec le souvenir du vieux cimetière où sur certaines tombes sont visibles des sculptures représentant le métier du défunt ou les conditions de sa disparition.
C’est à ce moment-là que je découvris Oppède, plus précisément Oppède-le-Vieux.
Gordes, dans la plaine, la superbe villa de Michel Henochsberg, l’abbaye de Sénanque, le marché paysan de Velleron, j’ignorais en ce temps-là où je croisais Wolinski, que Tonton y filait le parfait amour avec Anne Pingeot.
« Nous déjeunons à Roussillon. Rencontre pittoresque avec Savary. À la Rose d’or, toi, les Soudet, la sœur de Laurence. L’après-midi promenade aux gorges du Régalon, puis par « le Trou du Rat » sur les hauteurs du Luberon jusqu’à ce que le soleil disparaisse dans une brume de lumière. Nous dînons à Gordes, un peu étourdis par le grand air, les senteurs violentes, la joie de vivre.
Pâques ensemble mon Anne. »
Puis ce fut Buoux…
Je me passionnais pour les ocres de Roussillon et :
À Roussillon, dans une pinède, le Conservatoire des Ocres et des Pigments Appliqués perpétue la mémoire des ocres. Là, les bâtiments de l'ancienne usine Mathieu ont été restaurés et le visiteur peut revivre les différentes étapes du traitement de la matière brute : élimination des sables dans des canalisations en pierre (batardeaux puis reposoirs), séchage de l'ocre purifiée dans des bassins de décantation, découpage en briquettes qui sont cuites plus tard (selon la cuisson l'ocre donne des couleurs différentes), et enfin concassage, filtrage et conditionnement de l'ocre pure. Le Conservatoire, véritable joyau pour les passionnés de colorants et de couleurs, ne se contente pas de préserver les outils, c'est également un lieu de transmission des savoir-faire. Artistes, artisans, simples particuliers s'y initient tout au long de l'année à toutes les formes de techniques qui utilisent les pigments. ICI
Un beau jour je décidai d’y aller faire un stage d’initiation de peinture à la chaux.
Le train jusqu’à Avignon, une petite auto de location, cap sr Oppède où j’avais décidé de dîner et de passer la nuit dans une chambre d’hôtes «L’Oppidum», 5 Place de la Croix 84580 Oppède-le-Vieux. ICI
Au retour du stage j’envisageai très sérieusement de laisser tomber mes papiers pour m’installer peintre à la chaux ; les premiers bobos raffolaient de cette naturalité. Fabriquer sa peinture à la chaux colorée de pigments est un jeu d’enfant mais l’étendre est une autre paire de manches : pas question de rouleau, tout à la brosse en traçant des X, donc essentiellement de l’huile de coude. Bref, je peignis toutes les pièces mon pavillon d’honneur de château de la Chapelle-en-Serval à la chaux et j’en conclu que mes vertèbres du dos risquaient de me lâcher, ce qui fut le cas deux ans après où je dus faire un séjour de 8 jours à l’hôpital Lariboisière suivi d’un mois le buste enserré dans une coque de plâtre.
Voir le reportage sur mon pavillon d’honneur de château de la Chapelle-en-Serval dans la chronique de 8 heures.
Revenons au livre de Consuelo de Saint Exupéry
« Oppède, commune du département de Vaucluse, arrondissement d’Apt, sur le versant nord du Lubéron – 1070 habitants – Carrières de pierres à bâtir – Maisons des XIIè XIIIè et XIVè siècles, dont quelques-unes sont abandonnées et en ruines. Château bâti au commencement du XIIIè siècle par le comte de Toulouse, Raimond VI, remanié et agrandi à l’époque de la Renaissance. » (La Grande Encyclopédie).
Les habitants qui, en 1940, n’étaient plus qu’au nombre de 700 environ, vivent dans la plaine. Mais c’est dans la vieille ville, dans le château et les vieilles maisons abandonnées au sommet du rocher que Consuelo de Saint Exupéry s’était réfugiée au lendemain de l’armistice de 1940. C’est là que, dans la pauvreté et dans la faim, un groupe d’architectes et d’artistes entreprirent de continuer l’enseignement de leur art pour que les survivants soient prêts à rebâtir quand cesserait l’ère de destruction. Lorsque Consuelo de Saint Exupéry partit en 1942 pour rejoindre son mari aux Etats-Unis, elle fit serment à ses amis de raconter l’histoire du groupe d’Oppède. Ce livre, où l’irréel semble se mélanger au réel, est l’accomplissement de sa promesse. Au mois de mai 1944. elle avait envoyé quelques chapitres de son récit à Antoine de Saint Exupéry, et d’Alger où se trouvait son escadrille, il lui avait dit dans un télégramme : « Félicitations enthousiastes pour votre livre stop Ecrirai pour vous plus belle préface du monde. »
EXTRAITS :
Page 41.
… À Pau j’ai rencontré des camarades de mon atelier de Paris. Ils m’ont parlé avec enthousiasme d’une ville morte au sommet d’un rocher, près d’Avignon. Cela s’appelle Oppède, tu connais ? Tout est en ruines, paraît-il, mais ils sont architectes, il y a de la pierre, et quand ils m’ont quittée, ils allaient à Oppède pour essayer d’y travailler. C’est une vieille ville romane, très belle, très folle, en plein mistral. Ils m’ont demandé de venir aussi.
- De quoi vivent-ils là-haut, tes petits copains ?
- C’est merveilleux, je t’assure. Ils cultivent des jardins, ils bâtissent des maisons, ils chassent le sanglier, ils ont rouvert des puits ! Ils vivent, quoi ! Pense donc : ils sont complètement libres !
Pages 64-65
Pendant que nous mangions des huîtres fraîches dans un coin du port de Marseille, mes amis me parlaient d’Oppède, et Oppède devenait un personnage, que j’allais affronter comme un dragon.
- Tu verras, me disait Bernard, le premier jour tu te sentiras seule parmi les ruines, le mistral, les étoiles, et puis, un beau matin, tu te réveilleras chez toi, ton cœur aura grandi, les pierres te parleront, et tu auras pitié de ceux qui habitent en bas.
Page 74
Nous montions en silence, dans le soir lumineux. J’entrais dans un pays nouveau, mon cœur battait. Je sentais que celui qui arrive à Oppède doit être touché par la grâce, ou par le feu. La lumière tombait sur les rochers lointains, en éventail. La chaîne du Luberon s’élevait devant nous, à mesure que nous montions, violet sombre, violet cardinal, violet des violettes en bouquet. La plaine disparaissait, le sol devenait dur, et renvoyait nos pas comme une route pavée renvoie le galop d’un cheval.
Page 77
Le vent avait changé de direction. Quelques nuages luttaient encore dans le mistral qui balayait les crêtes lointaines. Au-dessous de nous, la plaine de Cavaillon n’était qu’une mer d’un vert bleu sombre, où bougeait lentement quelques feux. Nous montions dans l’air pur, vers le ciel admirable.
Au tournant d’un rocher, brusquement, le vent me fit clore les paupières, le vent et quelque chose que je venais d’entrevoir. Comme celui qu’une lueur éblouit, et qui voit dans ses yeux fermés une autre lumière vive, je m’arrêtai, guettant avec mon cœur.
Des murailles immenses, des tours décapitées avaient surgi devant moi, proches et lointaines, je ne pouvais pas le savoir à cet instant. Toutes les lumières du couchant éclataient sur les contreforts et les parois percées de hautes fenêtres en ogive, au travers desquelles on voyait luire le ciel pâle. La masse énorme du château se confondait sur les deux ailes avec les crêtes. Elle se perdait plus bas dans les parois abruptes d’un rocher, dominait une large coulée de ruines, de maisons, de terrasses accrochées aux flancs d’une colline dont la base, déjà, baignait dans l’ombre. Cet entassement de pierres géantes apparaissaient invraisemblable, élevé dans la lumière en avant de l’horizon aux lignes pures et bleuissantes du Luberon. C’était Oppède.
Hommage à mes grands-parents paternels chez qui Consuelo de Saint-Exupéry venait déjeuner avec le groupe d’Oppède, lorsqu’elle habitait Oppède-le-Vieux, en 1942. Cette communauté d’artistes comptait l’architecte Bernard Zehrfuss, Grand Prix de Rome, le sculpteur Étienne-Martin, Georges Brodovitch et son frère Alexey Brodovitch, figure du monde des arts graphiques au XXe siècle et directeur artistique de Harper’s Bazaar. Sa collaboration avec Richard Avedon et André Kertész influença toute une génération de photographes.
À cette époque, ma grand-mère, Marie Thérèse Antonia, épouse Assier, et mon grand-père, Vincent Joseph Assier dit «Le Colonial», tenaient l’auberge Saint-Laurent. Ils sont même cités plusieurs fois avec des portraits de ma grand-mère dans l’ouvrage de Consuelo de Saint-Exupéry, OPPÈDE paru aux Éditions BRENTANO’S et nrf GALLIMARD.
C’est peut-être dans ces souvenirs que ma vocation de photographe a vu le jour.
Serge Assier
Bernard Zehrfuss (4ème à gauche) avec le groupe d’Oppède, 1940
1941
Tant bien que mal Consuelo arrive à se débrouiller dans cette France coupée en deux. A Marseille elle retrouve des amis rencontrés à l’académie des Beaux-Arts et fréquente le château Air Bel refuge de beaucoup d’intellectuels de France en danger et en attente d’un départ pour les Etats Unis. Dirigé par le journaliste américain Varian Fry, le château Air Bel fonctionne grâce à l’aide financière de la riche héritière américaine Mary James Gold (une amie de Consuelo qu’elle recevra plus tard dans sa maison de Grasse) et sous la protection d’Eleanor Roosevelt.
Dans cette maison, Consuelo va se retrouver presqu’en famille au milieu de tous ces artistes dont beaucoup sont des surréalistes comme André Breton et Oscar Dominguez. Elle restera par la suite l’amie de tous les occupants de cette maison comme par exemple Peggy Guggenheim qui l’aidera à trouver du travail à New York après la disparition de son mari.
Les photos de cette époque ressemblent plus à des photos de vacances qu’à des photos de répression et de guerre. Sur l’une de ces photos, on voit une Consuelo souriante, en équilibre sur la branche dénudée d’un platane alors qu’en dessous tout un groupe semble discuter agréablement.
Antoine continue à lui envoyer très régulièrement des télégrammes mais Consuelo est lasse de cette situation. Malade (elle attrape une pneumonie qu’elle fera soigner dans une clinique à Marseille), elle finit par accepter la proposition de ses amis artistes de reconstruire le village d’Oppède. Elle dira bien plus tard dans des enregistrements biographiques :
« J’ai appris la vie à Oppède … Je croyais tout savoir, tout avoir appris dans les plantations de café de mon père le colonel, mais il me restait l’apprentissage d’Oppède… »
La vie à Oppède pendant cette période de guerre, c’est un peu comme une bulle d’oxygène en suspens au-dessus de la Provence. Ce groupe de jeunes artistes vit en autarcie complète au milieu d’une nature sauvage et rude. Tous vivent d’espoir et tentent d’oublier le drame de la guerre. Sur les photos prises à cette époque on peut voir de grandes tablées joyeuses, un peu comme des photos de vacances prises à la campagne.
A Oppède, Consuelo va se laisser séduire par un jeune architecte. Grand prix de Rome Bernard Zehrfuss fera par la suite une brillante carrière d’architecte en France et à l’étranger (c’est lui qui sera bien plus tard l’architecte de l’UNESCO à Paris). A cette époque Consuelo se sent abandonnée. La fraicheur et la sincérité de cette relation ne lui feront jamais cependant oublier Antoine et elle finira par céder à ses demandes de plus en plus pressantes, de venir le rejoindre à New York. En effet, Antoine ne supporte pas cette séparation et le fait savoir à Consuelo en lui envoyant d’Amérique de nombreux télégrammes que Consuelo a conservés sa vie durant. De l’autre côté de l’Atlantique, Consuelo sait que l’attend celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Consuelo rejoint New York en bateau à partir de Lisbonne et confirme à son mari depuis l’hôtel Tivoli de Lisbonne, le 7 décembre 1941, qu’elle est bien arrivée et qu’elle va s’embarquer pour les Etats-Unis à bord de l’Escampions qui accostera à New York le 12 décembre 1941.
Antoine de Saint-Exupéry Consuelo, son épouse (1901-1979) ICI
À la fin de l’été 1930 lors d’une réception à l’Alliance française de Buenos Aires, l’écrivain Benjamin Crémieux présente Consuelo Suncin à Antoine de Saint-Exupéry, alors chef de l’Aéropostale en Argentine. C’est le coup de foudre !
Saint-Exupéry aurait fait des remarques sur sa petite taille et pour se faire pardonner, l’aurait invité à faire un tour en avion. Pendant le vol, il lui aurait demandé de l’embrasser, ce qu’elle aurait fait bien qu’elle le trouvât trop laid.
Consuelo Suncin de Sandoval est née à Arménia, au Salvador en 1901. Elle fait des études d’art et apprend le français. Séparée de son premier mari Ricardo Cardenas, elle est veuve de l’écrivain guatémaltèque Enrique Gomez Carrillo (décédé en 1927), ami de Maurice Maeterlinck, Gabriele d’Annunzio, Oscar Wilde, Picasso, Dali, Verlaine…
Le 22 avril 1931, Antoine épouse Consuelo à Nice, le mariage religieux ayant été célébré le 12 avril 1931 à Agay. Sa robe de mariée en dentelle noire détonne et sa belle-famille l’accueille avec réticence. Marie de Saint-Exupéry a la sensation que Consuelo l’éloigne de son fils.
Consuelo adolescente
1901, La naissance :
C’est au tout début du XXe siècle que naît Consuelo Suncin Sandoval dans le plus petit pays d’Amérique Centrale, El Salvador.
Coincé entre le Honduras et le Guatemala, ce pays de volcans aux séismes fréquents et aux éruptions volcaniques régulières est aussi une terre tropicale, colorée et odorante. Politiquement instable, El Salvador connaît des guerres civiles et des luttes contre les autres pays Centre-Américains jusqu’au début du XXe siècle.
Consuelo voit le jour le 16 avril 1901 au sein d’une famille aisée d’Arménia dans la province de Sonsonate. Son père est planteur de café et aussi officier de réserve, il appartient à cette élite des propriétaires terriens qui fait de la famille de Consuelo l’une des plus riches de la ville.
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Consuelo, photo pour la première page du journal Parisina
Consuelo de Saint-Exupéry sur sa vie pendant la guerre
Consuelo de Saint-Exupéry, épouse d'Antoine de SAINT-EXUPERY, est interviewée par Georges CHARBONNIER et raconte sa vie et celle de son mari leur vie pendant la période de guerre.
Elle évoque tour à tour l'exode, le départ de son époux pour la guerre, leur maison et leur vie à New-york durant l'occupation, leur vie dans leur maison de campagne de Northport, leur mariage en 1931 à Agay,...
Consuelo de Saint-Exupéry sur l'accident de son mari au Guatemala
Consuelo de SAINT-EXUPERY, veuve d'Antoine de SAINT EXUPERY évoque l'accident de son époux en 1935 au Guatemala ainsi que les souffrances physiques qu'il a endurées suite à cet accident. Elle parle ensuite de leur maison "La Feuilleraie" dans la forêt de Sénart et de leur vie jusqu'à la période de guerre.