Le 19 avril, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern et son conjoint étaient conviés au banquet de bienvenue, donné par la reine Élisabeth II, durant le sommet du Commonwealth.
PHOTO DANIEL LEAL-OLIVAS / REUTERS
Je ne sais si nous avons une Jacinda Ardern en magasin, j’en doute fortement, mais je ne résiste pas au plaisir de mettre sous le nez de toutes nos haridelles politiques franchouillarde le portrait dressé par Isabelle Dellerba dans le journal Le Monde
En Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, une première ministre dans la mêlée ICI
Cette jeune femme de 40 ans incarne pour moi ce que la pratique politique devrait être dans le fameux monde d’après où les mâles dominants occupent presque toutes les places de pouvoir.
Je rêve sans aucun doute mais peu m’importe I have a dream…
Ça me désintoxique des Bigard, Onfray, Retailleau, Zemmour, et tout le cheptel des vieux boucs…
PORTRAIT La chef de gouvernement a sorti l’archipel de la crise due au coronavirus avec un mélange de fermeté et de bienveillance qui n’a fait que renforcer sa cote auprès de ses compatriotes. Elle briguera un deuxième mandat, en septembre.
Ses adversaires politiques ne donnaient pas cher de sa peau. Trop tendre. Trop douce. Trop aimable. « Rien dans le fond », persiflait-on dans les rangs de la droite néo-zélandaise, en observant Jacinda Ardern, 37 ans, chevelure brune tombant en cascade autour d’un visage constamment illuminé par un immense sourire et nouvelle présidente du Parti travailliste. C’était à l’hiver austral 2017. Quelques semaines avant qu’au terme des élections législatives du 23 septembre, la députée, déjouant tous les pronostics, ne devienne la plus jeune femme première ministre du monde.
Trois ans plus tard et alors que le prochain scrutin doit se tenir le 19 septembre, l’heure n’est plus aux sarcasmes dans les rangs de l’opposition. Selon un sondage, paru le 18 mai, l’élue est la chef de gouvernement la plus populaire depuis un siècle. Non seulement elle a fait de sa bienveillance naturelle une arme de séduction massive, mais elle s’est révélée solide comme un roc quand une succession de crises a secoué l’archipel, d’ordinaire si paisible : de la tuerie de masse commise par un suprémaciste blanc dans deux mosquées de Christchurch, le 15 mars 2019, à l’éruption du volcan de White Island, qui a coûté la vie à 21 personnes en décembre de la même année, en passant par le nouveau coronavirus, en février. A chaque fois, son calme, sa détermination et la qualité de son leadership ont été salués.
Sa gestion de la crise due au SARS-CoV-2 a emporté tous les suffrages dans l’archipel. Après avoir fermé les frontières pour bénéficier des avantages de l’insularité, la travailliste a fait le pari d’éradiquer le Covid-19 et décidé, pour y parvenir, d’imposer aux 5 millions de Néo-Zélandais– comme à l’économie – l’un des confinements les plus stricts de la planète.
Verdict : après avoir culminé à 1 504 cas, la courbe s’est écrasée et le virus a cessé de circuler dans le pays. Le 8 juin, sous les applaudissements de ses compatriotes, la première ministre a annoncé la levée des restrictions et le retour à une vie normale. Seules les frontières resteront fermées. Elle a été « impressionnante », n’a pu que concéder, le 22 mai, le chef de l’opposition conservatrice, Todd Muller. « Après ces trois années au pouvoir, elle bénéficie d’une image pratiquement parfaite, analyse Jennifer Lees-Marshment, spécialiste en marketing politique. A la fois proche des gens et compétente.»
En direct depuis son canapé
Car si, au fil des années, Jacinda Ardern a gagné le respect des Néo-Zélandais, elle reste aussi, à leurs yeux, ce leader facile d’accès qu’ils avaient tant aimé en 2017 et qu’ils continuent à plébisciter en 2020. Une personnalité politique à part, capable de lancer un échange en direct sur Facebook au premier soir du confinement, depuis son canapé, les traits tirés, portant un haut de survêtement informe, pour répondre aux questions de ses concitoyens, même les plus anodines, sans jamais se départir de son sens de l’autodérision. Manière de créer une relation unique avec sa population.
C’est que, jeune et diplômée en communication, « Jacinda Ardern maîtrise parfaitement les réseaux sociaux », souligne Mme Lees-Marshment. Ainsi, c’est sur Internet qu’elle annonce sa grossesse en postant la photo de trois hameçons, clin d’œil à son compagnon, Clarke Gayford, animateur d’un programme sur la pêche à la télévision. Enceinte pendant la campagne électorale de 2017, elle devient la deuxième chef de gouvernement au monde, après la Pakistanaise Benazir Bhutto, à donner la vie durant son mandat. Mais contrairement à sa prédécesseure, elle prend six semaines de congé maternité avant que son conjoint ne s’occupe du bébé et devienne « père au foyer », écrit-elle sur Instagram. La Nouvelle-Zélande – qui a été le premier pays à accorder le droit de vote aux femmes, en 1893 – applaudit à tout rompre.
De cette grossesse, les Néo-Zélandais retiendront aussi une autre image. Celle de leur dirigeante arrivant au palais de Buckingham, à Londres, en avril 2018, pour un banquet avec la reine Elizabeth II, drapée d’une cape traditionnelle maorie, la kahu huruhuru, symbole du pouvoir. Une image forte pour les femmes, mais aussi et surtout pour les Maoris, premiers habitants de l’archipel, avec lesquels elle a réussi à tisser un lien de confiance.
« Elle a été très sous-estimée, y compris dans son propre parti, souligne Harry Duynhoven, un ancien député travailliste qui l’a rencontrée au tout début de son parcours, quand il l’a embauchée comme stagiaire, puis assistante, en 2001. Les gens font l’erreur de penser qu’elle est faible parce qu’elle est bienveillante, mais elle a toujours eu cette force. De toute évidence, on n’en arrive pas là où elle est aujourd’hui sans une bonne dose de volonté et de détermination. »
A l’époque, la jeune femme, qui a sa carte au Parti travailliste depuis l’âge de 17 ans, ne songe pas aux plus hautes fonctions mais à la politique comme un moyen de changer les choses. « Je me souviens qu’elle était particulièrement sensible à la question des plus défavorisés, poursuit Harry Duynhoven. Cela vient de là où elle a grandi. » Jacinda, fille d’un policier et d’une cantinière, passe en effet une partie de son enfance, avec sa sœur et ses parents, à Murupara, une petite ville déshéritée à majorité maorie, perdue à quelque 300 km au sud-ouest d’Auckland. C’est là qu’elle découvre la pauvreté, la violence et surtout, comme elle le dira plus tard, « le concept d’injustice ».
Idées larges
La religion jouera un grand rôle dans la formation de Jacinda Ardern. Sa famille, très pratiquante, appartient à l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours, qui loue les vertus de la famille, du travail, de l’honnêteté, de l’entraide et de la charité. A Morrinsville, une bourgade rurale où la petite famille déménage ensuite, Gregor Fountain, son ancien professeur d’histoire, se souvient d’une élève « très engagée dans la vie sociale et qui avait un profond sens moral ».
« C’était une lycéenne brillante, curieuse, travailleuse et très douée à l’oral », ajoute-t-il. « Une jeune fille bien. Avec beaucoup de compassion. Une mormone », complète Carole Covich, propriétaire du fish and chips où l’adolescente gagnait un peu d’argent de poche le week-end. « Elle menait une vie plutôt stricte, elle ne buvait ni alcool ni café », se remémore Tony Milne, son ancien colocataire. Elle a alors une vingtaine d’années et la politique l’a conduite jusqu’à Wellington, la capitale, où elle partage bientôt un appartement avec trois amis homosexuels. C’est là que ses valeurs mormones entrent en collision avec ses idées progressistes et qu’elle décide de quitter l’Eglise. Elle se définit depuis comme « agnostique ».
« Nous étions avant tout des militants, nous travaillions énormément, et j’étais persuadé que Jacinda irait loin, raconte encore Tony Milne. D’ailleurs, elle a rejoint le cabinet de la première ministre, Helen Clark, avant les élections législatives de 2005. Elle a aussi été la première présidente néo-zélandaise de l’Union internationale des jeunesses socialistes, en 2008. Elle avait cette facilité à nouer des liens avec tout le monde et à emporter l’adhésion autour d’elle. »
Parmi les cadres travaillistes, Paul Tolich, également convaincu de son potentiel, pousse le parti, qui manque de visages féminins, à lui offrir une place éligible sur sa liste aux législatives de 2008 : « Elle cochait toutes les cases. Elle était compétente, représentait la jeunesse et c’était une femme ». A 28 ans, après un séjour de quelques mois à New York, où elle a notamment fait du bénévolat dans une soupe populaire, puis à Londres, où elle a intégré le cabinet du chef du gouvernement de l’époque, Tony Blair, Jacinda Ardern devient la plus jeune députée du Parlement kiwi.
Epaisseur politique
Mais personne n’imagine alors que, dix ans plus tard, elle prendra la direction du gouvernement. Pas même elle. Dans les interviews, la parlementaire évoque surtout son rêve de fonder une famille et souligne que ce projet est difficilement conciliable avec un poste aussi prenant. « Ce n’est pas quelqu’un qui voulait “être”, elle voulait “faire” », se rappelle Colin James, journaliste politique. A droite, on ne prête guère d’attention à une élue que l’on considère manquer autant d’expérience que de « substance ».
Une succession de démissions surprises, en 2017, précipite pourtant son destin et la propulse jusqu’à la présidence du Parti socialiste, le 1er août, en pleine campagne électorale. Sa personnalité, son charisme comme ses promesses de changement, dans un pays où les inégalités sont criantes, ressuscitent un centre gauche en déshérence. Le 26 octobre, à l’issue des législatives, Jacinda Ardern est nommée première ministre et met fin à neuf ans de règne conservateur. A la tête d’une coalition tripartite, celle qui se définit comme une « idéaliste pragmatique » donne la priorité aux laissés-pour-compte de la réussite néo-zélandaise et à la lutte contre le réchauffement climatique. Un agenda de gauche, mais qui laisse sur leur faim ceux qui rêvaient de réformes plus radicales.
C’est à travers sa réponse au massacre de Christchurch que l’élue change de stature en donnant une épaisseur politique à cette empathie qu’elle porte en bandoulière. « Dans les périodes de crise, il y a toujours un risque de division, explique le politologue Bryce Edwards. Avec Jacinda Ardern, qui privilégie une approche fondée sur la bienveillance, les Néo-Zélandais ont réussi à traverser toutes ces crises en restant unis et solidaires. »
Personnalité mondiale
Le 15 mars 2019, devant un pays pétrifié par l’ampleur du carnage – 51 musulmans exécutés en quelques minutes, la pire tuerie de masse de l’histoire récente de l’archipel –, Jacinda Ardern trouve d’abord les mots : « Ils sont nous. » Puis, les cheveux recouverts d’un voile en signe de respect, elle se porte au chevet des familles de victimes qu’elle écoute, soutient et étreint avec une émotion non feinte. Dans son sillage, tout le pays fait bloc.
« Elle est différente des autres politiques. Elle est sincère, c’est ce que l’on a ressenti », tente de décrire Anthony Green, l’ancien porte-parole de la mosquée Al-Noor, l’un des deux lieux de culte visés. Au président américain, Donald Trump, qui lui demande par téléphone comment son pays peut aider, la jeune femme répond sans sourciller : en ayant « de la compassion et de l’amour pour toutes les communautés musulmanes ». Dans la foulée, elle durcit la législation sur les armes et lance une série d’initiatives afin de lutter contre « le racisme, la violence et l’extrémisme en ligne ».
Aux quatre coins de la planète, on salue sa réaction à la fois ferme et humaine. Les grands médias internationaux lui consacrent de longs portraits. Son nom grimpe dans le classement des personnalités les plus influentes du monde. Pas de quoi faire tourner la tête de Jacinda Ardern, consciente qu’en Nouvelle-Zélande, on n’aime guère ceux qui s’imaginent au-dessus de la mêlée.
L’élue s’apprête désormais à briguer un deuxième mandat. Forte de sa victoire contre le virus, elle sait qu’elle va devoir gérer une nouvelle crise, économique cette fois. La quatrième.
Le joueur néo-zélandais Dan Carter, ici lors de la finale de la Coupe du monde 2015, vient d’intégrer l’équipe des Auckland Blues. REUTERS / Toby Melville