J’en ai oublié un de mon temps pour faire le pendant au Pr Raoult c’est Alexandre Minkowski, pédiatre, l'un des fondateurs de la néonatalogie, auteur d’un livre d'entretiens avec Jean Lacouture Le mandarin aux pieds nus. Pour les peoples qui occupent le paysage médiatique c’est le grand-père de Julia Minkowski, pénaliste inscrite au barreau de Paris et épouse de Benjamin Griveaux.
De gauche disait-on avec ironie dans son milieu de mandarin, une gauche bien tempérée, engagé oui, membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence, chargé de mission par Bernard Kouchner au secrétariat d'État de l'action humanitaire, puis militant du mouvement Génération Écologie de Brice Lalonde.
Il est connu notamment pour avoir dit du système d'éducation français, que c'était une remarquable machine à fabriquer des crétins.
À son décès, Jean-Yves Nau écrivait en 2004 :
Avec la disparition survenue le vendredi 7 mai, à l'âge de 88 ans, à l'hôpital des Invalides, à Paris du Pr Alexandre Minkowski grande figure de la Résistance la médecine française perd l'une des personnalités les plus marquantes, les plus originales et sans doute les plus chaleureuses de la seconde partie du siècle qui vient de s'écouler ; l'un des rares praticiens à avoir acquis la célébrité tout en abandonnant son titre professoral et une partie de son nom, heureux ainsi de devenir «Minko». Elle a aussi perdu l'un des premiers spécialistes hospitalo-universitaires de sa génération à avoir su faire progresser sa discipline la néonatologie tout en menant de front de multiples combats au service des droits de l'Homme, des enfants du tiers-monde victimes de régimes totalitaires puis, plus tard, de l'écologie… La suite ICI
Le paradoxe aura aussi voulu que ce soit lui qui, au travers de nombreux écrits et déclarations indignées, tente de dynamiter le système hospitalo-universitaire, à bien des égards féodal, dont il était issu et dont il avait amplement bénéficié. Il mène ainsi, de multiples manières, son travail de sape au service d'une médecine qu'il voulait «sociale» et non plus «glorifiée» ou «élitiste». Sa séduction, son charisme, feront que les médias ne seront pas alors les moindres de ses alliés.
Comment par exemple ne pas se souvenir de ses arrivées à l'aube, 5 rue des Italiens au siège du Monde, dans les années 80 quand, vêtu d'une veste rose, il apportait un «Point de vue» à publier en urgence ?
Il y eut aussi l'édition de la célèbre série d'entretiens avec Jean Lacouture publiée en 1975 sous le titre «Le Mandarin aux pieds nus» (Le Seuil). Rendant compte de cet ouvrage, à bien des égards, original et novateur, Claudine Escoffier-Lambiotte écrivait dans les colonnes du Monde daté du 12 mars 1975, à propos de ce pédiatre non conformiste, que le pamphlet était sans aucun doute «le mode favori d'expression de ce Don Quichotte généreux jusqu'à l'imprudence, jusqu'à l'inconséquence et qui ne s'anime vraiment que dans le jeu mêlé de l'indignation et de la provocation». L'indignation, la provocation, caractériseront bien longtemps après la publication de cet ouvrage, les actions du néonatologiste de Port-Royal ; sans pour autant que ses fougues ne parviennent à corriger ni les absurdités de la politique française de distribution des soins ni le fossé grandissant séparant le Nord et le Sud.
Indigné, provocateur, engagé, Miko, médiatique des années 80, désolé d’écrire que c’était une référence d’une autre taille que la cohorte des Professeurs médiatiques, Juvin, Raoult, défilant sur les plateaux de télévision pendant le confinement…
J’assume !
Tout comme j’assume mon allergie, très ancienne, pour le couple Zemmour-Onfray… (voir plus bas)
Raymond Aron à Paris, en janvier 1947. Photo Roger Berson. Roger-Viollet
Sartre-Aron, les frères ennemis ICI
Sartre et Aron existent par eux-mêmes, tant par leur personnalité et leur œuvre propres que parce qu'ils sont devenus des figures tutélaires de leurs camps respectifs, mais ils constituent aussi, à travers leur face-à-face, des indicateurs tout à la fois d'amplitude de houle historique et d'intensité de radiation idéologique
Raymond Aron avait raison, hélas ! ICI
Jean-Paul Sartre (1905-1980), au café de Flore à Paris. © Albert Harlingue/Roger-Viollet
Sartre, Camus et le communisme ICI
Albert Camus et Jean-Paul Sartre en meeting salle Wagram, Paris, 1952. Fidélité à l’Espagne.© Roger-Viollet
Enfin, Guy Bedos vient de tirer sa révérence ICI
Mon souvenir de lui le plus drôle c’est un spectacle qu’il donna à Conflans-Sainte-Honorine, le maire Rocard étant dans la salle, en mitterrandien pur sucre il l’étrilla avec délectation, ce qui plut beaucoup à celui qui était alors le chouchou des sondages. Je m’y étais rendu à l’invitation d’un de mes cadres de la SVF habitant Conflans.
Avec Bigard, que Sarko présenta au Pape, soutien de Campion aux municipales de Paris je ne sais si on touche le fond, mais comme l’intéressé le dirait dans sa langue : ça sent la merde !
Bon dimanche…
Michel Onfray ou les errements de l’identitarisme
Par Alain Policar, chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof). — 25 mai 2020
Le philosophe a annoncé la semaine dernière la création d’une revue, «Front populaire», avec des collaborateurs censés aller du RN au Printemps républicain. Mais avec peut-être un fort penchant à l’extrême droite.
Tribune. Nulle véritable surprise dans le chemin qu’emprunte, désormais sans vergogne, Michel Onfray («faux philosophe et histrion de la pensée contemporaine», écrit Alain Jugnon, auteur d’un salutaire essai, Contre Onfray) : il est celui, profondément inquiétant, de l’alliance rouge-brun, laquelle, à vrai dire, ne réunit que les bruns déclarés avec d’autres bruns camouflés. Les signes d’internationalisme prolétarien proviennent du seul Onfray, mais on a de bonnes raisons de douter de son engagement, ses déclarations d’amour étant réservées aux ouvriers blancs. La création de cette revue, Front populaire, avec des collaborateurs qui vont du RN au Printemps républicain, avec la sympathie affichée de la nouvelle droite (par la bouche de son leader historique, Alain de Benoist), est l’indice, s’il en fallait encore, de l’offensive national-souverainiste dont les structures intellectuelles se nourrissent de l’identitarisme, c’est-à-dire de la sauvegarde de «nos» valeurs contre celles qui viendraient d’ailleurs. Ce clivage entre «eux» et «nous» s’exprime dans la préférence pour Proudhon contre Marx, telle qu’Onfray la résume : le premier est «issu d’une lignée de laboureurs francs» alors que le second est «issu d’une lignée de rabbins ashkénazes».
On pourrait s’étonner que ces effluves d’antisémitisme ne gênent pas les militants du Printemps républicain, dont la marque de fabrique est sa dénonciation. On aurait tort car, selon eux, il existe un antisémitisme qu’il convient de combattre, celui des quartiers, principalement arabo-musulman, et un autre acceptable, celui de l’extrême droite, car il serait fondé sur l’exaltation des valeurs nationales et ne prêterait, dès lors, guère à conséquence.
Défendre «notre» identité nationale est ainsi devenu le lien consistant entre des courants par ailleurs relativement hétérogènes. C’est désormais le nom du racisme de notre temps. Un temps marqué par la prééminence de l’hostilité sur l’hospitalité. Un temps de nostalgie pour nos racines où nous sommes «invités» à avouer ce qui compte vraiment : «Lorsqu’on me demande ce que je suis au fond de moi-même, cela suppose qu’il y a "au fin fond "de chacun une seule appartenance qui compte, sa "vérité profonde" en quelque sorte, son "essence" déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus ; comme si le reste - sa trajectoire d’homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie en somme - ne comptait pour rien» (Amin Maalouf, les Identités meurtrières). Pourquoi le besoin d’appartenance conduit-il trop souvent à la peur de l’autre et à sa négation ? Pourquoi la revendication d’une identité collective tend-elle à se confondre avec la promotion de celle-ci ou, plus exactement, d’un élément de celle-ci au détriment de tous les autres ? Ce dernier choix (ce terme n’est sans doute pas le plus adapté pour désigner la soumission à des origines largement fantasmées) ne résiste pas à l’examen. Comment ne pas être frappé par la variabilité temporelle de la hiérarchie des éléments identitaires ?
L’identité sur laquelle se fondent les principes de l’exclusion est, comme l’a qualifiée Ali Benmakhlouf, une «fable philosophique». Ce sont les conventions linguistiques qui nous incitent à voir une permanence derrière toute identité. Il suffit de songer à l’hétérogénéité culturelle des nations modernes pour comprendre l’impossibilité de réduire leur identité à un substrat objectif et immuable. On ajoutera que la capacité à s’arracher au donné et à choisir d’autres appartenances que celles qui nous ont été transmises est une spécificité humaine extrêmement précieuse. Et, plus fondamentalement, l’horizon de l’homme n’est pas d’être assigné à ses origines ou enfermé dans son passé. Ce qui reste essentiel est l’identification par l’intermédiaire des mythes et des symboles. Dans la voie tracée par Paul Ricœur, on doit par conséquent insister sur le caractère essentiellement narratif de l’identité nationale. L’un des effets de cette narrativité est l’impossibilité de définir le noyau dur de l’identité réelle d’une nation dans l’objectif illusoire de savoir à quoi les immigrants doivent s’intégrer. On met ainsi l’accent sur l’importance du choix des mythes dans l’ouverture à la diversité. Ainsi ceux qui perpétuent l’illusion de l’unité culturelle ou morale de la nation alimentent une conception non inclusive de celle-ci.
En outre, identifier l’origine géographique d’un homme, c’est vraiment dire peu de choses sur lui. Contrairement à ce que croit le raciste qui perçoit des identités et non des êtres singuliers, et qui considère avoir tout dit sur un homme lorsqu’il sait d’où il vient, il reste tout à connaître de cet être, différent de tous les autres, y compris de ceux auxquels il ressemble. C’est cette réalité anthropologique que nie la barbarie identitaire. Il nous semble que cette négation définit correctement l’entreprise nauséabonde d’Onfray et de ses affidés. Tous ceux qui se veulent par l’imagination descendants de rabbins ashkénazes lui opposeront l’espérance cosmopolitique, c’est-à-dire le point de vue d’un humanisme civilisationnel qui regarde l’espèce comme un ensemble de relations. Etre citoyen du monde, écrivait le regretté Tzvetan Todorov, dont la pensée s’est nourrie des principes universels que célèbre la devise républicaine et non des racines des laboureurs francs, «c’est faire partie du devenir de celui qui vient après moi, c’est traiter les générations qui n’existent pas encore comme des concitoyens envers lesquels existe un devoir d’un type particulier qui est "un devoir du genre humain envers lui-même"» (dans son Essai d’anthropologie générale, heureusement intitulé la Vie commune). De cette vie commune participent tous ceux qu’Achille Mbembe nomme, avec bonheur, les «passants».
Dernier ouvrage paru : Cosmopolitisme ou barbarie, éd. Rue d’Ulm.
Alain Policar chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof).
Le capitaine Stephen Decatur à l'abordage d'un vaisseau barbaresque le 3 août 1804, lors de la guerre de Tripoli. | Dennis Malone Carter via Wikimedia Commons