Longtemps je me suis rendu à Caen dans le turbotrain brinquebalant, précisément pendant 5 ans, pour présider le BNICE, dit bureau du Calvados, que j’ai transformé en une interprofession du cidre, du Calvados, du poiré dotée d’un affreux acronyme IDAC. (Les cidres d'appellation Pays d'Auge et Cornouailles, Calvados, Calvados Pays d'Auge, de Domfront, Pommeau de Normandie et de Bretagne, Poiré)
Étrange présidence, je n’avais aucune légitimité professionnelle, ne possédant ni pommier ni poirier, n’étant point élaborateur ni qui que ce soit d’ailleurs, mais du côté des cidriers la première fracture était une frontière entre les bretons et les normands, la seconde entre les industriels Ecusson (CCLF) et Loïc Raison (CSR ex du groupe Pernod-Ricard) et les fermiers. Deux interprofessions qui mettaient les fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture en transes. De plus l’ombre du puissant groupe Pernod-Ricard, il possédait la marque Busnel.
Il leur fallait à la fois un médiateur et un défenseur de leur indépendance face à la voracité des grands groupes.
J’ai accepté.
Un mot sur le fameux Calva :
« Dans tous les bistrots bretons et normands ouverts de bon matin, les hommes de la terre et ceux de la mer puisaient souvent leur courage avec, au fond de leur tasse à café, une eau-de-vie de pomme rude et bien corsée. Cette odeur de café-calva, que, pour une raison qui m’échappe, on appelle ici mic, reste gravée au fond de ma mémoire, tout imprégnée de celle, plus âcre et râpeuse du tabac gris à rouler. Quels récits, quels voyages, quelles aventures partageaient-ils ?
J’ai tenté de comprendre dans mes rêves à quel moment cette rencontre entre le café du lointain port de Moka et l’eau-de-vie de pomme du pays a pu se faire. Cette histoire est probablement proche de l’Irish coffee… »
À l'époque mon intérêt pour Michel Onfray se résumait à ce que me disait de lui une de mes amies qui le fréquentait. Rien lu de lui mais je savais qu’il officiait à Caen dans son Université Populaire.
Lors d’un déjeuner j’abordai la question avec un Caennais qui me balança ironique :
« Avec son « université populaire » pleine de vieux retraités de la fonction publique et de commerçants qui ont toujours rêvé d'être franc-mac...
« Le mec dit s'impliquer dans la vie sociale de son département en faisant venir tout un tas de vieux bourgeois dans sa maison de campagne de l'Orne pour donner des cours de cuisine géants.... Il ferait mieux d'aller dans nos quartiers difficiles faire du soutien scolaire comme je le faisais quand j'avais le temps. »
Alors je me suis renseigné sur les origines du bonhomme qui n’était pas encore un monstre médiatique, pour constater que la pierre angulaire de la démarche de Michel Onfray reposait à la fois sur ses origines : fils d’un ouvrier agricole et d’une femme de ménage et sur son statut professionnel originel : professeur en lycée technique.
Docteur en philosophie, Michel Onfray enseigne en classe terminale au lycée technique de Caen. Il démissionne de l'Education Nationale en 2002 pour créer l'Université Populaire de Caen, afin d'y enseigner une "contre-histoire" de la philosophie.
Valeurs Actuelles, le JO de la Droite Dure dans sa présentation de la dernière trouvaille de l’omniprésent Michel :
Fils d'ouvrier agricole et ancien professeur en lycée technique, le philosophe du “petit peuple” s'est imposé au fil des années comme l'un des meilleurs bretteurs de la bataille culturelle. Avec sa nouvelle revue, Front populaire, il est en passe de devenir une nouvelle icône du populisme français…
« Agir, c'est combattre », disait Pierre-Joseph Proudhon. Voilà une maxime qui pourrait décrire l'état d'esprit avec lequel Michel Onfray se prépare aux grandes crises du “monde d'après”. Le mercredi 15 avril, au plus sombre de la débâcle sanitaire, le philosophe annonçait avec fracas la création de sa nouvelle revue, Front populaire, une « machine de guerre pour la plèbe ».
« Michel Onfray est né en 1959 d’un père ouvrier agricole et d’une mère femme de ménage. Il passe une partie de son enfance, de 1969 à 1973, dans un pensionnat catholique à Giel qui fait office d’orphelinat et qu’il décrira dans la préface d’un de ses ouvrages, La puissance d’exister (Grasset, 2006) »
« Dans le prolétariat, le vrai destin c’est le destin du manuel auquel on oppose l’intellectuel. L’intellectuel c’est vaguement un homosexuel, on doute un peu de sa puissance ou de sa force. »
« L’intellectuel c’est un peu une malédiction dans un couple d’ouvriers. »
« C’est Zola, l’orphelinat en 1969. Je me retrouve dans un milieu d’enfer, un milieu infernal : violence, pédophilie, saleté. »
« Entre le silence paternel et l’abandon maternel. Pourtant, l’enfance du philosophe n’a pas toujours été facile. Avec "un père qui ne parle pas" et n’a jamais témoigné de son amour ou de sa fierté envers son fils, même si toute parole était "d’or", "une promesse". "J’ai longtemps été dans cette idée que si l’on ne dit pas ses sentiments, c’est qu’on n’avait pas de sentiments". Alors, à dix ans, "je ne comprends pas plus le silence de mon père que le comportement de ma mère", se souvient Michel Onfray.
Cette mère, femme de ménage, a abandonné devant un orphelinat ce gamin "intellectuel". "Un intellectuel, c’est une malédiction. On se dit ‘qu’est-ce qu’on va faire de lui ?’". Elle-même avait été une enfant abandonnée : "Une mère douloureuse pour elle-même, pour moi aussi. Elle était en colère contre l’humanité tout entière." Mais "la paix a été faite" entre elle et moi, a indiqué Michel Onfray, semblant apaisé. »
Pour moi, enfant de pas très riches, qui, comme je le faisais remarquer à mes Ministres « s’était lavé le cul dans une bassine d’eau froide » jusqu’à l’âge de 16 ans, le viatique de ses origines et de ses choix originels ne constitue pas un vaccin immunisant d’une dérive en des marais boueux et nauséabonds.
En ce temps-là le Michel me laissait indifférent, il tartinait comme un malade et lorsqu’il dézingua Freud en 2010 Le Crépuscule d'une idole, j’imaginais un dialogue entre Sigmund et moi :
Freud le réprouvé d’Onfray m’adjurait :
- Cherchez la femme vous trouverez l’homme !
- ...
- Prenez BHL, le col blanc, il ne sort jamais dans le monde sans son Arielle...
- Le baril ?
- Mais non crétin sa moitié qui a un si beau popotin : la Dombasle...
- Pardonnez-moi Sigmund, ce n’était qu’une plaisanterie à deux balles...
- Epargnez-moi vos Colucheries, je cherche une rombière...
- Avec une guêpière comme l’Arielle !
- Allons Berthomeau, sachez qu’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui...
- Ce n’est pas de vous...
- Je sais, Desproges est maintenant mon voisin de chambrée...
- Alors vous vous offrez un petit week-end à Paris ?
- Oui je fais un extra pour le St Esprit.
- Vous auriez dû aller en Normandie !
- Au club du 3ième âge de Caen de mon ami Michel...
- L’archange ?
- Décidément vous n’êtes pas sérieux...
- Et vous Sigmund, si j’en crois l’Onfray, vous êtes aussi habillé pour l’hiver... vous un imposteur docteur...
- Mais je n’ai pas dit mon dernier mot...
- Et quel est votre dernier mot ?
- Le premier !
- Vous plaisantez...
- Jamais !
- Alors dites
Et c’est alors que Sigmund m’a dit « Ce Onfray, qui est le Delly de la philosophie à 2 balles, a-t-il, comme BHL, son Arielle Dombasle ? »
Et il est reparti.
Et moi je me suis dit « Fais quelque chose pour répondre à cette brûlante question. La face du monde en sera changée. Pensez-donc, dans le petit monde des lettres parisien, la grande nouvelle c’est qu’au hit-parade de l’intellectuel médiatique l’Onfray d’Argentan, le fils d’un ouvrier agricole et d’une femme de ménage, qui fait passer le temps aux retraités désœuvrés, qu’est pote avec Mélenchon, a détrôné l’héritier des bois exotiques, le BHL qui achète ses chemises blanches chez Charvet rue de la Paix.
Je m’aperçus aussi que le Michel s’intéressait au vin 2 novembre 2010
« L’heureuse ivreté » de Michel Onfray déclinée par un amateur-philosophe venu au vin sur la tard « le vin est cathartique » ICI mais qu’il était d’un conservatisme rance mais c’était son droit et y’avait déjà un léger parfum de la terre qui ne ment pas.
« Les pierres qui font les vins sont roturières pour la plupart. Mais toute sont mêmement chargées de magnétisme : brûlées par le soleil, fendues et fondues par la foudres, polies par les sacs et ressacs, lustrée par l’entropie des vents violents et brefs ou doux et longs, elles eurent pour destin moins les palais et les chefs princiers que les ornières des champs, les fondrières des chemins. On ne les vit pas serties sur un chaton à la main d’une belle, ni pendues autour du cou d’une courtisane, scintillantes de tous leurs feux, en représentation et habits d’apparats, mais révélées à la lumière par le soc d’une charrue, mélangées à la terre et offertes à l’œil par l’acier tranchant d’une araire, ou tout simplement irradiant dans la main de l’homme de l’art qui l’aura extraite de la glèbe qu’il travaille quotidiennement. »
24 Août 2015 le Michel se pâmait pour Mylène Farmer
Sur Radio Classique en avril dernier, le philosophe, qui boit, mange, se pâme aussi « Je trouve qu’il y a chez Mylène Farmer une voix extraordinaire, une sensualité, une volupté. Mylène Farmer c’est aussi un corps, une mise en scène, c’est aussi une façon d’être dans le système. Elle n’est pas du tout au-devant de la scène, elle est un peu secrète, discrète, on ne sait pas grand-chose. Et j'aime assez que les gens produisent leur art et soient sur scène puis disparaissent et n'exploitent pas le filon de leur vie privée. »
La dérive a commencé sous le règne de Flamby pour s’amplifier en 2017, lors de la campagne présidentielle, où il passait aux invectives
Benoit Hamon est le "roi crétin" et le "piège à con". Jean-Luc Mélenchon est "Robespierre le petit". Pourquoi "petit"? Réponse, sans rire du philosophe : "Il n'est pas la hauteur". Quant à François Hollande, c'est « Sphincter Ier », parce qu'il "ne se retient pas, il se répand partout "…
Onfray est une vedette de télévision, qui a bâti sa réputation médiatique sur le ridicule intellectuel de ses postures, dont la dernière livraison est emblématique. Onfray est un " bon client " de la télé, qui a compris l'intérêt commercial qu'il y avait à accepter de se produire à On n'est pas couché et Les Grandes gueules. Et de " bon client " de la télé, Onfray est devenu " bon client " pour le papier. Il a ainsi pu enclencher, avec beaucoup de talent, le cercle vertueux qui procure la plus grande des surfaces médiatiques. Il passe à la télé parce qu'il est à la une des magazines, il est à la une des magazines parce qu'il passe à la télé, et ainsi de suite, à l'infini…
Michel Onfray, le penseur qui pense à la place de monsieur et de madame tout le monde, imbu qu’il est de son immense succès médiatique et commercial
Mais ce n'est pas tout. Désormais tribun de la plèbe réactionnaire, Onfray est aussi le formidable vecteur qui permet aux différentes factions du Vieux monde qui meurt de réfuter la victoire démocratique de Macron et des valeurs qu'il emporte avec lui. En théorisant un vaste complot qui aurait confisqué la démocratie, Onfray apaise les consciences qui prophétisaient que la France 2017, saisie par l'insécurité culturelle, viendrait prendre place aux côtés du Royaume-Uni et des Etats-Unis, entre Trump, Brexit, et soumission à l'ordre mondial de Poutine. De même, il explique aux orphelins de la Vieille maison PS et de la rue de Solférino que la victoire de Macron relève d'une trahison inscrite dans le grand complot, dont Hollande et une partie du PS ont été les complices.
Pour les partisans du Vieux monde, de gauche et de droite, de l'extrême gauche et de l'extrême droite, la vision complotiste et délirante d'Onfray est rassurante. Les uns et les autres y trouvent matière à réconfort en ce qu'ils peuvent conclure que ce ne sont pas leurs idées qui ont perdues, mais que ce sont des tricheurs et comploteurs qui ont porté Macron au pouvoir. Cette explication du monde est apaisante, et leur convient. Onfray est le philosophe de l'époque qui traque les Forces occultes qui détournent la démocratie. Onfray est partout.
Le terminus d'Onfray
Philosophe médiatique et furibard, Michel Onfray crée une revue qui s’appellera Front populaire. Référence à vrai dire trompeuse : rien à voir avec l’été 1936, Léon Blum ou le socialisme réformiste. «Il faut lire séparément "Front" et "populaire"», dit Onfray, ce qu’on comprend très vite.
Il s’agit en fait de réunir les «souverainistes des deux rives», lesquelles – cliché habituel – ne signifient plus rien, puisque le «binarisme» droite-gauche, pour Onfray, est artificiel. Deux gros poissons ont mordu à cet hameçon rouillé, Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers. Le premier donne un article, mais reste distant, le deuxième a l’air plus enthousiaste. But de l’opération : mettre en lumière, par un travail intellectuel, le «vrai clivage» entre élites européistes d’un côté, et peuple enraciné de l’autre, entre mondialisme sans âme d’un côté et souverainisme charnel et démocratique de l’autre, le tout assaisonné d’un proudhonisme censé montrer que l’opération reste issue de la gauche populaire.
A vrai dire cette nouveauté n’a rien de neuf. Alain de Benoist, en son temps, avait proclamé la même ambition, puis divers personnages tout aussi proches de l’extrême droite, tel Florian Philippot. Marine Le Pen avait, elle aussi, lancé des lignes dans cette direction pour pêcher au-delà de son étang. On trouve des précédents historiques dans le boulangisme de la fin du XIXe, ou bien dans les années 30 chez Déat, Doriot et quelques autres, sous une forme nettement plus virulente.
Rhétorique vindicative, nationalisme à peine déguisé, dénonciation du cosmopolitisme, de l’islam, du libéralisme réel ou supposé des adversaires, rejet d’une «pensée unique» dont on se proclame le martyr, etc. Comme d’hab, Onfray s’avance en opprimé des médias, lui qu’on voit dès qu’on allume un écran ou qu’on ouvre un magazine. La figure de style est inusable.
Avec toujours le même problème. Cette coalition souverainiste a tout du pâté d’alouette (un mélange de viande de cheval et de chair d’alouette) : un cheval de la droite dure, une alouette de gauche. Pour une raison simple : la gauche est par nature universaliste, la rengaine identitaire la tient à l’écart. La règle se vérifie encore une fois : une enquête du Monde montre que les soutiens d’Onfray se recrutent avant tout dans les eaux identitaires, puisque à Philippe de Villiers s’ajoutent, comme auteurs ou comme contributeurs empressés, le même Alain de Benoist, Elisabeth Lévy, Ivan Rioufol, Robert et Emmanuelle Ménard, l’identitaire breton Yann Vallerie, le patron d’un observatoire (d’extrême droite) des médias, Claude Chollet, mais aussi Philippe Vardon, ancien du Bloc identitaire, membre du bureau national du Rassemblement national (RN). Avec, en prime, quelques gilets jaunes tirant sur le brun et l’inévitable professeur Raoult armé de ses cartouches de chloroquine. Quelle bande !
On avait naguère rompu des lances avec Onfray qui tenait déjà des propos proches des thèses du RN. La philosophe avait failli casser ses lunettes rectangulaires en hurlant à l’amalgame scandaleux. Aujourd’hui, il confirme lui-même le tropisme qu’on avait détecté à l’époque. C’est le sort de toutes ces entreprises d’hybridation : elles sont toujours tombées du côté où elles penchaient, à la droite de la droite. Proudhon avait écrit un livre intitulé Philosophie de la misère. Marx avait répondu : «Misère de la philosophie.»
LAURENT JOFFRIN
Avec sa nouvelle revue « Front populaire », Michel Onfray séduit les milieux d’extrême droite
La revue, qui doit être lancé en juin, entend réunir les « souverainistes de droite et de gauche ». Parmi ses premiers soutiens, l’on compte de nombreuses figures de la droite de la droite.
Par Lucie Soullier et Abel Mestre Publié le 19 mai 2020
Débattre du souverainisme en 2020 avec Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers. L’affiche poussiéreuse pourrait presque faire sourire. Au temps du « nouveau monde », du « dégagisme », du besoin de renouvellement dans le personnel politique… Le prolifique Michel Onfray annonce le lancement, en juin, d’une revue intitulée Front populaire réunissant l’ancien ministre socialiste et le souverainiste de droite.
Objectif affiché par le philosophe : « Fédérer les souverainistes de droite, de gauche et, surtout, d’ailleurs – à savoir ceux qui ne se reconnaissent pas dans le jeu politique bipolarisé, donc manichéen. Nous voulons contribuer au débat d’idées qui n’existe plus depuis des années, explique au Monde Michel Onfray. Nous souhaitons faire de telle sorte que des notions comme “peuple”, “populaire”, “nation”, “souverainisme”, “protectionnisme” ne soient pas des insultes mais des prétextes à débattre. »
« La pensée dominante traite toute opposition sur le mode du mépris, de la caricature ou de l’invective. » Michel Onfray
D’autant que la crise liée au coronavirus est passée par là, redonnant le goût de la thématique souverainiste à presque toutes les lèvres politiques. Et Michel Onfray a le sens du timing, comme du marketing. Parmi ses recrues emblématiques : le professeur Didier Raoult, très contesté dans le monde médical pour son traitement à l’hydroxychloroquine et nouvelle égérie des pourfendeurs du « système » de tous bords. Ce qui ne pouvait que plaire à Michel Onfray. « La pensée dominante ne respecte pas ce qui n’est pas elle et traite toute opposition sur le mode du mépris, de la caricature ou de l’invective. La “reductio ad Hitlerum” fait la loi. On insulte, on caricature, on déforme, on méprise, on censure, on falsifie, on présente comme intox des infos et comme infos des intox… Nous souhaitons faire entendre une voix alternative », martèle-t-il.
Une « voix alternative », devenue sa marque de fabrique depuis quelques années. Front populaire n’est ainsi qu’une déclinaison de plus de la galaxie Onfray. Son logo arbore d’ailleurs les petites lunettes de l’enseignant, comme le site personnel regroupant l’ensemble de ses productions. Son associé, le producteur de télévision Stéphane Simon (qui a travaillé notamment pour Thierry Ardisson) a quant à lui une expérience dans les « médias engagés » : c’est lui qui produit la webtélé RéacnRoll où s’illustrent les figures de la réacosphère Elisabeth Lévy, Ivan Rioufol, Barbara Lefebvre et Régis de Castelnau. Ces deux derniers seront également « auteurs » au sein de Front populaire, dont la ligne éditoriale séduit à l’extrême droite.
Des personnalités de la droite radicale émargent ainsi parmi la liste des « contributeurs » (c’est-à-dire les nouveaux abonnés ou donateurs, qui sont à ce jour, plus de seize mille). Entre autres : Alain de Benoist, le fondateur du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) – cette structure de l’autoproclamée « nouvelle droite » à mi-chemin entre le club de pensée et l’association politique, élitiste, antiégalitaire, antidémocratique, qui a toujours eu pour objectif de réarmer idéologiquement la droite et l’extrême droite, et a fait office d’école de formation, à la fin du XXe siècle.
On y croise aussi Patrick Lusinchi, l’un des dirigeants d’Eléments, la revue de ce courant ; l’identitaire breton Yann Vallerie (à qui M. Onfray a accordé un entretien pour le site Breizh-Info) ; Claude Chollet, patron d’un observatoire (d’extrême droite) des médias ; Robert et Emmanuelle Ménard, respectivement maire de Béziers et députée, chantres de « l’union des droites », ou encore Philippe Vardon, ancien du Bloc identitaire, désormais membre du bureau national du Rassemblement national (RN).
« Initiative excellente »
Alain de Benoist résume l’accueil bienveillant à droite de la droite : « C’est une initiative excellente. Je trouve seulement que le terme de “souverainistes” est un peu limitatif. J’espère que Front populaire tiendra la promesse contenue dans son titre : qu’il soit un lieu d’échanges pour tous ceux qui regardent la notion de peuple comme plus importante encore que celle d’Etat ou de nation. » Même attente concernée du côté de l’identitaire Philippe Vardon, candidat du parti lepéniste aux municipales à Nice : « J’ai trouvé l’initiative intéressante, alors j’ai mis 30 ou 50 euros. Si ça peut participer à décloisonner le débat, c’est très bien. »
Près de vingt ans après avoir lancé l’Université populaire de Caen pour contrer les idées de Jean-Marie Le Pen, Michel Onfray se voit même adoubé par son héritière, Marine Le Pen, laquelle est allée jusqu’à écrire un tweet félicitant une « initiative (…) positive » qui « ne peut que [la] réjouir ». Un hommage parmi d’autres, se défend le philosophe, qui prend soin de se détacher des figures des partis.
« Il y a plus de seize mille personnes qui saluent [le lancement de Front populaire], elle en fait partie, très bien, déclarait-il sur Sud Radio, le 17 mai. Mais on a fait savoir qu’on ne roulerait pas pour elle, ni pour Mélenchon ni pour Philippot… »
Ces soutiens venus de la droite radicale sont toutefois loin d’être surprenants pour l’anthropologue Jean-Loïc Le Quellec. « Il faut se méfier du déshonneur par association, mais sa dérive droitière est de plus en plus accentuée, alors elle pousse forcément certains à s’agglutiner autour de lui », analyse le directeur de recherche émérite au CNRS et signataire d’une tribune dénonçant « la haine des universitaires » de Michel Onfray, publiée dans L’Humanité.
Et c’est peu de dire que M. Onfray aime jouer avec les ambiguïtés. « Populiste » et « anarchiste proudhonien », selon ses propres termes, il aime provoquer sur des thèmes ultrasensibles comme la race ou les religions. Quitte à écrire des lignes très loin de la gauche libertaire dont il se réclame. Ainsi, en 2015, dans Le Point, il consacre un petit texte à son éditeur, Jean-Paul Enthoven.
Il y décrit l’amitié et l’estime qui lient deux hommes aux antipodes. « Il est urbain et parisien, je suis campagnard et provincial ; il est à l’aise dans le monde des gens de lettres, j’y suis comme un sanglier ; il est un juif libéral cosmopolite, je suis un descendant de Viking enraciné. » Une opposition autour de l’enracinement qu’il reprend dans sa préface au livre Pierre-Joseph Proudhon. L’anarchie sans le désordre, de Thibault Isabel (Autrement, 2017), pour différencier l’anarchiste français « issu d’une lignée de laboureurs francs » de Karl Marx « issu d’une lignée de rabbins ashkénazes ». Thibault Isabel qui n’est d’ailleurs autre que l’ancien rédacteur en chef de Krisis, la revue théorique de la Nouvelle Droite. Et l’un des principaux auteurs de Front populaire.
« Zemmour de gauche »
Critique des religions en général – comme en témoigne l’un de ses best-sellers, Traité d’athéologie (Grasset, 2005), dans lequel il s’attaque aux trois monothéismes – c’est sur l’islam que le courroux de Michel Onfray se focalise depuis plusieurs années, jusqu’à affirmer, le 18 mai, dans une interview à Causeur, que l’islam serait donc la religion la « plus à craindre » et à voir dans Soumission, de Michel Houellebecq (Flammarion, 2015), une prophétie. En 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, il s’interrogeait déjà en ces termes sur France 2 : « La question qu’on devrait pouvoir poser sans être assimilé à Marine Le Pen, c’est : est-ce qu’il y a une différence de nature entre un musulman pacifique et un terroriste ou une différence de degré ? »
Des positions qui, selon ses adversaires, signent son passage à la droite de la droite. « Michel Onfray, qui vient soi-disant de la gauche pure, est devenu l’idiot utile d’une pensée réactionnaire qui a pour point de jonction une obsession anti-islam », juge ainsi Alexis Corbière, député La France insoumise, qui ferraille avec l’enseignant depuis plusieurs années.
Et les premiers « contributeurs » issus de l’extrême droite ne s’y sont pas trompés. La colonne vertébrale du Grece historique s’est entichée de cette personnalité venue de la gauche. « Le discours d’Onfray est plaisant chez certains d’entre nous. Quand tu le vois les bousculer sur BFM-TV, c’est assez jouissif. Il a un côté Zemmour de gauche. Il n’est pas de notre ligne, mais les gens l’ont trouvé sympa après son interview à Eléments [en 2016] », raconte Patrick Lusinchi. Lui s’est abonné à Front populaire quand « Alain de Benoist [lui a] dit que c’était possible ».
Pas une « catapulte à candidat »
« C’est logique, depuis le début la Nouvelle Droite cherche à agir dans le domaine métapolitique et à influer sur le cours des idées. Et elle retrouve une partie de son logiciel dans celui de Michel Onfray », analyse le directeur de l’observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, Jean-Yves Camus. Reste à connaître le véritable débouché de ce Front populaire souverainiste, poursuit le chercheur : « Si c’est une entreprise éditoriale, le paysage médiatique est déjà assez encombré sur cette ligne ; et s’il y a l’idée d’un débouché politique, la question du rapport avec le RN va se poser. »
Michel Onfray, lui, se défend de toute intention politicienne. Pas de « cache-sexe pour couvrir des ambitions de politique politicienne » ni de « catapulte à candidat » derrière Front populaire, serine-t-il. « C’est un procès d’intention », insiste-t-il. Ce qui n’empêche pas les autres d’être à l’affût, comme certains proches de Marion Maréchal ex-Le Pen ne résistant pas à voir là une énième plate-forme pour (re)lancer leur favorite.
Dans la famille officielle de Michel Onfray, les soutiens se font plus timorés : ceux qui viennent de la gauche mettent autant de distance que possible avec le projet. « Le front populaire ne fait pas partie de mes préconisations par les temps qui courent, dit même Jean-Pierre Chevènement. J’ai été sollicité pour une contribution sur l’Europe et la démocratie, où je prends soin de me définir comme républicain plutôt que comme souverainiste. »
Georges Kuzmanovic, ancien porte-parole de La France insoumise, qui a fondé son petit parti, République souveraine, tient à préciser qu’il « ne rejoint rien », mais contribue simplement à un média naissant : « On nous a contactés, car on représente cette souveraineté nationale et populaire. J’écris un papier sur la souveraineté sanitaire. Ce n’est pas un mouvement, et je n’ai pas créé la revue ni coécrit un article. »
« Un mythe des années 1990 »
Au fil du temps, M. Onfray s’est d’ailleurs fait un certain nombre d’adversaires à gauche, son opposition aux jacobins, hérissant notamment les partisans de Jean-Luc Mélenchon. « Il manque de rigueur. Il participe à une entreprise de démolition de la Révolution française. Il a une logique vendéenne », affirme M. Corbière, professeur d’histoire dont la spécialité est 1789. Et d’ajouter que Michel Onfray « appelle sa revue Front populaire, alors qu’il le critiquait dans son livre Décoloniser les provinces ». Dans cet ouvrage de 2017 (Editions de l’Observatoire), M. Onfray écrit en effet : « Chaque fois que la gauche est au pouvoir, elle fait preuve de son impéritie : le 13 février 1937, le Front populaire déclare une pause dans les réformes, bientôt l’Assemblée nationale de cette majorité vote les pleins pouvoirs à Pétain. »
Autre historien engagé à gauche, Thomas Branthôme est lui aussi « très en colère » contre le philosophe. « Avec sa surface médiatique, il va salir l’idée de souveraineté. L’idée de réunir les deux rives est un mythe des années 1990. Une telle alliance annihile l’idée d’une gauche républicaine antiraciste », assure l’enseignant à l’université Paris-Descartes.
L’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg va même plus loin. Pour lui, à chaque fois que la question des « nouvelles convergences » s’est posée depuis la seconde guerre mondiale, elle s’est conclue par une alliance à l’intérieur de l’extrême droite. « C’est finalement assez habituel, dit-il, ces gens-là [comme Michel Onfray] refusent de voir qu’ils ne font pas des convergences, mais qu’ils se rallient. »
Lucie Soullier et Abel Mestre
Après avoir annoncé le lancement de sa revue trimestrielle Front Populaire, dont le premier numéro est prévu juin 2020, le philosophe Michel Onfray a évoqué la possibilité de créer un parti politique si ses lecteurs le désiraient : « Je n'ai pas ça dans l'esprit à priori mais s'il y a un désir des gens, autour de notre revue, de constituer un parti politique, pourquoi pas ». Michel Onfray a également ajouté qu’ « il faut être compétent pour être président de la République et je n'ai pas cette compétence », excluant ainsi la possibilité de le voir se présenter en 2022.
Concernant sa vision de la politique, Michel Onfray a affirmé être "un homme de gauche" et "un socialiste libertaire". Le philosophe explique qu'il n'est pas "un défenseur du parti socialiste ni des Robespierristes de la France Insoumise" mais qu'il est d'une "gauche libre, capable de dire qu'une idée de droite est bonne, si elle me semble bonne". "Je ne veux pas réunir les gens en commençant par dire que je vais les écarter" a-t-il ajouté.
Frédéric Dupin @f_dupin
Philosophie, Education populaire, Doliprane
Il y avait un problème dès le départ avec Onfray. Jusque dans son projet d'éducation populaire. Je pourrais en parler es qualité (prof de philo engagé dans l'éducation populaire depuis une douzaine d'années), je vais me limiter à quelques anecdotes.
Il y a une bonne quinzaine d’années je suis nommé au lycée Camille Desmoulins du Cateau Cambrésis, jeune prof de philo qui descend du TER. Dans les premiers jours, le concierge du lycée me tombe souvent dessus. Il est passionné par la philo.
On discute.
Qu’est-ce que je peux lire ? Moi - ouvrez l’Apologie de Socrate (pas très original) par exemple l’échange avec Mélétos sur ce qu’est une bonne éducation…– ah non, il me répond, Platon c’est le totalitarisme et le mépris du corps. »
« Ouvrez Descartes, le Discours de la méthode, la morale par provision par ex… - ah non, Descartes, c’est la raison moderne, c’est la source de tous nos problèmes aujourd’hui ! Pas question ! »
« La métaphysique des mœurs de Ka… - Mais enfin Kant, c’est le nazisme ! l’obéissance aveugle ! Vous ne voulez pas que je le lise quand même ! »
Au bout d’un moment je lui dis « mais vous avez l’air de savoir plein de choses en fait, difficile de vous conseiller… - ah oui, il me répond, j’ai lu tout Michel Onfray, c’est autre chose que vos vieux bouquins réactionnaires ! »
Il y a un problème là. Vulgariser, ce n’est pas fermer l’accès au savoir en y substituant des opinions vaguement accréditées. Un professeur n’est pas là pour transmettre ce qu’il faut savoir sur Platon ou sur la morale. Il doit aider à y accéder
En ce sens il n’y a pas de vulgarisation possible. Pas de "demi savoir" pour "demi-esprit". Seulement un travail partagé de pédagogie, d’explications et d’efforts. Il faut travailler pour comprendre, malheureusement !
Mais il est plus facile de présenter les philosophes comme à la parade (Platon en 1h, allez ouste) et plus facile encore de s’en débarrasser en jouant sur des anecdotes biographiques
Le déboulonnage d’idole s’adresse justement au vulgaire, qu’il ne s’agit pas de considérer autrement puisque n’importe quel lecteur un peu préparé voit tout de suite l’escroquerie
Dans mon association, j’ai conduit une lecture suivie de la République de Platon en soirée, gratuite, pendant presque 6 ans (les archives sont là ICI
Un des auditeurs, qui avaient l’habitude de prendre sa moto pour aller à Caen écouter Onfray me dit un soir. « Ben je pensais pas que Platon soit aussi subversif » et naïvement « .. et c’est en vente libre comme ça ? personne n’en fait rien ? »
C’était un vrai étonnement de sa part et une belle récompense pour le boulot qu’on faisait ensemble
Onfray commet quotidiennement des bourdes et des contre-sens qui colleraient n’importe quel étudiant de licence. Mais il suffit de faire passer sa négligence pour une courageuse provocation
Celui qui objecte est cloué par des adresses ad hominem (« universitaire », « de droite » « conformiste » etc.) C’est substituer la posture verbale au travail de réflexion. Ce n’est pas de l’éducation
Le lien avec l’extrême droite est logique. Edith Fuchs a bien montré comment l’affirmation d’un style indifférent au travail et à la vérité a en philosophie participé de la montée du nazisme en Allemagne
S’il suffit de mesurer la qualité d’une pensée au bruit des insultes d’un auteur, le premier brouillon ambitieux venu est « philosophe ». Et ce terme anoblit toutes les démissions intellectuelles
Si vulgariser c’est donner au peuple un ersatz parce qu’on le juge incapable de travailler pour comprendre par lui-même et assimiler des choses belles et difficiles, inutile de se dire démocrate. On est pour l'esclavage.
Je ne vais pas répondre à tout. Juste quelques précisions et compléments. Sur les effets de la « vulgarisation » sur l’instruction du peuple, cette magnifique page de Simone Weil : ICI
Sur le « nazisme », je n’affirmai évidemment pas que Onfray est néo-nazi. Je faisais allusion à un très beau livre de philosophie qui montre fort bien qui tire en général les marrons du feu lorsqu’on joue de postures « destructrices » en philosophie :
Sur « l’esclavage ». Aristote regarde l’esclave comme celui qui « par nature » est incapable d’une pensée libre (détachée du calcul économique pour le dire vite). L’esclavage n’est donc pas tant un statut social, qu’une servitude du jugement (1).
Si vous considérez a priori que quelqu’un n’est pas capable de comprendre quelque chose d’exigent, vous le traitez en esclave en un sens. Fournir aux gens curieux d’apprendre des résumés simplistes et qui les enferment plus qu’ils ne les élèvent, c’est au moins les mépriser (2).
Alain développe très bien cette idée dans ses Souvenirs sans égards, où il critique du reste le « hussard noir ». « Nul ne veut instruire le peuple », etc (3). ICI
Enfin, sur Onfray, il faut lui reconnaître d’avoir ouvert la voie. Quand je faisais le tour des bureaux de la mairie de Paris et de celle du 11ème entre 2007 et 2008 pour lancer mon projet d’Université populaire, on me répondait « ah oui comme Onfray, super !
Je ne passais pas mon temps à expliquer que c’était différent. Qu’il ne s’agissait pas de conférences ponctuelles devant deux cent personnes, mais d’ateliers de lectures en petits groupes. Qu’on y venait se former et s’instruire, pas écouter quelqu’un etc.
J’ai complétement cessé de m’intéresser à lui après son bouquin sur Eichmann et Kant, qui est, au-delà de ses lacunes, un scandale. Il s’agit de prendre au mot un assassin nazi pour expliquer un des plus grands esprits de l’humanité : ICI
Le refus de « l’histoire officielle » de la philosophie est difficilement autre chose qu’un positionnement marketing et une manière de flatter ceux qui achètent ainsi rapidement le droit d’ignorer les classiques.
En outre, prétendre comprendre Condillac ou La Mettrie sans avoir saisi d’un peu près ce que Descartes ou Locke entendent par mécanisme ou sensation, là encore, c’est faire passer la charrue avant les bœufs.
Qu’est-ce que des « convictions libertaires » ont à voir là-dedans ?
Expliquer Descartes en classe ne m’a jamais empêché d’y distribuer des textes de Proudhon ou de Victor Serge.
Il y a en outre plus de critique de la religion dans une page de Kant que dans l’œuvre entière d’Onfray ; voyez le chapitre « Sur l’incroyance » des leçons d’éthique. Kant ne fait pas de l’esbroufe. Il risque sa place par ses propos, lui qui est sans autre fortune que son métier.
Je me fiche un peu de la personne d’Onfray. Ce qui m’intéresse c’est le statut de l’enseignement philosophique. La France compte des milliers de professeurs qui s’adressent à tous, tous les jours, dans de nombreuses classes de philosophie.
Ce sont eux les passeurs, les initiateurs. Ils ne « vulgarisent » pas, ils essayent de former des lecteurs. C’est un travail assez ingrat et qui s’exerce le plus souvent dans des conditions difficiles.
Personnellement, il me suffit de rendre disponible gratuitement à chacun quelques échantillons de ce travail. C’est le but de ce site : ICI
La gauche s’aperçoit que Michel Onfray s’inscrit dans la tradition rouge-brun avec son « front populaire ». C’est tardif: dès 2006, je dénonçais son souverainisme réactionnaire identique à celui de l’extrême droite. Mais à l’époque, fallait pas