Allez jusqu’à 98 ans comme Michel Piccoli, je signe de suite.
Je n’ai pas la pointure pour lui rendre hommage mais l’image de lui et de Romy dans les Choses de la vie, et les autres films de Sautet Max et les ferrailleurs, Vincent, François, Paul et les autres, Mado, c’est une belle part de ma vie. Et puis, le Mépris, la Grande Bouffe, Habemus papam, Themroc… Il change de pieds perpétuellement, bien au-delà de l’acteur, « un irrécupérable. Extravagant (un mot qu’il adorait). Et poétiquement libertaire. L’exact contraire d’un courtisan. »
Ni commercial, ni narcissique
Au mitan des années 1970, il est au top. Tout le monde le réclame : Rouffio, Deville, Rivette, Chabrol, Varda, Demy, Lelouch... Les films, certains de francs succès, ne sont pas tous bons, mais lui l’est toujours : la moindre de ses apparitions a du poids, de la densité. Piccoli, c’est l’anti-Belmondo, l’anti-Delon. Ni commercial, ni narcissique. Viscéralement de gauche, il ne gère pas sa carrière, cultive le zigzag (« Les lignes droites m’ennuient »), « hanté par l’idée de passer pour un vieux con » (disait Francis Girod).
En fait, plus il vieillit, moins il s’encroûte. Après avoir beaucoup joué dans les petits théâtres de la rive gauche dans les années 50, il revient à la scène dans les années 1980, et reprend une autre dimension d’acteur encore, aux côtés des plus grands : Peter Brook (La Cerisaie), Patrice Chéreau (La Fausse Suivante , Luc Bondy (Terre étrangère). Avec eux, plus que jamais, il semble capable de tout : de la tragédie comme de la farce, du silence comme du tumulte. Un imprévisible fauve.
Les tempes grisonnantes, la prestance d’un capitaine d’industrie, le verbe haut : c’est l’image de Michel Piccoli gravée par les films de Claude Sautet, au début des années 1970. Des rôles où le pouvoir le disputait à l’angoisse, où la force cachait une fêlure. Un éternel quinquagénaire, Piccoli ? L’âge, en vérité, ne semble n’avoir jamais eu de prise sur ce géant, qui avait travaillé avec les plus grands (Buñuel, Ferreri, Hitchcock, Godard, Oliveira, Ruiz..) en fortifiant à chaque fois sa part d’enfance. Chez lui, la grandeur allait de pair avec l’espièglerie. Et si sa carrière, au cinéma, au théâtre comme aux grandes heures de la télévision, fut exceptionnelle, c’est aussi parce qu’elle fut d’une variété rare.
Ses parents étaient tous deux musiciens, immigrés italiens. Milieu plutôt bourgeois du côté de Marcelle, sa mère, pianiste ; plus modeste, du côté d’Henri, son père, violoniste, qu’il aimait beaucoup. Avec la mère, les rapports étaient plus compliqués. Juliette Gréco, qui fut l’épouse de Piccoli, a dit un jour à Télérama que son enfance fut « dévastatrice ». On sait juste qu’un frère mort avant sa naissance avait précédé Michel...
Enfant, il se terre dans le silence.
L’école ? Morne. Au lycée, il est « nul, totalement ailleurs ». Sauf qu’au collège, dans un pensionnat, il rencontre le théâtre. Vertige. « Je devais avoir 9 ou 10 ans. J’étais agacé par le fait que les adultes parlaient beaucoup entre eux, mais jamais aux enfants. Un jour, sur scène, je me suis régalé en jouant un conte d’Andersen, l’histoire de trois tailleurs qui doivent confectionner le plus beau costume pour le roi et qui réussissent finalement à le faire défiler nu. Une farce sublime. Voir tous ces adultes qui m’écoutaient enfin, c’était merveilleux. Je me suis dit : “J’ai trouvé mon lieu à moi.” »
Michel Piccoli : « Faites tout ce qui peut bouleverser la vie et les spectateurs »
Michel Piccoli garde en lui une capacité d'étonnement presque enfantine qui force l'admiration.
Comment fait-il ?
Mystère. Cet état d'enfance lui a permis de traverser quelques décennies de cinéma, pas moins de six, et d’en parcourir tout le spectre... C'est par ces quelques mots admiratifs que Serge Toubiana présente la rétrospective Que la cinémathèque française (qu'il dirige) consacre à l'acteur en cette rentrée. 66 films à (re)découvrir, parmi les 200 dans lesquels il apparaît.
« Ne courez pas après le triomphe. Voyagez. Allez partout. Faites tout ce qui peut bouleverser la vie & les spectateurs »
« C'est pas parce qu'on est acteur qu'il faut être cabotin, prétentiard ou content de soi-même »
Quand #MichelPiccoli s’offre sa plus belle fin : « Certains des films dans lesquels j’ai joué vont rester, moi je ne reste plus. J’aimerais ne pas mourir. » @madelen_ina pic.twitter.com/REN8h30UI8
— Pauline (@PaulineBaduel) May 18, 2020
L’acteur, disparu le 12 mai à l’âge de 94 ans, a vécu une existence frondeuse et aventurière, s’est essayé à tous les genres de cinéma, a côtoyé les plus grands.