Je ne sais si le confinement a fait progresser les ventes de conserve, le surgelé Picard lui a flambé, mais supposez que votre congélo vous lâche, qu’il y ait une longue panne d’électricité, alors rien ne vaut d’avoir dans le cellier quelques boîtes de conserve.
C’est mon cas, essentiellement des légumes : haricots verts, blancs, flageolets, petits pois, champignons de Paris, pois chiches, maïs doux… etc.
Mais qui se souvient de du « père de la conserve » Nicolas Appert ?
Le grand quotidien israélien HA’ARETZ - TEL-AVIV ICI
Histoire. Nicolas Appert, le génie de la conserve
Scène de repas au front, 1915. BM Dijon. Est 2148. Album photographique (fonds Robert).
3 février 2016
Mon singe à moi, c’est du bœuf en conserve, la ration du poilu de 1914-1918. ICI
Grâce à la stérilisation inventée par Nicolas Appert au XVIIIe siècle on peut enfermer dans des boîtes en fer-blanc à ouverture facile des sardines, des viandes, des pâtés, des légumes et des fruits.
Le poilu y prend goût, même s'il les dénigre : du « singe », dit-il des boîtes de boeuf !
Les plus grandes entreprises comme Cassegrain (1856) ou Saupiquet (1891) sont les principaux fournisseurs et connaissent un bel essor, qui se poursuit après-guerre : tout le secteur profite alors à plein des nouvelles habitudes alimentaires nées de la guerre qui se propagent surtout dans la population urbaine, devenue aussi nombreuse que la population rurale à la fin des années 1920.
«Un poilu de mes amis m'a affirmé que jadis les boîtes de boeuf assaisonné portaient un nom de fabricant : Singer, d'où était venu le mot de singe» (Dech1918)
«Je me souviens particulièrement du « singe aux oignons », une salade de boeuf de conserve accompagnée de pommes de terre, légumes divers et relevée d'oignons crus.» Jean Renoir 1966. Les cahiers du capitaine Georges - Souvenirs d'amour et de guerre (1894-1945)
« On profite de la halte, qui se prolonge, pour manger. Le menu est simple : boules de pain et boîtes de singe. Mais l'appétit est bon et l'on aurait tort de médire de ce boeuf à la gelée que les soldats dénomment singe par dérision » Jean Petithuguenin 1918. La barrière des Vosges
« Je tends mon dos à la chaleur qui grandit, en mâchant du singe filandreux et du pain élastique. » 1914-1919
« Le singe est la viande en conserve de l'armée, du boeuf bouilli tout préparé, dont la qualité est remarquable. On arrivait toujours à trouver des boîtes, et elles étaient toujours bonnes. » Maufrais Louis J'étais médecin dans les tranchées (2 août 1914-14 juillet 1919)
« Et pendant cette soirée du 19 [mai 1916] (soirée d’angoisse et de tristesse), l’on nous a distribué à chacun 4 boîtes de singe, 48 biscuits et 300 cartouches, tout un fourbi qui nous donnait le cafard ; ça commençait à sentir mauvais car les munitions que l’on donnait, ainsi que les vivres, n’étaient sans doute pas pour aller au grand repos ». François Barge, Avoir vingt ans dans les tranchées, Saint-Pourçain-sur-Sioule, C.R.D.P., 1984, p. 17.
Nicolas Appert (1749-1841), le « père de la conserve », était convaincu que seuls des légumes, des fruits et de la viande de bonne qualité méritaient d’être mise en boîte. Il était cuisinier, et son atelier, qui au début du XIXe siècle comptait plusieurs dizaines de collaborateurs, était attenant à un potager et à un verger qui lui fournissaient fruits et légumes de saison. Il s’approvisionnait en viande et en produits laitiers dans des exploitations situées à proximité. Comme certains chefs d’aujourd’hui, adeptes des circuits courts [du producteur à l’assiette], Appert estimait que les parcelles cultivées devaient jouxter l’atelier où des bocaux de nourriture sous vide, bouchés avec du liège et enveloppés de toile, étaient mis à chauffer dans des cuves d’eau bouillante.
En 1803, la marine française, après avoir testé des échantillons fournis par Appert – bouillon clair et bouillon de bœuf, de haricots et de petits pois –, affirmait dans un rapport qu’ « avec ou sans viande, les haricots et les petits pois [dégageaient] la fraîcheur et le parfum de légumes tout juste récoltés ». Grimod de La Reynière, premier critique gastronomique de l’histoire, devient le protecteur d’Appert. Il écrit :
« Le résultat est d’avoir dans chaque bouteille et à peu de frais un très-fort plat d’entremets, qui nous rappelle le mois de mai au cœur de l’hiver […]. »
En 1810, après la publication d’un livre où Appert révèle sa technique au monde entier, le journal Le Courrier de l’Europe le couvre de louanges pour avoir « trouvé l’art de fixer les saisons. Chez lui, le printemps, l’été, l’automne vivent en bouteilles, semblables à des plantes délicates que le jardinier protège sous un dôme de verre contre l’intempérie des saisons. »
Septembre 1934 : des femmes travaillent à la chaîne dans une usine de haricots en boite, à Wisbech en Angleterre.
Une curiosité insatiable
Appert est né en 1749 dans une famille d’aubergistes et de brasseurs de Champagne. De son propre aveu, il passe son enfance dans des resserres à provisions et des caves à vins. Devenu chef cuisinier à l’âge de 22 ans, il sera employé [comme officier de bouche] par des familles aristocratiques jusqu’à ce qu’il se mette à son compte, à 33 ans, s’installant comme confiseur. Outre la vente des bonbons, les confiseurs français proposaient des sirops, des confitures, des fruits conservés [dans l’alcool]. Peu instruit, mais doté d’une curiosité à toute épreuve, Appert n’a bientôt plus qu’une idée en tête : trouver d’autres procédés de conservation des aliments.
Comme tous les cuisiniers de son époque, le jeune chef était versé dans les techniques traditionnelles de préservation de la nourriture, comme le séchage, le salage et le fumage. Mais ces méthodes altéraient le goût et la texture des aliments. Appert cherchait un moyen d’obtenir un produit fini aussi proche que possible de son état naturel.
Dans un premier temps, il utilise des bouteilles de champagne, puis des bocaux spécialement conçus, à col épais, fermés avec du liège et du fil de fer, hermétiquement scellés à l’aide de goudron et d’autres mixtures. Il chauffait ces pots au bain-marie, à la température et pour la durée qu’il avait jugées nécessaires à la préparation des conserves de différents produits frais. Même si Appert ne connaît pas les ressorts de l’ « appertisation », il réalise empiriquement la préservation des aliments cinquante ans avant que Louis Pasteur ne découvre les principes du traitement par la chaleur connu aujourd’hui sous le nom de « pasteurisation », dont il publiera les résultats dans les années 1860.
Une invention disputée (et brevetée) par les Anglais
On ne saurait attribuer à une seule personne l’invention de la technique de préservation des aliments dans des boîtes de conserve en fer-blanc, sous vide. Toutefois, aujourd’hui, les spécialistes s’accordent à dire qu’Appert, dont le nom avait été oublié, est le premier en Occident à avoir publié une description détaillée de la manière de préserver la nourriture par la mise en conserve. La publication de son ouvrage a été le fruit d’un accord avec la marine française, qui avait accepté de financer ses recherches pourvu qu’il en divulgue les résultats. Appert ne fait pas breveter sa méthode ; trois mois après la parution de son livre, un négociant anglais, Peter Durand, dépose un brevet sur le procédé que le Français avait décrit en détail.
La question de savoir si Durand avait eu vent de la méthode d’Appert allait devenir un énième grief dans la perpétuelle rivalité entre la France et l’Angleterre. Quoi qu’il en soit, Durand et ses associés seront les premiers à pratiquer la mise sous vide dans des boîtes en fer. En Angleterre, la métallurgie était plus développée, elle s’était adaptée plus rapidement à la révolution industrielle que la France, cette dernière étant aux prises avec les conséquences de bouleversements politiques sanglants. À partir de l’Angleterre, le savoir-faire se répandra dans le reste du monde. En très peu de temps, la conservation des aliments par le vide deviendrait l’une des techniques les plus répandues et les moins coûteuses du genre dans le monde.
Reconnaissance tardive
Il faudra attendre 1830 et la Restauration pour que les autorités françaises reconnaissent l’apport scientifique et militaire d’Appert et l’aident à poursuivre ses recherches, alors qu’il a déjà plus de 80 ans. Assisté de son neveu, il parvient à mettre sur pied une petite conserverie qui lui survivra. Il meurt en 1841, seul et indigent. Les historiens ne savent pas pourquoi sa femme l’a quitté, ni pourquoi il a été enterré dans une fosse commune. C’est seulement à partir de la fin du XXe siècle que son nom sera cité parmi ceux d’autres pionniers de la cuisine.
Ronit Vered
« En 1904, le journaliste Upton Sinclair enquête pendant sept semaines, en vivant parmi les ouvriers, sur les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago. La Jungle, le livre qu'il en tire, sort le 28 février 1906 et fait l'effet d'une bombe : il y dénonce non seulement des conditions de vie et de travail atroces, les magouilles électorales, la corruption, le pouvoir des trusts mais y expose aussi, en long en large et en détail, les procédés de fabrication du corned-beef, des saucisses, du saindoux, etc. Les Américains et le monde découvrent l'horreur. Les produits manufacturés contiennent de tout jusqu'aux déchets de fabrication, aux rats, jusqu'à de la viande de bœufs tuberculeux et à celle des ouvriers tombés dans les cuves géantes de préparation des produits ! Le scandale est tel que l'écrivain est reçu par le président Théodore Roosevelt et que le Pure Food and Drug Act, constituant un premier pas pour la protection des consommateurs, est voté le 30 juin de l'année même de la publication de l'œuvre. »