En politique il ne faut jamais enterrer quiconque avant sa mise en bière, François Mitterrand de Jarnac en est la démonstration la plus éclatante : pur produit des curés, flirtant avec le régime de Pétain, la francisque, mais résistant, garde des Sceaux sous la IVe a beaucoup laissé guillotiner, tout le monde le croyait disqualifié suite à l’affaire de l’Observatoire il met en 1965, candidat unique de la gauche, de Gaulle en ballotage, puis prends le contrôle du PS à Epinay en s’alliant avec Deferre et Chevènement, au nez et à la barbe d’un Savary pourtant porteur de la tradition socialiste. Il tient alors un discours pur et dur, maniant avec délice une rhétorique néo-marxiste de rupture avec le capitalisme, enterrant ce pauvre Rocard au Congrès de Metz en 1979, les amis de François Mitterrand se déchainent, Gaston Defferre allant même jusqu’à comparer les choix économiques de Michel Rocard à ceux de Pierre Laval, et Laurent Fabius y lance sa célèbre phrase « Entre le marché et le rationnement, il y a le socialisme ». En 1981, « la France passe de l’ombre à la lumière » proclame Jack Lang, pour vite déchanter avec le tournant de la rigueur en 83, les affaires se succèdent dont le sabotage du Rainbow Warrior de Greenpeace qui permettra au petit moustachu Plenel de se faire un nom, Patrice Pelat, Bousquet, les écoutes téléphoniques, les Irlandais de Vincennes… j’en oublie sans doute. 1986, il évite la déculottée grâce à la proportionnelle, inaugure la cohabitation avec Chirac, tout le monde pense qu’il est cuit, à nouveau il renvoie Rocard à ses illusions, nous sert la France-Unie, devient le bon Tonton, le père de Mazarine l’enfant cachée, son cancer caché lui aussi, il finit comme un quasi-saint invoquant « les forces de l’esprit » en convoquant Thérèse de Lisieux.
En voilà une vie bien remplie, 14 ans au pouvoir suprême, record de la Ve !
Et alors pourquoi notre Mélenchon qui vénérait tant Tonton, son deuxième maître en politique après Pierre Lambert, l’étrange gourou trotskyste de l’OCI, se la joue solo en se prenant pour un leader Minimo ?
Revenons à sa rencontre qui fut, pour lui, une révélation :
« C’était à Besançon en 1972. J’étais un syndicaliste étudiant très audacieux et je n’avais peur de personne. On m’avait envoyé parasiter le discours de Mitterrand en meeting dans notre université. Quand il prend la parole, « le Vieux » se met à parler... du bonheur. Je vous garantis que je n’étais pas un type fragile. Mais là, mon blindage doctrinaire a été percé. J’ai été marqué à vie. »
Converti au PS par un Tonton christique, Mélenchon est devenu un apôtre zélé du mitterrandisme. Après la mort du sphinx, tandis que ces anciens camarades socialistes se sont perdus en inventaire, Mélenchon est resté fidèle. Et s'est échiné à lui trouver des circonstances atténuantes. Le virage de la rigueur en 1983 ? « Nous pensions tous que c’était une pause. La logique de François Mitterrand était de stabiliser nos conquêtes sociale », a justifié Mélenchon. L’auteur du Hareng de Bismark ne fait même pas grief à son mentor du pari maastrichtien : « Personne n’imagine en ce temps ce grand machin ultralibéral à 29 que vous connaissez aujourd’hui. »
En 1997, le socialiste Mélenchon, qui arbore alors volontiers le feutre noir et l’écharpe rouge de son modèle, lance à la tribune du congrès de Brest :
« Il était un maître à penser pour moi. Il m’a dit « ne cédez jamais ». Marchez votre chemin. Je marche, Monsieur ! »
Ego en béton armé le Jean-Luc, exit le PS des synthèses de Tonton, gros flirt avec les derniers débris du PCF, puis le voilà à la tête des Insoumis, lui qui en pince « pour un ancien ministre indéboulonnable de la IVème République, un ambitieux qui a marabouté la vieille SFIO, un aventurier de la politique qui a régné sur la France pendant 14 ans au prix de deux cohabitations, d’un cancer secret et d’une litanie de scandales... Un Machiavel énigmatique, venu de la droite catholique qui tendait la main aux communistes, aux boursicoteurs, à la génération des potes de SOS Racisme et au chancelier allemand Helmut Kohl. »
Le 21 octobre 2018
Je pourrais chroniquer sur Mélenchon « l’idiot utile » de Mitterrand
Il est de bon ton dans les cercles de ses affidés de souligner que François Mitterrand, qui s'intéressait à lui, confiait volontiers : «Jean-Luc Mélenchon est l'un des plus doué. Il ira loin à condition que sa propre éloquence ne l’enivre pas.»
Permettez-moi de sourire, ayant fréquenté chaque jour pendant deux ans un mitterrandiste de la première heure et du premier cercle, Louis Mermaz, je sais que le Mélenchon et son alter-ego de l’époque Julien Dray de la Gauche Socialiste étaient considérés par Tonton comme les idiots utiles qu’ils pouvaient jeter dans les roues des réformistes, Rocard en tête, pour se refaire la cerise de la vraie gauche. Mais, et ce mais est de poids, il n’a jamais au grand jamais proposé à Mélenchon d’être Ministre alors que celui-ci en rêvait le jour et la nuit. Il lui faudra attendre l’arrivée de Jospin, ancien trotskyste comme lui pour accéder au maroquin de Ministre et de le soutenir à la Présidentielle où il s’est vautré… Tout le Jean-Luc est là.
Et même si ça déplaît à ceux qui croient benoîtement qu’il incarne une «opposition humaniste, écologiste et sociale», Jean-Luc Mélenchon est « l’homme de toutes les ruptures : rupture avec la Ve République, qu’il veut remplacer par une VIe République, régime d’assemblée piqueté de démocratie directe, rupture avec l’Union européenne, rupture avec le FMI, rupture avec l’OMC, rupture avec l’économie de marché, rupture avec le monde réel.
Jean-Luc Mélenchon reprend la place qu’occupait Georges Marchais au début des années 70, une place dont François Mitterrand a délogé le PCF. C’est l’inverse même de la démarche de l’homme de Latché, et c’est la voie qui se dessine. Le Parti socialiste n’est pas mort mais il est très gravement atteint et il lui faudra des années pour se reconstituer, se réunifier, se relever. En somme, le PS se retrouve dans la position qu’il occupait durant les années 60, avant que François Mitterrand le ressuscite. Et Jean-Luc Mélenchon a repris le rôle de Georges Marchais à l’orée des années 70 : la longue impasse de la gauche de rupture. »
Et puis, virage à 180° Dans un entretien donné à Leading European Newspaper Alliance (Lena), une alliance de journalistes européens, et relayé par le journal espagnol El Pais, Jean-Luc Mélenchon annonce un changement drastique de direction.
Il assume : qu'il a usé « jusqu'à maintenant » de « la stratégie du choc frontal » sur tous les sujets, comme « générateur de conscience politique », il la considère comme désuète en période de crise sanitaire et trompette une approche toute nouvelle
« Il n'est pas question d'agresser ceux qui nous gouvernent », prévient-il. Mélenchon s'érige même en exemple de non-violence, montrant la voie d'une opposition constructive et responsable : « Je crois que mon comportement a obligé les autres à changer de ton. Madame Le Pen a commencé de manière agressive et, maintenant, elle aussi demande que les consignes sanitaires soient respectées. Ce n'est pas ce qu'elle disait au début. Donc, c'est beaucoup mieux. Le plus important, c'est la santé publique. »
Comme Tonton, le leader de La France insoumise part à la pêche des électeurs modérés.
Lors de la dernière campagne présidentielle « en se muant brièvement en pédagogue du peuple, et en multipliant les clins d'œil à la « force tranquille » mitterrandienne. Une stratégie payante, favorisée par le délitement du Parti socialiste, dont l'aile droite avait opté pour Emmanuel Macron, convaincue par sa promesse sociale-démocrate ou par le vote utile face à Marine Le Pen. Au coude à coude avec Benoît Hamon, le candidat du PS, il avait fini par le dépasser, puis par le distancer nettement grâce à une brillante campagne, apparaissant comme l'unique recours à gauche et obtenant finalement un score important : 19,58 % des voix. La stratégie de « l'adoucisseur » avait donc été particulièrement efficace. »
« Sauf que, au lendemain de l'élection, Mélenchon croit devoir imputer son succès relatif à la radicalisation de l'électorat de gauche, que son amertume d'être passé si près du but le pousse à soutenir. »
« Depuis le début du quinquennat, Mélenchon et les Insoumis se sont donc systématiquement et violemment opposés aux réformes proposées par le gouvernement. Une stratégie assumée encore aujourd'hui : « Il y avait une manière de parler qui devait correspondre au moment. Je crois que nous l'avons bien fait. Nous avons été utiles au pays »
« Sauf que les électeurs de gauche modérés se sont détournés de LFI et le socle du mouvement s'est rabougri. Il est progressivement revenu au niveau de la présidentielle de 2012, c'est-à-dire environ 11 % avant les européennes. Puis Jean-Luc Mélenchon s'est disqualifié personnellement en perdant ses nerfs devant la police lors des perquisitions des locaux de La France insoumise. La liste LFI avait, par la suite, enregistré un résultat désastreux d'environ 6 % des voix lors des européennes. »
Le Mélenchon nouveau est-il arrivé ?
Je ne sais, mais son éloge d’Édouard Philippe, sonne comme un mea-culpa :
« Édouard Philippe est un homme élégant, d’un côtoiement agréable, un libéral assumé et qui le dit clairement. Il est de droite et n’a jamais prétendu autre chose »
« Savoir le sport qu’il pratique aide à comprendre un homme politique. Lui, c’est la boxe. Regardez-le faire! Quand il répond, il tourne et danse sur le ring le temps qu’il faut pour que vous baissiez la garde. À ce moment-là, il choisit le point où frapper : c’est un mot qu’il a pris dans votre discours, et il en fait ce qu’il veut, pan ! »
Certes c’est aussi pour mieux dézinguer « Monsieur Macron, en revanche est un bandit de grand chemin”, lance-t-il. “Lui-même dit qu’il a fait un hold-up sur le pouvoir! Il a trompé tout le monde. Il est sans foi ni loi, capable d’entrer, grâce à nous, les gens de gauche, dans la présidence de Monsieur Hollande. Puis d’en sortir en disant qu’il n’est ni de droite ni de gauche, puis de devenir chef de la droite ».
Dans son livre le journaliste britannique Philip Short, François Mitterrand, portrait d'un ambigu (2015), celui-ci raconte
«Un chirurgien-dentiste s’occupa de ses canines, qui lui donnaient un petit air de vampire. Mitterrand commença par refuser, mais Séguéla lui dit : « Si vous ne vous faites pas limer les canines […] vous susciterez toujours la méfiance. […] Vous ne serez jamais élu à la présidence de la République avec une denture pareille.»