C’est la quintessence du petit livre, 104 « tout petits chapitres », n’excédant jamais plus d’une page et demie, belle écriture simple et limpide, sans pathos, lu d’une traite sur ma terrasse ensoleillée en moins d’une heure.
« Dans une langue magnifique, l’Algérie et la traversée d’une guerre encore inavouée. »
Benjamin Stora
L’Algérie, Guelma, Guelaat Bou Sbaa, mon frère aîné, appelé, cantonné sur la ligne électrifiée dite Morice à la frontière tunisienne, à son retour des silences et des photos cachées.
Moi-même, 10 ans après l’indépendance, à Constantine, service national comme coopérant à la Faculté de Droit d’Aïn-El-Bey, mes étudiants anciens du FLN, l’Algérie sous la férule de Boumediene.
Avant de partir j’avais lu les 5 tomes de la Guerre d’Algérie d’Yves Courrière.
Les Fils de la Toussaint, 1968
Le Temps des léopards, 1969
L'Heure des colonels, 1970
Les Feux du désespoir, 1971
J’ai beaucoup lu sur cette guerre inavouée mais Jacques et la corvée de bois de Marie-Aimée Lebreton chez Buchet-Chastel 13 euros ICI m’a fait pénétrer dans les blessures intimes d’un jeune homme ordinaire, d’un milieu simple, à Nîmes, qui fumait des Balto.
Sa mère Noémie, et Jeanne chap.5
… Qui sait ce qu’elle aurait pensé ? Sans doute lui aurait-elle caressé les cheveux comme quand il était enfant. Est-ce parce qu’elle avait des projets pour lui et des désirs énormes que Jacques traversait la vie en confiance ? Jusqu’ici, il n’avait opté ni pour le ressentiment ni pour la grandeur d’âme. Il avait le goût des autres, s’inquiétait pour ceux qu’il aimait et les choses s’arrêtaient là. Il était convaincu qu’il est inutile de vouloir changer le monde. En dehors de la vulgarité qu’il détestait, le reste était sans importance. Il n’avait pas d’idée préconçue sur la réussite ou sur le bonheur et ne défendais aucune cause. Même avec les filles. Il les aimait. Puis il ne les aimait plus. Sauf Jeanne. Il aimait Jeanne.
Jacques avait peu d’amis en dehors de François … issu d’un milieu aisé, futur Polytechnicien, Officier en Algérie… Il connaissait bien cette solitude qui finit par devenir une compagne.
Choisir ses amis, c’était choisir son avenir.
Jacques ne pensait pas à l’avenir.
Dédé son père… à la mort de Noémie… le Dédé avait pris de la dépression, comme il disait. S’était renfermé, n’était plus rattaché au monde que par des gestes quotidiens. Puis les choses avaient changé quand Jacques avait reçu les papiers pour le service militaire. Ensuite, il avait pensé que Jacques pourrait avoir besoin de lui.
La corvée de bois, vous savez tous ce que c’était.
Faire la chasse aux merles. C’est comme ça qu’on appelait les rebelles algériens.
Il existait bien un marché de la torture avec ses cotes selon la gravité des faits, selon l’âge aussi, une sorte de barème comme pour les voitures.
« Les nettoyeurs de guerre »
Deux adjudants et un prisonnier, on aurait pu croire qu’ils étaient en balade… l’arabe était un peu à l’écart. Il n’était pas menotté… le groupe s’est dispersé et il s’est mis à courir comme un dératé… Il y eut d’abord un coup de feu… Puis un deuxième coup… On n’avait pas besoin de le retourner pour voir son ventre fondu sous la mitraille.
- C’est bon on l’a eu. C’est qu’il courait comme un lapin, le bicot !
Ils disaient qu’ils ne seraient jamais ces héros qu’ils avaient rencontrés dans leurs lectures d’enfants, ces hauts dignitaires tels de grands fauves qui hissaient leur art au rang de la grandeur historique. Qu’à choisir, il ne serait jamais venu dans ce merdier. Que la guerre abîmait les corps et les âmes aussi. Puis il avait ajouté que les beaux jours reviendraient.