Sans doute que non.
Raymond Aron est très tendance sur les réseaux sociaux, même si je doute fort que ses nouveaux adeptes l’aient lu, mais je suis sans doute mauvaise langue.
Thorstein Veblen (1857-1923) était un brillant économiste et sociologue américain. Cela a été un des maîtres à penser de F.D. Roosevelt, qui s’est inspiré de ses idées pour le New Deal. Raymond Aron comparait son œuvre à celles de Tocqueville et de Clausewitz.
La première édition La Théorie de la classe de loisir, de Thorstein Veblen, date de 1899.
Une vieillerie donc pour les Millennials… pas si sûr ?
« Pour l’essentiel, détaille Veblen, le charme des souliers vernis, du linge immaculé, du chapeau cylindrique et luisant, de la canne, de tout ce qui relève la distinction native de l’homme du monde, provient de la pensée qu’ils font naître : il est impossible que ce monsieur ne mette les mains à aucune pâte et se rende, directement ou indirectement, utile aux autres hommes »
Tient, tient, être utile aux autres hommes, en voilà un beau sujet battu et rebattu pendant le confinement…
Attention au penchant de s’en tenir à une vision purement binaire simpliste : utiles/inutiles, ce qui est en jeu c’est à la fois le niveau de la contrepartie monétaire d’un travail : le salaire, le traitement et la reconnaissance sociale des invisibles si utiles.
Deux exemples, le premier, le monde du vin, où tout un petit monde de communicants, de vendeurs&vendeuses de soi-disant services, sont surpayés, souvent par les fameuses CVO des interprofessions, principales sources de financement de la communication, alors que les vigneron(e)s tirent le diable par la queue. Je n’écris pas qu’ils sont inutiles mais simplement que l’argent qu’ils drainent est mal placé, qu’il serait plus utile ailleurs.
Le second, c'est l’hôpital public, en première ligne, où soudain, certains mandarins, tel le Pr Juvin, passent en boucle sur les plateaux de télévision, main sur le cœur ils rendent hommage aux soignants, ceux qu’au quotidien ordinaire ils traitaient souvent comme la dernière roue du carrosse, ils me font penser aux maîtres de ma Vendée crottée qui, pour défendre le statut du métayage, mettaient en avant le service qu’ils rendaient à leurs métayers à qui ils mettaient à disposition leurs terres et les moyens de production. Il y avait une part de vérité mais que c’était humiliant de se voir priver de la reconnaissance dont bénéficiait leurs collègues bordiers.
La hiérarchie des salaires, tout comme la reconnaissance sociale de certains métiers : « tu seras éboueur mon fils ! » ou « tu seras femme de ménage ma fille ! » ne vont pas, au sortir de cette crise sanitaire être profondément bouleversés. En effet, tous les pétitionnaires de la France râleuse ou de bonne conscience, tous les « à statuts », tous ceux qui occupent des jobs tertiaires, souvent chiants, peu intéressants, défendront bec et ongles leurs acquis. C’est humain, le monde est pavé de bonnes intentions mais celles-ci sont vite remisées lorsqu’il s’agit de passer à l’acte.
On va me rétorquer que j’en parle à mon aise moi, le retraité, l’inutile, peut-être même une charge à terme. J’en conviens, mon seul rôle au sortir de la crise sanitaire sera de réinjecter ma retraite, assez confortable, dans l’économie, et de le faire en effectuant des choix en accord avec ce je souhaiterais que soit le monde d’après.
C’est sans doute rien, ou presque, à l’échelle des enjeux économiques, sociaux, sociétaux, que notre pays va devoir relever.
Mais, je dois vous avouer que, les c’est la faute au système, ceux qui vomissent notre soi-disant libéralisme débridé, me saoulent, je ne crois pas aux lendemains qui chantent après avoir fait table rase du passé, l’Histoire nous a démontré que la bureaucratie soviétique et de ses satellites avait échouée, que la Chine communiste est ultra-libérale, nous sommes le système et tout attendre de l’Etat, demander perpétuellement des béquilles, exiger des autres les efforts et les choix difficiles, est le meilleur gage de l’immobilisme. Le Guépard, Jean-Yves !
Nous n’allons pas déconstruire radicalement notre système économique et social au sortir de cette crise sans précédent, la fameuse démondialisation est un concept creux, relocaliser nos industries, de nouveaux jugées essentielles, ne va pas se faire sans que les citoyens-consommateurs du baby-boom, pousseurs de caddies, perfusés du « moins cher du moins cher » cher à Michel-Edouard Leclerc, qui soit dit en passant ne possède aucun magasin mais se contente d’empocher des royalties sur le nom de l’enseigne (vous avez dit utile !) modifient leur comportement.
Qui va leur expliquer ?
Qui va avoir le courage de proposer les inflexions nécessaires, d'en débattre avec eux ?
Les politiques, les intellectuels, les autorités morales, religieuses, scientifiques... ?
Tous, ou presque, sont, discrédités pour les politiques, inaudibles pour les intellectuels, inaccessibles pour les détenteurs du savoir, et surtout le flux des informations noie toute forme de réflexion personnelle et collective, chaque individu ou groupe d’individus (sur les réseaux sociaux ils chassent en meute) enfourche les idées du premier gourou venu pour les jeter aux orties, ou bêtement les oublier, lorsqu’un nouveau monte au firmament médiatique.
Alors, baisser les bras, subir, attendre, attendre tout, des autres, de l’Etat, des élus, des corps intermédiaires, pour ma part j’ai choisi de faire ce qui est en ma capacité de faire…
Le confinement m’a renforcé dans l’idée que je peux vivre de peu, ce qui ne veut pas dire que je vais, au retour de la liberté surveillée d’aller et venir, verser dans l’ascétisme, le retrait, ou une forme de misanthropie.
Absolument pas, je vais me contenter d’amplifier mon retrait face à ma consommation ostentatoire.
« Pour s'attirer et conserver l’estime des Hommes, il ne suffit pas de posséder simplement richesse ou pouvoir : il faut encore les mettre en évidence, car c’est à l’évidence seule que va l’estime. En mettant sa richesse bien en vue, non seulement on fait sentir son importance aux autres, non seulement on aiguise et tient en éveil le sentiment qu’ils ont de cette importance, mais encore, chose à peine moins utile, on affermit et préserve toutes raisons d’être satisfait de soi. » Thorstein Bunde Veblen
La consommation ostentatoire est « une forme de consommation destinée à montrer son appartenance à une classe sociale ou à faire croire que l’on appartient à celle-ci. Elle permet au consommateur de montrer son statut social, son mode de vie, sa personnalité à son entourage et environnement social. »
Le terme ostentatoire signifie « qui est fait avec ostentation ». Ostentation vient du latin « ostentio ». C’est « l’action de montrer avec insistance, avec excès ». Le dictionnaire Larousse définit l’ostentation comme « l'étalage indiscret d'un avantage ou d'une qualité, l’attitude de quelqu'un qui cherche à se faire remarquer ». Ainsi, la consommation ostentatoire a comme utilité la valorisation sociale, sans qu’il y ait nécessairement un intérêt fonctionnel à la chose : instaurer une bonne image de lui-même à son entourage.
Francis Scott Key Fitzgerald (1896-1940), avec Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby) publié en 1925, décrit avec talent le mode de vie des nouveaux riches de l’Amérique des années 1920. Le narrateur Nick, habite une petite maison en face de celle de Gatsby, et celle de Daisy et de son mari. Gatsby est un jeune millionnaire issu d’un milieu modeste qui ne cesse de mettre en évidence sa richesse. Il organise de somptueuses réceptions dans sa maison située à East Egg, un quartier très huppé et sélect de Long Island à New York. Par sa consommation démesurée, Gatsby cherche à impressionner Daisy, sa voisine, qui appartient à « la bonne société », dont il est amoureux. Il souhaite ainsi gagner son intérêt et prouver son appartenance à la même classe sociale que Daisy.
Plus contemporain, la saillie devenue culte, à la gloire de sa nouvelle idole, le petit Nicolas, de l’éternel bronzé, Jacques Séguéla, a bien illustré la fonction de ce mode de consommation : « Si à 50 ans on n'a pas une Rolex, c'est qu'on a raté sa vie » ?
On peut tout à loisir remplacer Rolex par Porsche Cayenne ou château Angelus ou Gucci ou Koons… ou toutes les marques, dites iconiques, mais attention à ne prendre dans le viseur de la consommation ostentatoire que les peoples, les nouveaux riches, la cotriade des milliardaires, ce serait se faire plaisir à bon compte compte car le monde du paraître, dans nos sociétés hyper-consuméristes, règne à tous les étages, à l’exception bien sûr des exclus, des invisibles devenus temporairement visibles avant de retomber dans l’oubli.
Nike, Reebok, Adidas la multitude des marques de fringues, de grolles, pour filles et garçons, dans le fameux Neuf3, tout à la fois stigmatisé et manipulé, il fut un temps, où la vieille marque anglaise Burberry faisait un tabac, tout comme les sacs Vuitton, les IPhone, signes d’appartenance à une tribu, nouvelle forme d’affirmation d’un statut social « rebelle », tout ça fabriqué en Chine, sponsorisé par des stars du sport ou du cinéma, vendue avec des marges très grasses. Combien de fortunes amassées à la hâte par les propriétaires de vieilles marques ? La délocalisation, dont tout le monde se plaint aujourd’hui, a commencé par là avant de s’étendre à des produits plus essentiels, mais non ostentatoires, tels par exemple les substances actives des médicaments…
Lisez ou relisez Gomorra: Dans l'empire de la camorra de Roberto Saviano (2007)
La Camorra est profondément enracinée et bénéficie de la complicité de certains politiciens et de certaines industries, notamment pour le traitement illégal des déchets toxiques. Elle offre des prestations à très bas coût et enfouit les déchets toxiques du Nord dans la campagne du sud de l'Italie. Elle se positionne aussi, avec les Chinois, sur le marché du textile et de la contrefaçon des grandes marques. Elle a des ateliers clandestins où les Italiens du Sud travaillent au noir, ce qui permet de fabriquer des vêtements de luxe discount, de les revendre dans le monde et de faire ainsi de la publicité pour les grandes marques.
Le premier jour du déconfinement des files d’attente se sont formées devant les magasins Zarra, et lorsque les soldes reviendront les queues se formeront aussi bien au cul de H&M que des magasins de luxe du Faubourg Saint-Honoré ou de l’avenue Montaigne. Rappelez-vous les quasi-émeutes dans les Apple-Store pour la sortie du dernier modèle…
Aucune couche sociale n’est épargnée par ce besoin de s’afficher avec les marqueurs de sa classe social,, de s’identifier, d’être reconnu comme quelqu’un en affichant des signes d’appartenance à un groupe, une tribu, celle des rappeurs bardés de dorures en sont un exemple.
Les néo-bourgeois, ceux que je croise parfois, rebelles à compte d’auteur, buveurs de vin nature, je ne vais pas énumérer leurs professions ce serait les montrer du doigt, ça ne se fait pas, pour eux pas de problèmes de fin de mois, pendant le temps de confinement, plus encore que d’ordinaire, j’ai pu à loisir, sur les réseaux sociaux, les voir étaler sans retenue leur haut statut social alimentaire : plateau repas de chez Septime…
Leur image de marque, ils sont une marque monnayable sur le vaste marché de l’inutilité…
« Les objets, comme l’argent, ont une fonction première de signification du statut de leur possesseur, avant même leur fonction de satisfaction des besoins »
La consommation des signes Jean Baudrillard, 1976.
Assez de prêchi-prêcha, je ne suis pas indemne, j’ai cédé, au temps où l’on me laissait accroire que j’étais important, pensez-donc le Who’s Who, à me la jouer, à peaufiner mon image de marque. Et puis, doucement j’ai tourné la page, jeté mes oripeaux de « pseudo-haut-fonctionnaire », emprunté de nouveaux chemins juché sur mon vélo, découvert un autre monde. Au-delà c’est mon petit jardin d’intérieur mais, ce dont je suis certain, c’est que je ne ferai pas machine arrière bien au contraire je pousserai mon petit bouchon plus loin.
Ceci écrit, sans me donner en exemple, ce que je ne suis pas, je m’adresse à ma catégorie sociale, fort nombreuse, celle des baby-boomers aisés sur le chemin de la vieillesse, pour leur dire, prenez le temps de lister vos besoins essentiels puis en face indiquez comment jusqu’ici vous les satisfaisiez, ensuite faites ce que bon vous semble mais si vous souhaitez que ce monde change, ce monde que vous allez laisser, tout comme moi, à vos enfants et petits-enfants, faites des choix qui vont dans le sens d’une consommation tournée vers l’essentiel, et avec cette nouvelle marge de manœuvre investissez dans l’avenir…
Et comme je ne suis pas très sérieux, le vieux cycliste que je suis, qui croise dans les rues de Paris, de gros SUV très souvent occupés par des collègues retraités, monsieur au volant, et madame à la place du mort, leur dit ces gros bouzins sont-ils vraiment nécessaires à vos déplacements urbains, et même suburbains, chers collègues retraités ?
La réponse est non.
Alors que faire ?
Du vélo, à assistance électrique, c’est excellent pour le cœur, et sur un vélo on chope moins de pollution que dans votre grosse auto. Vous vous garerez facilement, gratuitement, ça vous évitera de râler contre les brigades rançonneuses de madame Hidalgo. Plus besoin de parking onéreux, le garage à vélo ou la cour de votre immeuble suffit avec un bon antivols en U, pour l’assurance vous grefferai votre vélo sur l’assurance-habitation. Vous pouvez, si vous êtes du genre inquiet, le faire marquer, même pucer. En mot comme en 100, croyez-moi, à 72 ans, une hanche en céramique, une grosse gamelle, je file dans la ville, masqué, casqué, mais ivre de liberté après ces longs jours de confinement.
Sans nul doute je ne vous ai pas convaincu, vous êtes banlieusards, plutôt à l’Ouest, vous n’allez tout de même pas prendre le RER pour faire vos emplettes à Paris. J’en conviens, je ne suis pas un adversaire de l’auto, j’en ai une, une Twingo qui s’ennuie sur mon parking, alors achetez une Zoé, ou abonnez-vous à un auto-partage. Là, à nouveau je dérape : « vous n’y pensez pas ! » me rétorquera madame, j’acquiesce mais je supplie monsieur de cesser d’écraser son klaxon dès que la bagnole qui le précède aux feux tricolores ne démarre pas assez vite au vert. Vous êtes retraité, vous n’avez rien d’urgent à faire, de grâce la pollution sonore est une agression évitable.
Même si je ne suis pas toujours en accord avec la politique de notre maire, je lui sais gré de souhaiter faire baisser la pression automobile dans les rues de Paris. Ce n’est pas simple j’en conviens mais ce n’est pas le lieu aujourd’hui pour développer. Nos voisins du nord ont tout compris.
Enfin, je ne puis clore mon chapitre urticant sans m’élever contre le goût immodéré des retraités aisés pour les croisières sur les monstres des mers, immeubles flottants où vous êtes empilés en fonction de votre statut social, les moins aisés en bas, les plus riches tout en haut. Lorsque je prends paisiblement mon pastis Dami à la terrasse de mon café, à Ajaccio, et que je vous vois défiler, tel un troupeau de moutons, derrière le guide et son petit drapeau, je vous plains. Au coup de corne du monstre marin, machine-arrière toute, c’est l’heure de la bectance, quelques seelfies, une ou deux cartes postales, un buste de Napoléon, vous pourrez dire à vos petits-enfants « nous avons fait Ajaccio », j’ajoute en 1 heure et demie chrono. (Je suis heureux car la lagune de Venise va être interdite aux monstres des mers)
PS : être contre les SUV et les monstres des mers c’est être contre la préservation des emplois dans l’industrie automobile française et européenne (ils sont très profitables les SUV) et la construction navale à Saint-Nazaire. Pas évident le monde d’après , et je ne parle pas d’Airbus et d’Air-France-KLM !
Pour la chute, chers collègues – c’est l’accroche à la tribune de l’Assemblée Nationale – je tape sur mon petit clou en citant Bergson :
« J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver mais ce que nous allons faire. »