Dessin de Chappatte paru dans Le Temps, Lausanne.
Ma lecture du livre de Dov Alfon a éveillé en moi le besoin de me plonger dans le guêpier du conflit israélo-palestinien, le mythe des 2 États mis à mal par Le projet du gouvernement israélien d’annexer une grande partie des territoires palestiniens en Cisjordanie.
Terrain miné, j’ai choisi de publier deux points de vue de l’intérieur :
- Comment le monde vat-il réagir à l’annexion de la Cisjordanie ? THE TIMES OF ISRAEL
- Regardons la vérité en face ! Ha’Aretz TelAviv
Ils n’ont rien de complaisant, ils permettent de mieux comprendre, par-delà les postures officielles et les prises de position partisanes, les enjeux de cette annexion.
Israël. Qui pour s’opposer à l’annexion ?
Le projet du gouvernement israélien d’annexer une grande partie des territoires palestiniens en Cisjordanie soulèvera-t-il plus que de simples protestations de la part de la communauté internationale ?
Ce journaliste israélien en doute
Le 16 novembre 1980, le Premier ministre Menahem Begin était interrogé lors d’une interview à la NBC sur la façon dont il pensait que la communauté internationale réagirait face à une annexion du plateau du Golan par Israël. À l’époque, un projet de loi étendant le droit israélien à la zone contestée avait été présenté à la Knesset, mais le gouvernement de Begin n’avait pas encore annoncé son soutien à cette initiative. « Comme nous n’avons pas encore pris de décision à ce sujet, je pense qu’il est prématuré de parler de réactions », avait-il répondu.
Environ un an plus tard, Begin a fait passer la loi sur le plateau du Golan [territoire syrien occupé en 1967] à la Knesset. La réaction de la communauté internationale n’a pas été surprenante, le Conseil de sécurité des Nations unies condamnant l’annexion de facto d’Israël comme une « menace permanente pour la paix et la sécurité internationales ». Et la résolution 497 de ce même Conseil, qui soutenait que la loi israélienne sur le plateau du Golan était « nulle et non avenue et sans effet », a été adoptée à l’unanimité – même l’administration Reagan a voté en sa faveur.
LePremier ministre Benjamin Netanyahu (G) et l’ambassadeur américain en Israël David Friedman (2e G) dans l’implantation d’Ariel, au nord de la Cisjordanie, le 24 février 2020. (Crédit : David Azagury/Ambassade des États-Unis à Jérusalem)
Avance rapide de quatre décennies : le Premier ministre Benyamin Netanyahou prévoit d’annexer toutes les implantations, la vallée du Jourdain et d’autres parties importantes de la Cisjordanie (voir carte ci-contre). L’accord de coalition entre son parti, le Likoud, et le parti Kakhol lavan [centre droit] de Benny Gantz doit lui permettre de faire avancer la question dans le prochain gouvernement, et ce dès le 1er juillet.
Comment la communauté internationale réagirait-elle à ce type d’annexion ?
Il y aurait certainement beaucoup d’opprobre, des « réunions d’urgence » du Conseil de sécurité et de la Ligue arabe, et peut-être quelques menaces de « conséquences » non précisées. Mais personne ne sait avec certitude si l’annexion – dont les conséquences réelles sur le terrain sont difficiles à prévoir – aurait des répercussions négatives concrètes pour Israël.
L’Union européenne adopterait-elle des sanctions contre Israël, comme elle l’a fait contre la Russie après son annexion de la Crimée en 2014 ?
Bruxelles pourrait, par exemple, geler certains accords bilatéraux, suspendre la coopération scientifique, annuler les tarifs préférentiels qu’elle accorde aux produits israéliens ou interdire totalement les marchandises de Cisjordanie. Certains États membres pourraient rappeler leurs ambassadeurs ou reconnaître un État palestinien.
L’administration américaine mettra son veto à toute tentative de condamnation d’Israël.
« Les réponses varient selon les pays, mais, à ce stade, les conséquences concrètes de l’annexion n’ont pas encore été précisées », a déclaré Nimrod Goren, le chef de Mitvim, l’Institut israélien pour les politiques étrangères régionales. « La réaction des Palestiniens sur le terrain – qu’elle soit violente ou non – sera également un facteur déterminant. »
De nombreux pays ont récemment souligné que les annexions unilatérales représentent une violation du droit international, ce qui, selon M. Goren, montre que les contestations de la décision de Netanyahou se feraient non seulement au niveau bilatéral, mais aussi dans l’arène juridique internationale. Mais l’ONU et l’UE sont « limitées dans leur réponse à l’annexion en raison du veto possible des alliés d’Israël », a-t-il déclaré.
Avertissements. Les États-Unis ont récemment réitéré leur soutien à une annexion israélienne, pour autant que cela se fasse dans le cadre du prétendu « deal du siècle » du président Donald Trump [plan de paix américain pour le Moyen-Orient de janvier 2020]. L’administration est sûre de mettre son veto à toute tentative de condamnation de l’initiative israélienne, mais à l’Assemblée générale des Nations unies, une résolution (non contraignante) serait adoptée à une écrasante majorité. Certains États membres de l’UE ont estimé que dans le contexte de la pandémie de coronavirus, ce n’était “pas le moment des menaces”.
Pourtant, aucun pays hormis les États-Unis n’a apporté son soutien à une annexion israélienne, et même nombre de ses amis proches l’ont clairement déconseillé. L’Allemagne a déclaré que cela aurait « des répercussions négatives graves sur la position d’Israël au sein de la communauté internationale », et la France a averti que cela « ne passerait pas inaperçu et ne serait pas négligé dans nos relations avec Israël ». D’autres pays, dont la Russie, la Chine, la Belgique, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie et la Norvège, ont fait des déclarations similaires.
Les dirigeants palestiniens ont salué « l’engagement de principe en faveur de l’application permanente et universelle du droit international, qui interdit strictement l’annexion » et ont appelé à « des mesures préventives et concrètes » contre Israël.
Bruxelles ne devrait pas prendre de mesures sévères, telles que la suspension de l’accord d’association
Il n’y a aucun moyen de savoir si le monde tiendra compte de l’appel de Ramallah [siège de l’Autorité palestinienne], mais Israël ne devrait pas attendre pour le savoir, a déclaré Yigal Palmor, un ancien porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien. « Ignorer les avertissements et les admonitions n’est pas une bonne politique, aussi imprécises que soient les menaces », a-t-il déclaré.
Les partisans de l’annexion prédisent souvent que le monde exprimera sa désapprobation pendant quelques semaines et adoptera peut-être quelques résolutions édulcorées, mais qu’en fin de compte la caravane avancera, sans davantage qu’une égratignure sur le statut international d’Israël. Si Begin s’était inquiété de la réaction du monde, il n’aurait jamais annexé le Golan ni Jérusalem-Est [en juillet 1980], affirment-ils.
En revanche, le député Yaïr Lapid, nouveau chef de l’opposition israélienne, est convaincu que l’application de la souveraineté sur certaines parties de la Cisjordanie déclencherait des « réactions sévères » de la part des Palestiniens, des Jordaniens, de la prochaine administration américaine (au cas où les démocrates reprendraient la Maison Blanche plus tard dans l’année) et bien sûr des Européens, a-t-il souligné cette semaine.
To u t e f o i s , M a y a S i o n Tzidkiyahu, qui dirige le programme de Mitvim sur les relations entre Israël et l’Europe, a noté qu’il a été pratiquement impossible d’obtenir l’accord des 27 États membres de l’UE sur des déclarations critiques à l’égard d’Israël. Bruxelles ne devrait pas prendre de mesures sévères, telles que la suspension de l’accord d’association, le principal accord entre les deux parties, a-t-elle poursuivi.
Cependant, elle peut encore envisager d’autres mesures, comme l’exclusion d’Israël du programme de recherche et d’innovation de l’Union. Cela serait douloureux pour la nation autoproclamée “start-up”, mais aussi pour l’UE elle-même, selon Sion Tzidkiyahu. « Une certitude est que dans un tel scénario dramatique, Israël pourrait toujours compter sur l’Allemagne pour adoucir le coup de bâton de l’UE », a- t-elle déclaré.
Efraim Halevy, un ancien dirigeant du Mossad qui a également été ambassadeur d’Israël auprès de l’UE, a mis en garde contre toute mesure susceptible de contrarier les Européens.
« La relation d’Israël avec l’UE n’est pas seulement politique, elle est aussi économique, scientifique et technologique. Et alors qu’Israël est confronté à probablement la plus grande crise économique de son existence, pourquoi devrions-nous subir la colère des Européens ? », a-t-il déclaré au Times of Israël lors d’un entretien téléphonique cette semaine.
« Les dommages économiques qu’Israël subira même si les Européens n’annulent pas tous ces accords [bilatéraux] mais les mettent simplement en suspens, dépassent de loin tout ce que l’on peut imaginer aujourd’hui », a-t-il ajouté.
Avec plus d’un million de personnes sans emploi en raison de la pandémie de coronavirus, «pourquoi les dirigeants israéliens risqueraient-ils d’accroître les tensions avec l’UE, son plus important partenaire commercial ? », s’est interrogé M. Halevy.
« Dans la situation actuelle, où le monde entier est confronté à une crise sanitaire et économique sans précédent, il y aura peu de patience avec Israël », a-t-il averti.
« Nous sommes en terrain inconnu. Le point numéro un de notre liste de nécessités est de rétablir la santé et l’économie d’Israël. Il devrait supplanter tout autre type de considération, y compris l’annexion politique de zones que nous contrôlons de toute façon. »
Quelles seront les conséquences sur l’accord de paix avec la Jordanie ? la suite ICI
—Raphael Ahren
Publié le 3 mai
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s’exprime lors d’une réunion du Conseil de sécurité au siège des Nations unies, le 11 février 2020. (Seth Wenig/AP)
Regardons la vérité en face !
Il est temps d’en finir avec les mensonges concernant la paix et la solidité de l’Autorité palestinienne, s’insurge cet éditorialiste israélien. Au moins, l’annexion fera réagir les Européens.
—Ha’Aretz Tel-Aviv
De quoi le centre gauche en Israël a-t-il peur à propos de l’annexion [de la Cisjordanie par Israël] ?
Pourquoi l’Union européenne et d’autres pays feignent-ils une telle colère contre un tel développement politique‑? L’annexion a toujours été présentée comme la mère de toutes les catastrophes, mais nous devons cesser de la craindre et même lui dire oui.
Elle s’avère être le seul moyen de sortir de l’impasse actuelle, le seul bouleversement possible qui pourrait mettre fin à ce statu quo de désespoir dans lequel nous sommes coincés et qui ne peut nous conduire nulle part de bien.
L’annexion serait effectivement une récompense intolérable pour l’occupant et une punition scandaleuse pour l’occupé. Elle légitimerait les crimes les plus graves et briserait le plus juste des rêves [le projet de deux États : israélien et palestinien]. Mais l’autre solution est encore pire. Une non-annexion éterniserait la situation criminelle qui se perpétue depuis longtemps ici. Au contraire, l’annexion acterait la réalité de l’apartheid qui sévit [dans les territoires palestiniens occupés]. Elle mettrait également un terme aux mensonges et obligerait tout le monde à regarder la vérité en face. Et la vérité est que l’occupation israélienne est là pour rester, qu’elle a déjà créé une situation irréversible : quelque 700‑000 colons juifs (y compris ceux de Jérusalem-Est) qui ne seront jamais expulsés, et sans leur expulsion, les Palestiniens ne se retrouveront avec rien d’autre que des bantoustans, ni un État ni même un pseudo-État.
C’est ce que craignent les opposants à l’annexion : sans annexion de fait, il sera toujours possible de continuer à se bercer d’illusions.
L’annexion, elle, menacera la fiction de l’Autorité palestinienne, qui continue de se comporter comme si elle était un État libre et souverain. Elle menacera le camp de paix israélien, qui continue de croire qu’il existe toujours une possibilité de solution à deux États. L’annexion mettra au défi l’Union européenne, qui pense qu’il suffit de condamner (fermement‑!) Israël, puis de ne rien faire contre l’apartheid, de le financer et de l’armer, et d’afficher ses “valeurs communes” avec Israël.
L’annexion mettra au défi les négateurs de la réalité qui n’ont jamais été mis de leur vie face à leurs contradictions. Il faut donc y être favorable malgré l’injustice et les catastrophes qu’elle est susceptible de créer : à long terme, le prix sera inférieur à celui de la situation actuelle.
C’est précisément l’opposant juré à l’annexion Shaul Arieli [un expert du conflit israélo-palestinien] qui a le mieux décrit ses avantages. Dans un article récent, il a énuméré comment l’Autorité palestinienne s’effondrerait, les accords d’Oslo seraient annulés, l’image d’Israël subirait des dommages et un autre cycle d’effusion de sang pourrait éclater.
Ce sont de vrais dangers à ne pas prendre à la légère, mais Arieli dit aussi : “Le pas de l’annexion porterait un grand coup aux fragiles équilibres de la situation actuelle.” Et pourquoi pas, Shaul Arieli‑?
La stabilité que l’occupation a créée, sa normalité de routine [cohabitation entre Autorité palestinienne, armée israélienne et colonies juives], sont les grands ennemis de tout espoir d’y mettre fin. En fait, l’annexion est après tout davantage réversible que les colonies : la politique d’annexion peut un jour se transformer en démocratie [un seul État binational judéo-arabe englobant Israël et les territoires occupés, une formule qui relève du cauchemar pour l’immense majorité des Israéliens].
Nous attendions ce pas. C’est notre dernier espoir. Quiconque connaît Israël sait qu’il n’y a aucune chance qu’il se réveille un matin de son plein gré et dise : “L’occupation n’est pas agréable, mettons-y un terme.” Quiconque connaît les Palestiniens sait qu’ils n’ont jamais été aussi faibles, isolés, fragmentés et dépourvus de tout esprit de combat. Et quiconque connaît la communauté internationale sait à quel point elle est lasse de ce conflit. Alors maintenant, Israël va venir et, avec les encouragements du célèbre pacificateur de Washington [Donald Trump], sortir cette réalité de sa torpeur : l’annexion des collines et des vallées [des colonies juives en Cisjordanie], puis de la zone C [partie de la Cisjordanie] et finalement de toute la Cisjordanie.
Comme aucun dirigeant israélien n’a l’intention d’accorder de droits égaux aux Palestiniens, Israël se déclarera de facto État d’apartheid. Deux peuples, l’un avec tous les droits et l’autre sans aucun droit. Est-ce trop naïf ou optimiste de croire que la majeure partie de la communauté internationale ne restera pas silencieuse ni même un grand nombre d’Israéliens‑? Existe-t-il un autre plan réaliste‑? Alors, cessons d’avoir peur et laissons-les annexer.
—Gidéon Lévy
Publié le 10 mai