Aux repas de mariage, tout le monde savait que maman chantait juste, ave sensibilité et émotion, au dessert l’assemblée scandait : « Berthe, chantera, Berthe chantera… »… Mon père lui souriait, il savait mieux que quiconque que son épouse détestait son prénom*, elle se levait, le marié faisait tinter son verre pour obtenir le grand silence, et maman chantait en me regardant.
C'était un gamin, un gosse de Paris
Pour famille il n'avait qu'sa mère
Une pauvre fille aux grands yeux rougis
Par les chagrins et la misère
Elle aimait les fleurs, les roses surtout
Et le bambin tous les dimanches
Lui apportait de belles roses blanches
Au lieu d'acheter des joujoux
La câlinant bien tendrement
Il disait en les lui donnant:
C'est aujourd'hui dimanche
Tiens ma jolie maman
Voici des roses blanches
Toi qui les aimes tant
Va, quand je serai grand
J'achèterai au marchand
Toutes ses roses blanches
Pour toi jolie maman.
*de plus ce prénom, accolé à son nouveau patronyme Berthomeau, sonnait d’une manière ridicule à son goût. Ironie de cette chanson, elle était le tube d’une autre Berthe, Berthe Sylva.
Les roses blanches est une chanson de 1926, dont les paroles sont de Charles-Louis Pothier et la musique de Léon Raiter
Les roses blanches de Collioure
« Je tondis de ce pré la largeur de ma langue »
Jean de La Fontaine – Les animaux malade de la peste
Au château La Rocasse, Nane, Marie Louise et moi occupons un cul de basse fosse de 40 m2 au ras des flots. Entre notre logement et les commerces du centre, il n’y a pas loin. Collioure, plus qu’une petite ville est un gros village. Pour s’y rendre, nous avons un chemin préféré. Je l’emprunte tous les matins, avec Nane , pour faire les courses et chercher les journaux.
Nous longeons la plage du Boramar, qui est interdite comme toutes les plages du littoral.
Mais pas moyen de faire autrement !
Passant sous une arche des anciens remparts nous gagnons l’ancienne place du Marché aujourd’hui place du 18 juin. Nous traversons la passerelle qui franchit le Douy. Une fois sur l’autre berge, nous prenons le quai à droite. Nous y sommes presque.
Cette berge, contrairement à son vis à vis qui est plein de commerces et de terrasses est bordée par un talus complanté d’arbustes, fleures diverses et rosiers. Les roses sont blanches. Tout aussi indifférentes à la pandémie que le printemps lui-même, elles éclosent. Chaque matin, il y en a de nouvelles alors que celles de la veille, ou l’avant-veille se fanent.
En cette période de confinement il n’y a jamais personne sur cette promenade. Les rares rencontres possibles se font plus loin, en respectant le mètre recommandé, près des 4 commerces restés ouverts.
L’idée me vint alors d’en cueillir, et une seule, une sur le point de faner pour ne pas priver d’autres passants éventuels. Tous les jours je me dis la même chose. Une fois j’ai tenté d’en cueillir une à la main démontrant ainsi que le Petit Prince n’était pas loin de la vérité quand il affirmait à propos des roses : « Elles se croient terribles avec leurs épines… » Suffisamment terrible en tous cas pour contraindre un gros benêt à battre en retraite. Le temps d’enlever l’épine plantée dans mon pouce et suçant un doigt également victime je me dis qu’il fallait revenir avec un sécateur.
Le lendemain, j’avais préparé le sécateur sur la table de la cuisine mais je l’ai oublié. J’ai fini par partir tout équipé. Passant devant les rosiers j’ai marqué un temps d’arrêt. J’ai repris ma marche me disant qu’il serait préférable de remettre la cueillette au chemin du retour.
Cependant, après mes courses à l’épicerie et la bavette taillée avec sa propriétaire j’ai pris le chemin du château .C’est à mi-parcours. Il n’est jamais le même que le chemin routinier de l’aller que je me suis rendu compte, saperlipopette, j’avais oublié de cueillir ma rose.
Ce matin, c’est fait.
Au retour, j’ai pris le bon chemin. Arrêté devant les rosiers, un coup d’œil à gauche un coup d’œil à droite, un coup de sécateur, mission accomplie. A peine le temps de mettre la fleur dans mon sac, une voix, juste derrière mon dos me fait sursauter. Je tourne la tête. En me doublant, elle me dit c’est celle-là qu’il faut cueillir, pendant qu’un doigt me désigne une rose en bouton.
C’est bien ma veine ! Il n’y a jamais personne sur chemin. Pour un « ni vu ni connu hop je t’embrouille » c’est raté.
Rentrons, il n’y a rien d’autre à faire et par la plage du Boramar, là aussi il n’y a rien d’autre à faire. Je passe devant un autre porche des remparts pourvu de barrières avec le panneau citant l’arrêt d’interdiction d’accès aux plages. De l’autre côté de la barrière, un véhicule de gendarmerie avec, sa paire de pandores à bord. Ils me voient. Je les vois s’entretenir brièvement, et certainement pas des résultats du loto. Avant même que l’un ouvre sa portière, je suis déjà devant la barrière.
« Que faites-vous là » me demande l’un des pandores. Il repousse la barrière et m’intime l’ordre de le rejoindre. Je lui réponds que je rentre chez moi car j’habite là. Je lui présente, avant qu’il me le demande mon « ausweiss » comme on appelle par cheu nous, l’attestation de déplacement prestement sortie de mon sac. Je lui précise qu’il n’y a pas d’autre chemin.
« Vous habitez où ? »
« Là, au Château, juste en face de Notre Dame des Anges ! » est ma réponse le doigt sur l’attestation. Je lui présente, dans les mêmes conditions l’indispensable carte d’identité seule en mesure de valider l’attestation.
Un bref « C’est bon, allez-y » me libère.
Je poursuis mon chemin en trouvant que cela fait quand même beaucoup à la fois pour un début de matinée de confinement. Une fois rendu je range mon attestation et gomme l’heure avec le stylo magique pour préparer la prochaine sortie pour balader Nane.
Je me rends compte alors qu’elle n’est pas signée. Brigadier où aviez-vous l’œil ce matin ?
Qu’importe tout cela, comme dans la chanson des Petits Pavés : « Demain je recommencerai, demain je recommencerai….. » et ma chanson s’arrête là. »
Collioure le 2 avril 2020 (aujourd’hui mon père aurait eu 100 ans )