Avant de gloser sur le monde d’après, laissons ça aux bataillons d’intellectuels qui savent tout après et qui se vautrent absolument, parlons un instant des effets de la crise sanitaire sur le monde d’avant et plus particulièrement sur celui qui préoccupe le plus les français confinés : le contenu de leur assiette.
Un peu partout fleurissent émanant des instances professionnelles agricoles, des journalistes appointés, des papiers dont le thème récurrent est les français redécouvrent le rôle nourricier de leurs agriculteurs, en les mettant tous dans le même sac, comme si de la fourche à la fourchette, ou plus exactement du producteur au caddie du consommateur on en était encore au bon vieux temps du poulet de la grand-mère et des BOF sous l’occupation allemande.
Arrêtons de brasser des images fanées, ce que l’on trouve dans les assiettes des français provient très majoritairement de ce que les experts dans leur jargon nomme les filières.
Déconfinons le sac où l’on met si commodément tous les agriculteurs-éleveurs pour produit par produit suivre, non pas le bœuf cher à François Missoffe, mais le lait, l’œuf, le poulet, le cochon, le blé, la carotte, les fraises, les pommes, le chou et le navet… etc.
Mendras annonça en 1967 La fin des paysans ICI
« C'est le dernier combat de la société industrielle contre le dernier carré de la civilisation traditionnelle »
Si Mendras avait tenu à ne pas mettre de point d'interrogation à son titre, il avait conclu l'ouvrage par une question : « Et que sera un monde sans paysans ? »
Dans le Grand-Ouest, la Bretagne en flèche, les producteurs n’ont plus besoin de sol pour élever leurs cochons et leurs poulets, ils leur font bouffer dans des espaces confinés, de l’alimentation importée par cargos entiers accostant à Brest ou Saint-Nazaire, des PSC dit-on, produits de substitution aux céréales, en clair des déchets de l’industrie américaine du maïs, du soja que les éleveurs laitiers feront croquer à leurs vaches Holstein usines à lait. Même qu’un jour les français découvriront que les ruminants bouffent des farines animales qui les rendent folles.
Et puis d’élargissement en élargissement, le petit Marché Commun protecteur devient une vaste zone de libre-échange où les cochons ex-allemands de l’Est ou polonais, vont et viennent pour atterrir dans les assiettes des français. Les traités de libre-échange ouvrent les portes au Brésil, à la Chine, au Vietnam, et les manchons de poulets n’ont plus de cartes d’identités.
En France, plus qu’ailleurs, le couple infernal, IAA-GD s’impose : les Besnier et consorts, les Carrefour et Leclerc sont les chantres du moins cher du moins cher, les sauveurs du pouvoir d’achat des français qui se foutent pas mal de ce qu’il y a dans leur assiette. Les pauvres ont bon dos, la classe moyenne, y compris la frange jaune chère à madame Sallenave la bécasse de gauche des beaux quartiers, préfère mettre ses sous dans les forfaits téléphones que dans son assiette.
Bref, les fameuses filières ces chaînes alimentaires ne vont pas dénouer leurs liens, leurs maillons, par un coup de baguette de bonnes intentions, de discours dit solidaires, de l’irruption massive de la vente directe locavore, y croire n’est qu’illusion.
En 1973, ma thèse de doctorat baptisée Les actions de l’Etat sur la filière porc répertoriée dans Quelques aspects des nuisances créées par l'industrialisation ...de JP Bravard ICI
Dans mon CV sans photo ICI j’écrivais :
« En effet, Christian Bonnet étant Ministre de l'Agriculture, le cabinet m'envoya ausculter la Bretagne avicole profonde. Pendant plus de 6 mois je sillonnai les 4 départements : accouveurs, éleveurs, industriels de l'aliment intégrateurs les Guyomard, Sander&Co, les marchands de poulets, de dindes et autres volatiles les Doux, Tilly&Co, les marchands d'oeufs... etc. J'observais, ayant déjà une bonne connaissance via ma thèse sur le cochon, la montée en puissance d'une Bretagne industrieuse, dure, productiviste mais avait-elle d'autres choix, je pondais des notes et pressentais que la machine à faire du poulet export, congelé, gorgé de flotte, expédié dans les pays du Golfe à grand coup de restitution était une machine infernale. Enfin, je constatais que nos petites bestioles consommaient du soja et des PSC importés alors que nos céréales étaient bradées vers l'Empire Soviétique avec le soutien des restitutions. La machine européenne commençait de s'emballer mais en France personne n'osait se risquer à critiquer une mécanique qui rapportait gros au Trésor... »
Mon dernier acte actif fut, suite à ma mission de médiation laitière dans le Sud-Ouest, consista à essayer de convaincre le nouveau Ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll des conséquences redoutables à moyen terme de la fin des quotas laitiers. En vain, lui et son sémillant directeur de cabinet, aujourd’hui chantre de pratiques nouvelles dans le bunker de l’INRA, me traitaient comme un vieux ronchon trop imprégné du monde d’avant. De guerre lasse je rendis mon tablier pour jouir paisiblement de ma retraite…
- L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) a publié, vendredi 17 avril, son deuxième baromètre sur la santé de 700 entreprises agroalimentaires depuis le début du confinement.
Aucune pénurie alimentaire à l’horizon. Sous-tension pour nourrir les Français confinés, le secteur agroalimentaire (17 000 entreprises, 1,2 million de salariés) est bien debout. Mais à quel prix ? L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) vient de publier son deuxième baromètre sur la santé des entreprises depuis le début du confinement. Sur 700 sociétés interrogées du 6 au 10 avril, 70 % à 80 % constatent des baisses de chiffres d’affaires et une rentabilité fragilisée. Les situations sont très variables : les petits et moyennes entreprises souffrent le plus.
« Les rayons les plus affectés sont ceux des produits traditionnels, les fromages en particulier, dont les rayons à la coupe sont fermés », pointe le baromètre. Les produits dits « plaisir », comme l’alcool et l’épicerie sucrée, sont également délaissés par les Français. La fermeture des hôtels et de la restauration frappe durement : « Pour ce marché, la baisse d’activité atteint plus de 75 % en valeur et en volume pour près de la moitié des entreprises du secteur ! »
Une hausse des coûts
Si les prix augmentent peu pour les consommateurs en magasins pour le moment, les industriels font face à des « hausses des coûts comprises entre 3 % et 16 % » . À l’origine : l’augmentation des prix des matières premières, la maintenance des outils de production (mis à rude épreuve), et l’achat d’équipements de protection pour les salariés (nécessaires pour limiter la propagation du coronavirus).
« La situation globale reste sous contrôle » en ce qui concerne l’absentéisme, qui gagne tout de même du terrain. Il atteint 13 % en avril, contre 9 % en mars. Le gouvernement a mis en place la plateforme « Mobilisation emploi » pour inciter les Français à venir prêter main-forte à l’agroalimentaire. « C’est un outil précieux pour pallier la chute des effectifs », estime l’Ania. En revanche, les entreprises déplorent un « manque de visibilité sur le traitement des dossiers remontés » pour bénéficier des dispositifs d’aides financières activés par l’État et les banques.
- Bleu d’Auvergne, comté, saint-nectaire… des appellations de fromages modifiées en raison de la pandémie
Les conditions de fabrication de plusieurs fromages changent temporairement pour tenter de limiter les pertes de lait.
Aucun secteur n’est épargné par la pandémie de Covid-19 : alors que les ventes de fromages sont en baisse et que l’Europe croule sous le lait, les conditions de fabrication du bleu d’Auvergne, du comté, du saint-nectaire et de la fourme d’Ambert ont été modifiées temporairement pour tenter de limiter les pertes.
Concernant le bleu d’Auvergne, la durée maximale du stockage à la ferme du lait nécessaire à sa fabrication passe de quarante-huit à soixante heures, à compter du 17 mars et jusqu’à un mois après la fin du confinement, détaille un arrêté publié dimanche 19 avril au Journal officiel. L’emprésurage en fabrication fermière pourra avoir lieu jusqu’à vingt-six heures au plus après la dernière traite (au lieu de seize heures), et la conservation des fromages pourra se faire à une température descendant jusqu’à – 5 °C (au lieu de 0 °C en temps normal).
Des mesures similaires sont prises pour l’appellation d’origine protégée fourme d’Ambert. Dans le cas du comté, les conditions du stockage du lait sont également allégées et le délai de distribution des fromages découpés passe de deux à cinq jours ouvrés. Enfin, les fromages saint-nectaire entrés en congélation à partir du 12 mars (au lieu du 1er avril) pourront bénéficier de l’appellation lors de leur mise en vente l’année prochaine.
Marchés et restaurants fermés
Le pic habituel de production laitière printanier – moment où les veaux naissent et où les vaches retrouvent les prairies après un hiver à l’étable – coïncide avec l’écroulement simultané de pans entiers de consommation sous l’effet du confinement obligatoire : fermeture des restaurants et des marchés de plein air et baisse des exportations.
Résultat : les stocks de lait sont trop importants en Europe et des organisations professionnelles appellent à plafonner la production et à indemniser les producteurs, tandis que les ministres de l’agriculture français et allemands exhortent la Commission européenne à une « approche coordonnée et européenne » et demandent notamment un feu vert au « stockage privé » des denrées excédentaires.
Deux filières particulièrement touchées par la fermeture des secteurs de fromage à la coupe dans les supermarchés et celle des marchés de plein air ont déjà annoncé des mesures : la filière du comté va produire 8 % de moins durant les trois prochains mois et d’autres, comme le saint-nectaire, ont choisi de congeler leurs fromages blancs afin de les affiner et de les vendre plus tard.
- « Avec le confinement, l’œuf nouvelle star des listes de courses » ICI
CHRONIQUE Laurence Girard
Dans les rayons des supermarchés, la chasse aux œufs a démarré avec le confinement, le 17 mars. Et la traque ne faiblit pas, même après Pâques, observe Laurence Girard, journaliste au « Monde ».
Matières premières. L’œuf crâne… Pensez donc, depuis le début de la crise liée au coronavirus, cette denrée se trouve au cœur de l’approvisionnement des Français. Une vraie star des listes de courses. La chasse aux œufs dans les rayons des supermarchés a démarré avec le confinement, le 17 mars. Et la traque ne faiblit pas. Selon le Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO), semaine après semaine, les ventes explosent sur un rythme de + 30 % à + 40 % comparé au flux d’achat habituel. La tendance se poursuit même après Pâques.
Avec le Covid-19, l’œuf sort de sa coquille. Au sein des familles, on se découvre des talents de pâtissier et on multiplie les ateliers gâteaux avec les enfants. D’ailleurs, le rayon farine est tout autant dévalisé. Autre élément qui pousse les Français à gober les œufs en accéléré : cet aliment fournit une protéine bon marché. Un point à ne pas négliger quand les cantines sont fermées.
Une telle fringale met la filière sur les dents. Au point que, parfois, le client fait chou blanc. Des ruptures d’approvisionnement sont bien réelles dans certains magasins. Pourtant, les poules ne se sont pas mises en chômage partiel. « Près de 40 millions d’œufs sont pondus chaque jour en France », rappelle Philippe Juven, président du CNPO. Mais tous ces œufs ne vont pas dans le même panier. D’ordinaire, 40 % du fruit de la ponte est vendu en magasins, un tiers est transformé par l’industrie et le solde alimente la restauration et les cantines. La baisse de régime de l’industrie, la fermeture des restaurants et la forte demande dans les supermarchés imposent de réorganiser les flux.
Les fabricants de boîtes sous pression
Cependant, jongler avec des œufs est un exercice délicat. D’autant qu’il faut jouer avec deux couleurs, le blanc et le roux. Les Français boudent les coquilles blanches. A l’inverse, les industriels les plébiscitent, car les poules blanches sont de grosses pondeuses. En tout cas, plus que les poules rousses, plus lentes à peindre leurs œufs en roux pour le plus grand bonheur des consommateurs de l’Hexagone.
Quand la consommation s’emballe, le maillon de l’emballage a du mal à suivre
Autre souci, blanches ou rousses, les coquilles sont fragiles. Il faut donc bien les emballer. Les centres de conditionnement doublent de cadence pour satisfaire la demande depuis le début de la crise. La pression se reporte sur les fabricants de boîtes. Le nombre de références a été réduit afin d’accroître la productivité. Mais quand la consommation s’emballe, le maillon de l’emballage a du mal à suivre. L’idée de la vente en vrac a même été émise, mais écartée, car comment classer les œufs notés 0,1 2 ou 3 selon le mode d’élevage ?
Dans les grandes surfaces, les œufs de poules élevées en cage représentent 40 % des volumes. La filière s’est engagée à produire la moitié des 14,8 milliards d’œufs pondus annuellement dans des élevages en plein air, au sol ou en bio d’ici à 2022. Mais pour l’heure, tous les travaux de réaménagement des poulaillers sont au point mort. Les poules, elles aussi, ignorent combien de temps elles vont encore rester confinées…
La fermeture des restaurants, cantines et marchés bouleverse les canaux de distribution. La débrouille et la solidarité rebattent les cartes des gros producteurs et petits exploitants que nous sommes allés voir en Mayenne.
- Vu d’Allemagne. Avec le confinement, le secteur agroalimentaire français est en crise FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG
Si les Français continuent de consommer, les chaînes d’approvisionnement sont bouleversées. Manque de main-d’œuvre, exportations bloquées, hausse des prix du transport, les entreprises du secteur, très mobilisées, accusent difficilement le coup. ICI