Avant de répondre à cette mystérieuse question, laissez-moi vous entraîner dans l’univers des enfants, pas que mais eux en priorité car pour nous les vieux rien n’est plus important que de garder un regard d’enfant.
De quoi s’agit-il ?
Suite à la fermeture temporaire de l’exposition Liberté d’impression, le Musée des beaux-arts du Locle (MBAL) et Le Temps lançaient il y a trois semaines, à l’instigation du dessinateur Patrick Chappatte, un grand concours de caricatures. Ouvert à tous et divisé en deux catégories (enfants jusqu’à 13 ans, adultes et adolescents), il a rencontré un vif succès. ICI
Enfants – 1er prix
Leny Schneeberger, 8 ans, Court
Quand le virus prend forme quasi humaine, entre le monstre et le clown maléfique. Mêlant dessin et collage, cette œuvre dynamique symbolise parfaitement la difficulté que peuvent avoir les enfants à appréhender cet ennemi microscopique et invisible qu’est le coronavirus.
Enfants – 3e prix
Jules Reinhard, 12 ans, Lausanne
Graphiquement simple, ce dessin file une métaphore plus complexe: ces clous qu’il faut enfoncer à défaut de pouvoir les enlever sont à la fois le virus qui doit être combattu et les souffrances tant sociales qu’économiques qui l’accompagnent.
Mention spéciale
Léon Muller, 6 ans, Carouge
Quand une ambulance écrase le coronavirus… Un dessin émouvant qui montre comment les enfants perçoivent les professionnels de la santé vus comme les héros du combat contre le Covid-19.
Le confinement aide à faire remonter en mémoire les souvenirs.
Que s’est-il donc passé la nuit du 4 avril 1985 ?
En ce temps-là y’avions point de smartphone, le Minitel en était tout juste à ses débuts, le fixe loué par les PTT n’était pas posé sur la table de nuit. Il était aux alentours de 2 heures du matin lorsque la sonnerie retentit. J’ai le sommeil lourd mais je l’entends. Je me lève en me disant qu’un appel en pleine nuit est rarement porteur de bonnes nouvelles. Je décroche, c’est Bernard Vial, le directeur de cabinet au bout du fil qui m’annonce « Michel vient de démissionner… »
Ce n’est pas une surprise, le sujet était à l’ordre du jour à l’hôtel de Villeroy au 78 rue de Varenne, mais faire ça en pleine nuit, y’a que lui pour faire ça ainsi.
Dans sa biographie, Pierre-Emmanuel Guigo, même s’il se prend les pieds dans le tapis des Riboud, faut dire qu’ils sont trois connus Antoine le PDG de BSN-Gervais Danone, Jean PDG de Schlumberger, et Marc le photographe, en nous racontant que « C’est au beau milieu de la nuit, à 23 h 55, en rentrant de dîner chez le patron de BSN, Alain Riboud, que le maire de Conflans se décide à démissionner du gouvernement. » En fait, il dînait avec sa gracieuse et impérieuse épouse : Michèle (prononcer Michêleu) chez Marc Riboud le célèbre photographe.
Bref, Rocard appelle l’Élysée et tombe sur le permanencier, Jean Glavany chef de cabinet du Président (ironie de l’histoire celui-ci sera le Ministre de l’Agriculture de Jospin lorsque Louis le Pensec ira pantoufler au Sénat)
Je vous passe les détails, mais réveiller Tonton en pleine nuit ce n’est pas une mince affaire. Glavany contacte Christian Sauter, SG adjoint. Celui-ci temporise mais Rocard n’en démord pas il veut parler au Président avant d’annoncer sa décision de démissionner. Sauter réveille Fabius, le jeune Premier Ministre, qui choisit de réveiller le Président. « François Mitterrand paraît impassible et ne cherche pas à retenir Michel Rocard, même si la discussion a été tout à fait « charmante » selon les mots de Michel Rocard. »
« Dans la foulée, il lui écrit une lettre manuscrite très courte justifiant à peine sa prise de décision. »
« La légende veut que ce soit Michèle qui ait contacté l’AFP pour la dépêche. Le journaliste, éberlué, croit d’abord à un canular et demande à parler au ministre, ce qu’il obtient finalement. La dépêche sera donc émise à 2 h 27 du matin, le 4 avril. »
Le lendemain matin je monte sur mon vélo et je gagne le 78 rue de Varenne où règne l’effervescence des grands jours. Je gare discrètement mon destrier et je me rends d’un pas léger jusqu’au bas des marches. Là, les photographes me mitraillent. Pourquoi diable me direz-vous tirer le portrait d’un inconnu ? Tout bêtement parce que le nouveau Ministre est Henri Nallet, conseiller agricole de Tonton, dit le Sphinx, et que tout deux arborions une moustache. Je ne vous raconte pas d’histoires, nous en avions bien ri.
4 avril 1985 : entre principes et choix tactique, quand Michel Rocard démissionnait du ministère de l'Agriculture
Le 4 avril a marqué le 25ème anniversaire de la démission de Michel Rocard du ministère de l'Agriculture : il peut paraître étrange de "célébrer" une démission d'un ministère qui, au surplus, lui tenait très à cœur. Ce choix fût controversé et les circonstances d'une démission annoncée nuitamment ont nourri la controverse : ses adversaires ont mis en avant des raisons de politique partisane et, même pour certains de ses partisans, les arguments de principe invoqués étaient fragilisés par le fait que le Parti socialiste avait, de longue date, inscrit le mode de scrutin proportionnel dans son programme. Pourtant, dès le 23 mars, devant le comité directeur du PS, Michel Rocard avait pris radicalement position contre la proportionnelle départementale intégrale, qualifiée de "solution défaitiste". Aussi, près d'un quart de siècle après, il n'est pas inutile de revenir sur ce choix lourd de conséquences pour tenter d'en comprendre les raisons. Nous publions, pour y contribuer, l'analyse de Gérard Grunberg, et mettons en ligne (liens ci-dessous) son intervention devant le comité directeur et l'article du Monde (6 avril 1985) dans lequel il donnait ses explications.
La démission du ministère de l'Agriculture : l'analyse de Gérard Grunberg
Quand s’ouvre l’année 1985, la situation du pouvoir socialiste est très préoccupante. L’année précédente, le départ de Pierre Mauroy de Matignon, les élections européennes qui ont vu l’opposition UDF-RPR obtenir deux fois plus de sièges que le PS, la mobilisation pour la défense de l’enseignement privé qui a provoqué l’abandon du projet du « grand service public unifié et laïque de l'éducation nationale », ont marqué une césure dans le septennat de François Mitterrand. A une année des élections législatives de 1986, les perspectives sont très sombres pour les socialistes alors que la cote du président de la République (IFOP) est à son plus bas niveau avec à peine plus de 30%. Dans cette conjoncture politique, la situation personnelle de Michel Rocard n’est guère meilleure. Membre du gouvernement mais sans véritable pouvoir d’influence, il est entraîné par le courant descendant. Alors qu’il envisage de se présenter à l’élection présidentielle de 1988, sa cote d’avenir SOFRES recule. Face au risque de banalisation politique qui est réel il lui faut donc retrouver une marge d’action d’une manière ou d’une autre.
C’est alors que surgit la question du mode de scrutin législatif dans le débat politique. François Mitterrand, face à la forte probabilité d’une défaite socialiste aux élections législatives de l’année suivante, risque fort, avec le mode de scrutin en vigueur, majoritaire à deux tours, de voir une majorité absolue UDF-RPR s’installer à l’Assemblée nationale. Dans ce cas, pour la première fois sous la Cinquième République, un président de la République se retrouverait avec une majorité parlementaire hostile. Pourrait-il alors demeurer à son poste ? François Mitterrand, qui est bien décidé à rester à l’Elysée, estime qu’il lui faut tenter d’empêcher une telle majorité de se former. Or le mode de scrutin majoritaire la rend presque inévitable. Le seul moyen de limiter au maximum cette future majorité est selon lui de remplacer ce mode de scrutin actuel par un mode de scrutin proportionnel ; ce changement permettrait la formation d’un groupe parlementaire du Front national, crédité d’environ 10% des suffrages, au détriment de l’opposition principale. Il fait donc part à ses ministres de son intention de procéder à ce changement.
Dans une période politique différente, une telle décision n’aurait pas créé de grands débats au sein du parti socialiste dans la mesure où ce parti est depuis l’origine partisan du scrutin proportionnel. Mais cette fois-ci, la forte dimension tactique du projet du président ne peut que heurter nombre de socialistes qui voient d’abord dans la manœuvre moins l’intention de limiter la victoire de l’opposition principale que l’opportunité donnée à l’extrême-droite de disposer d’une représentation parlementaire notable, alors que le Front national demeure aux yeux de la gauche et au-delà un parti hors consensus républicain.
Michel Rocard, opposé à cette modification du mode de scrutin, annonce sa démission du gouvernement par une dépêche AFP le 4 avril 1985 à 2 h 27 du matin. Le lendemain matin, il développe dans une lettre manuscrite adressée au président de la République les raisons de sa démission. Il écrit notamment : « Comme je l'ai dit au conseil des ministres d'hier matin, la décision prise concernant le mode de scrutin suscite de ma part des désaccords profonds, en raison des conséquences sur l'équilibre de nos institutions et sur les conditions de mobilisation de notre propre parti, ainsi que de la place qu'elle risque de donner à l'extrême droite. »
Ainsi, outre l’espace parlementaire concédé au FN, Michel Rocard donne deux autres raisons. L’une concerne le fonctionnement des institutions. Il est vrai que le mode de scrutin majoritaire est depuis l’origine le mode de scrutin de la Ve République et qu’il a contribué au premier chef à la constitution de majorités parlementaires, au point que les socialistes eux-mêmes, après 1981, s’y sont ralliés, au moins dans les faits. Ce mode de scrutin a ainsi permis aux présidents de la République, en 1962, 1968 et 1981, de disposer de majorités absolues. L’introduction de la proportionnelle aurait certainement des effets à terme sur le fonctionnement du système politique, qu’on les juge bons ou mauvais. Quant au parti socialiste, il est vrai que l’intention de donner au FN une assise parlementaire ne peut contribuer à le mobiliser !
Le coup tactique de François Mitterrand échoua, certes de très peu. La coalition UDF/RPR obtint 286 sièges soit deux de plus que la majorité absolue. Le PS obtint 212 sièges et le FN et le PCF chacun 35 sièges. François Mitterrand nomma premier ministre le chef de la nouvelle majorité, Jacques Chirac, entamant la première cohabitation avec son accord. La nouvelle majorité de droite devait rétablir le scrutin majoritaire, mais cela ne suffit pas à assurer à Michel Rocard, que François Mitterrand avait nommé premier ministre après sa réélection en 1988, avant de dissoudre l’Assemblée, une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Il est vrai que le Président avait lui-même cru devoir mettre en garde les électeurs sur le fait qu’il n’était peut-être pas souhaitable qu’un même parti dispose de tous les pouvoirs… Michel Rocard devra donc expérimenter l’art de gouverner sans majorité absolue, ce qui n’est pas l’exercice dont il se tirera le plus mal.
Gérard GRUNBERG