Un confinement de vigneron, de Felice Casaroti avec L'uomo delle botti via Alice Olivier de Moor
Soyons positif, pour le passé laissons de côté les procureurs aux mains propres, ils n’ont pas de mains, pour le futur ne perdons pas notre temps avec les augures modernes qui n’ont rien vu venir, hier n’est plus que poussière, évitons de la glisser sous le tapis, demain sera demain, il sera toujours temps de nous confronter à la réalité sans réécrire l’Histoire de cette pandémie, le confinement a du bon, il remet au goût du jour, la conversation, l’échange, la correspondance.
Ainsi, suite à ma chronique dominicale du 5 avril 2020 qui n’a éveillé bizarrement aucun commentaire de la mouche du coche sans doute trop occupé, telle la reine d’une ruche, à pondre des chroniques pour votre serviteur.
Le 2 en 1 du confiné : relire ou lire le Guépard de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa et revoir ou voir le Guépard de Le Guépard de Luchino Visconti ICI
Vous me connaissez, je lui ai de suite proposé de la publier sur mon espace de liberté.
En retour j’ai reçu son imprimatur.
Bonjour Jacques,
Indiscutablement, je fais partie des « Gattopardeschi ». Je ne crois pas plus que cela dans la vérité de ce que raconte le Guépard, mais je crois en la vérité de ce qu'il présente. En fait, l'histoire, on le sait depuis longtemps, est écrite par les vainqueurs, mais les vaincus ne sont pas forcément les dindons de la farce.
Le Guépard est déjà est avant tout un grand livre politique, comme le sont Guerre et paix, pas plus vrai historiquement, ou le début du Rouge et le noir, ou son pendant chronologique, les Mémoires d'Hadrien. Je n'arrive pas à les dissocier, d'ailleurs. Peu d'illusion de part et d'autre. Ces romans décrivent une vision de l'histoire écrite a posteriori. Rien de bien vrai factuellement ; tout est vrai dans la suite et les conséquences. Calvino analyse le roman ; Leonardo Sciascia aussi : l'Histoire de la Sicile aurait été différente si... les tenants du pouvoir au moment de l'invasion du pays par Garibaldi avaient agi autrement. Mais ils ont joué leur partie pour perdre le moins possible. Personne ne veut croire que ce Gueux puisse faire tomber la monarchie. Mais ce gueux a l'audace de le faire. Tout un chacun cite " il faut que tout change pour que rien ne bouge" oubliant la grande réflexion politique qui précède : jusqu'à quand pourra-t-on dissocier le Pouvoir de celui qui l'exerce, ou le contraire. Et le roi de Naples, à l'époque est un fantoche, une ombre, comme bien des aristocrates siciliens. Ce qui renvoie à leur nullité les monarchistes, bonapartistes ou tous ceux qui attendent le Sauveur.
Une fois le roi tombé, c'est le chacun pour soi. Corbera joue sa partie, et il a des cartes.
Don Corbera, prince de Salina, est un cynique et qui le reste jusqu'au bout. Il utilise son neveu, son ancien métayer Sedara devenu plus riche que lui, la fille de celui-ci et les sentiments (que sont-ils d'ailleurs exactement ? sinon peut être un cuissage qui aurait "mal tourné" en mariage) de son neveu (Falconerie, pas un aigle, juste un faucon) pour Angélique. Au final, tout le monde est dupe d'une partie dont les règles lui échappent, Salina comme les autres. Sedara a soif, soif que lui donne le sel des Salina, le sel, soif de cette aristocratie et de cette supériorité que l'autre finit par lui concéder. L'onomastique ici, dans ce roman prend toute sa dimension ! Angélique est-elle si angélique, si pure et innocente qu'elle le prétend ? Quel jeu jour Tancrède, sinon celui de l'argent ? la prime est belle et riche, mais tellement décevante : le mariage est un échec, et les meilleurs moments correspondent aux frustrations de leur étreintes prénuptiales. La descendance du Prince est du même niveau : le fils est marchand de diamants (cela brille) et disparaît ; quant aux 3 filles, elles restent vieilles filles, confites en dévoltions, en reliques, imaginant un monde éternel répliquant leur monde terrestre : des aristocrates pour la fin des temps.
Lampedusa était sans illusion. Pas plus que Visconti. A la première lecture, le livre est lisse : une histoire d'amour imbriquée dans l'Histoire. En fait, l'histoire d'amour n'est que l'adaptation d'une classe aux contraintes du moment, et encore une fois, Corbera (entendre peut être "corbeau" ?) joue sa famille contre les faits ; sa fille, amoureuse de Tancrède, le seul amour possible socialement du niveau de Tancrède, est détournée pour une pimbêche, très belle, mais très riche, qui représente le futur, un futur très court. L'action du Guépard n'a qu'un impact limité dans le temps : une génération, deux au maximum. Il refuse de voir plus loin : cela ne sert à rien. Cynique. Le film donne le même sentiment. En fait, il est obsédé par la fin et la mort. UN très grand film politique aussi.
Lorsque cette crise est arrivée, j'ai tout de suite pensé au Guépard.
Et je l'évoquais encore hier.
“You came here to teach us good maneers, but you won't succeed, because we are Gods".
Cette phrase m'est venue en tête immédiatement. Nous sommes des Dieux, et nous n'apprenons rien. Le réveil - Lampedusa craint que celui-ci ne survienne jamais en Sicile - sera douloureux.
Cette période des années 50 est sans illusion sur le pouvoir. Nous en avons un peu plus. La meilleure preuve en est tous les textes qui disent ce qu'il aurait dû faire ou pu faire: beaucoup d'entre nous croient au politique
Pas Lampedusa. Yourcenar guère plus. Les Mémoires d’Hadrien précèdent le Guépard de 6 ans. Yourcenar croit en un homme providentiel, mais de loin en loin. Hadrien écrit son Histoire. Il se présente comme providentiel. L'est-il vraiment. Je ne sais pas. Mais ce roman, qui m'a marqué, qui a marqué Claire, nous a donné le nom de notre premier enfant.
Le Guépard serre Sedara dans ses bras. Il en en costume violet, Sedara habillé en noir. Ce dernier est comparé à un bourdon qui féconde un iris. Tout est dit.