Le silence se fit lorsqu’il gravit lentement les degrés de la tribune du Parlement réuni en session extraordinaire dans une clairière de la forêt de Brocéliande.
Les sénateurs somnolaient, les députés pianotaient, le Président était inquiet « quels propos incongrus allait donc tenir cet hurluberlu ? »
Au banc du gouvernement ne manquait que le Ministre de l’Agriculture qui avait déclaré ne pas être concerné par le sujet.
Chacun savait que l’orateur ne lichait que des « vins nu », des poilus qui puent, c’était un drôle d’oiseau, un type qui utilisait encore des pinces à vélo, guerroyait contre ceux qui voulaient mettre les animaux en cage, se moquait des nouveaux Attila du terroir derrière qui l’herbe ne repoussait pas, un mécréant qui parlait, tel le François d’Assises, aux oiseaux, oui vraiment un drôle d’oiseau.
Sur les branches, des oiseaux, bien sûr, il y en avait, certains pépiaient, d’autres chantaient, sur terre la République des animaux était au grand complet, y’avait même une délégation de vers de terre. Les arbres échangeaient entre eux dans leur langage secret. Les herbes folles, des fougères, voisinaient avec des tapis de fleurs et des champignons. Dans les tribunes, les animaux domestiqués, serrés comme des sardines, attendaient patiemment alors que les plantes OGM elles s’inquiétaient. Les poissons, les marins d’eau douce comme les flibustiers, s’étaient fait représenter par un poissonnier, alors que les bêtes sauvages des autres continents avaient choisi un fermier. Je dois en oublier mais peu importe « ils étaient tous là, y’en avait même qui étaient venus du Vatican. »
Bref, vous allez me dire : il est barjot ce Berthomeau !
La réponse est assurément OUI !
Mezzo Voce, l’orateur entama son prêche
« Naturellement ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire s’énoncent aisément… »
Seuls les afficionados du vin nu goûtèrent le sel de l’ironie de cette entame qui foudroyait les poseurs de barbelés autour des vins qui puent infoutus qu’ils étaient d’expliquer simplement au bon peuple ce qu’était leur vin nu.
Il ajouta pour enfoncer le clou « Se payer de mots est commode, c’est de la monnaie de singe pour fabricant de règlements abscons sous la férule de l’administration, des besogneux qui veulent tirer la couverture à eux… »
Revenons à l’essentiel procédons avec MÉTHODE :
À l’origine la vigne était une liane folle, elle fut domestiquée franc de pied puis, dans certaines contrées attaquées par une sale bestiole américaine, greffée.
Parfois attachée à des piquets, taillée, rognée, effeuillée, relevée, nourrie, soignée, protégée, par la main de l’homme, dans certaines contrées arrosée, la vigne est devenue une créature de l’homme.
La vigne pleure, certains la font pisser, d’autres la font souffrir, elle gèle, preuve qu’elle est notre sœur en humanité.
Pour l’extraire plus encore de dame nature, les hommes au siècle dernier l’ont dopée aux engrais, l’ont bombardée de pesticides, sus aux ravageurs, aux champignons, aux mauvaises herbes, la chimie, la pharmacie seraient des remparts infranchissables pour protéger le raisin.
Entendez-moi bien, je ne lance pas à qui que ce soit la première pierre, simplement je dis sans risque d’être démenti : la vigne, même bio, est une plante domestique.
Le raisin qu’elle porte doit sans doute encore beaucoup à la nature mais plus encore à la main de l’homme.
Alors toutes les gloses sur la méthode nature appliquée à la vigne ne sont pas la hauteur de la transparence voulue par ses promoteurs.
Le raisin mûr est coupé par la main de l’homme ou vendangé à la machine, transporté, trié, parfois égrappé, parfois foulé aux pieds, pressuré, entonné, devenu jus va fermenter pour devenir vin.
Et c’est là que tout se joue entre ceux qui domestiquent le vin et ceux qui, tout en veillant sur lui comme du lait sur le feu, le laisser s’ensauvager.
Je vais choquer certains mais c’est de même nature que de remettre les poules en quasi-liberté, les veaux dans le pré avec leur mère, de mettre les vaches laitières à brouter l’herbe des prairies naturelles, de planter des arbres à l’orée des champs, des vignes, d’enbuissonner à nouveau les parcelles pour permettre aux oiseaux de nicher, d’offrir aux abeilles de quoi butiner…
Et qu’on ne vienne pas me chanter que ce sont-là des niaiseries de nanti quand on sait comment ces 30 dernières années on a transformé beaucoup d’agriculteurs et d’éleveurs en fournisseurs de minerai pour transformateurs.
Nul retour en arrière passéiste que ce désordre bien maîtrisé, que ce petit espace de liberté où chacun assume sa responsabilité sans s’abriter sous les grandes ombrelles des labels certifiés qui plaisent tant aux grands prédateurs de la GD.
Vive les fonds de rayon où les flacons se couvrent de poussière !
Mon modeste souhait d’ensauvagement du vin ne met pas l’économie du vin en péril, il se contente de vouloir y instiller un peu de poésie, de singularité, d’aspérités, de fantaisie permettant à ce produit, dont nous n’avons nul besoin pour vivre au sens des besoins essentiels de notre corps, de retrouver du sens, convivialité, partage, un peu de douceur dans ce monde de brutes !
À quoi bon, à force de le domestiquer, le tirer vers le rayon boissons, vous savez ces liquides bien formatés, sans aspérités, reproductibles à l’infini, tristes même parfois sinistres ?
Si le vin veut conserver son statut d’héritier d’une culture millénaire il lui faudra ne plus se contenter d’aligner des lieux communs sur son authenticité, sa singularité, sa capacité à faire rêver, à procurer des plaisirs sans cesse renouvelés.
Sur les bancs officiels vous allez me dire : tout ça n’est pas sérieux !
J’en conviens, ce n’est rien qu’une petite fable où j’ai repris le souhait de Bruno Latour de voir créer un « Parlement des choses ». Un projet qui s'inspire de la logique des premiers Sommets de la Terre. Convaincu que la politique doit redevenir « cosmopolitique » et établir des liens durables entre tous les habitants de la Terre, le philosophe souhaite qu’un dialogue s’établisse entre les représentants des humains et ceux de leurs « non-humains associés ».
Dans ce Sénat réaménagé, d’une échelle forcément globale, siégerait ainsi un porte-parole pour chaque espèce dont l’humanité a besoin pour envisager son avenir : sénateur des forêts, des oiseaux migrateurs, des ordures ménagères, etc. Michel Serres enfonce le clou en proposant de remplacer notre vieux « contrat social » par un « contrat naturel » au sein duquel l’univers tout entier deviendrait sujet de droit. Parce qu’« il n’existe pas de collectif humain sans choses », il est nécessaire que « le monde pénètre lentement dans les décisions collectives »
Comme le dit Michel Serres dans une très belle phrase qui inverse le stoïcisme millénaire, «il ne dépend plus de nous que tout ne dépende pas de nous »