Marinetti en 1933 devant un portrait de lui avec sa famille ( Gerardo Dottori )
Cette chronique en étonnera certains mais le sujet me semble d’actualité à vous de voir pourquoi…
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Le « Manifeste de la cuisine futuriste » fut publié en 1931 par Filippo Tommaso Marinetti, le père du Futurisme. « Non content des immenses victoires picturales, littéraires, artistiques en somme, qu’il accumule depuis vingt ans, le Futurisme italien vise aujourd’hui à un renouvellement fondamental : il ose affronter une fois encore l’impopularité avec un programme de renouvellement total de la cuisine.»
Ce texte trouve son origine dans le premier des Manifestes du futurisme publié dans le Figaro en février 1909, qui pose les fondamentaux d’un mouvement dont les maîtres mots sont l’amour du danger, l’audace, la rapidité et l’agressivité.
Le slogan basta la pastasciutta ! «À bas les pâtes»
« Les macaroni, pouah ! » Marinetti fait table rase des traditions du passé il accuse cette « absurde religion gastronomique italienne » de rendre « pessimiste, inactif, nostalgique… » et de laisser « une boule que les italiens portent dans leur estomac comme des forçats ou des archéologues. »
« Certes il y a de l’audace, et même de ma témérité à vouloir, dans un pays comme l’Italie, faire triompher un tel slogan – que le Manifeste, fer de lance de la croisade anti-pâtes, n’ait pas connu un authentique succès populaire…
« … ce militantisme diététique ne vise nullement au simple bien être individuel (…) il s’agit avant tout, et très explicitement, de nourrir le peuple italien de façon à lui faire retrouver sa pugnacité, sa virilité (car la pastasciutta freinerait les élans amoureux), et la prépondérance mondiale à laquelle à bon droit il aspire. Sans compter que, d’un point de vue économique, l’abandon des pâtes délivrerait l’Italie de sa dépendance envers les blés étrangers.
Placée sous l’égide de Mussolini, cette argumentation épouse parfaitement le contexte politique de l’époque, et l’on y retrouve des principes qui, aujourd’hui, apparaissent comme typiquement fascistes. Principe, par exemple, d’homogénéisation autoritaire de la société par l’imposition d’un même corps pour tous : c’est l’idéal du consensus autoritaire, qui réclame la participation de « toutes les catégories sociales », mais sans qu’il faille pour autant « tenir compte du goût personnel des convives ». Ensuite, un élitisme déclaré, la haine du peuple trouvant son expression dans l mépris de la nourriture populaire, celle qui « tient au ventre », ou du macaroni « dont le nom même évoque le peuple », fruste et huileux comme le tas d’ordures qui l’a vu naître » et qui « sous ses nouveaux apprêts garde les manières et la vulgarité du parvenu ». Enfin, une xénophobie hautement revendiquée, où le nationalisme exacerbé aboutit au quolibet raciste et, finalement, à cette véritable profession de foi obscurantiste qu’est le texte – pierre de touche du futurisme plus mussolinien – où Marinetti entend soumettre au mot « Italie » ceux de génie, d’intelligence, de culture et de vérité, etc. »
Voilà pour le contexte historique, revenons à la cuisine dites futuriste « cette cuisine est donc bien, avant-gardiste en tant que, d’un point de vue culinaire, elle privilégie la transgression des usages alimentaires ; artistique en tant que, utilisée comme un véritable moyen d’expression, elle emprunte ses signifiants au domaine des arts (traditionnels ou potentiels) ; futuriste en tant que la signification des plats ‘inspire fréquemment des thèmes privilégiés du futurisme.
Mais est-elle mangeable ? »
« … l’esthétisation de la surface poussée au point où la dégustation devient quasiment symbolique ? Et enfin, dans ce qu’on a récemment appelé la « Nouvelle Cuisine », n’y avait-il pas aussi la même ostentation de la petite quantité, du « menu » ramené à sa primitive expression, l’assignation volontaire à la portion congrue ? »
« Il semblerait, par conséquent, que cette cuisine futuriste ait en quelque sorte préfiguré des usages ou des modes promis à un réel succès. Et pourtant ce fut un échec : elle n’est pas restée dans les annales de la gastronomie. »
Revenons à la question titre: l’artification de la gastronomie
« La réponse, on l’aura deviné, est ambiguë. Certes, toutes sortes de signes incitent à considérer que la gastronomie est devenue un art, qu’énumère Roberta Shapiro dans l’article qu’elle a consacré à la question : l’artification de la gastronomie.
« En 1998, le magazine spécialisé Beaux-Arts, qui traite de peinture, de sculpture et d’objets précieux, avait inauguré une rubrique « gastronomie ». Le magazine Art Press consacre un numéro spécial à la gastronomie en 2008. En 2007 le magazine M du journal Le Monde avait titré « Cuisine d’auteur » à propos du chef Jean-François Piège. Plus tôt, la même année, avait paru dans Le Monde un long article illustré de photographies à l’esthétique soignée intitulé « De la cuisine au musée ». Sous ce titre impropre, puisqu’il s’agissait non pas de musée mais d’une importante exposition internationale d’art contemporain, le rédacteur célébrait la programmation du chef catalan Ferran Adrià à la Documenta de Kassel, en Allemagne. Mieux : en traçant des parallèles entre les productions du chef et celles des peintres Malévitch, Rothko, Tàpiès, César et Hirst, il veut le faire entrer dans l’histoire de l’art. L’année suivante, c’est un autre rédacteur du Monde qui qualifie les chefs d’ « artistes ». En 2017, lors d’un débat public organisé par le quotidien, Pascal Barbot, chef triplement étoilé et copropriétaire du restaurant du restaurant L’Astrance, évoque longuement des « collections » de carottes et d’agrumes. Il est décrit comme un cuisinier novateur et un artiste. »
« Mais quelques exceptions ne font pas une règle, et la spectacularisation de la pratique gastronomique, assortie de la starisation d’un petit nombre de chefs, ne suffit pas à imposer une représentation consensuelle de la cuisine comme étant un art à part entière, jouant dans la même catégorie que la peinture et la sculpture, la littérature ou la musique. »
Tous les propos entre guillemets sont de Nathalie Heinich ICI traductrice de La Cuisine Futuriste F.T. Marinetti&Fillia