En septembre 2017, LSA, la publication de la GD, annonçait la nouvelle :
Le viticulteur bordelais Bernard Magrez, star des foires aux vins dans la plupart des enseignes mais également mécène de la Cité du Vin, du monde de la musique, de la recherche médicale, notamment dans la lutte contre le cancer, et d'un orphelinat en Thaïlande, crée son prix littéraire. Un prix présidé par Franz-Olivier Giesbert qui récompensera un auteur pour l’ensemble de son œuvre.
« Bernard Magrez, mécène littéraire. Voici qui est nouveau pour le propriétaire d’une quarantaine de domaines viticoles dont quatre grands crus - Château pape Clément, Château La tout Carnet, Château Fombrauge ainsi que le sauternes Château Haut-Peyraguey –. L'homme d'affaires vient en effet d’annoncer la création du Prix littéraire Château La Tour Carnet. Edifié en 1120, ce château médocain est celui qui, sans nul doute, se prête le mieux à un mécénat littéraire puisqu’il a appartenu à la famille de l’essayiste et philosophe Michel de Montaigne.
Allons donc, Bernard Magrez viticulteur, l’homme qui a ses débuts avec ses marques de whisky William Peel, et de Porto Pitters était snobé par l’establishment de la place de Bordeaux, n’a jamais comme notre cher Hubert de Boüard de Laforest exhibé un quelconque petit sécateur. Il a fait fortune, pas en vendant du jaja Sidi Brahim et son Bordeaux Malesan mais avec la GD.
« Un vin, c’est le ciel, la terre et l’homme. » Et peu lui importe que l’élite des grands crus bordelais le snobe. Lui n’est pas un héritier. Amoureux des concertos de Mozart, il réinvente sa signature : « Bernard Magrez, compositeur de vins rares, les clés de l’excellence », en référence aux armoiries du Pape Clément. Non, la modestie n’est pas sa caractéristique première.
Au tournant des années 2000, barre toute il vend ses marques de jaja à Pierre Castel et les spiritueux à Marie Brizard en 2003 et se lance dans l’acquisition de châteaux pour les adjoindre à Pape Clément son vaisseau-amiral. « La connaissance des vins devenait un statut pour le consommateur et s’y connaître flattait l’ego », déclare-t-il. A ses yeux, le temps est venu de céder ses diverses affaires et de se consacrer à l’élite des vignobles : les domaines classés.
« Ma plus grande fierté reste la reprise en 2000 de Château La Tour Carnet, un grand cru classé du Médoc. Un vignoble qui fut difficile à remonter. J’ai dû investir dans l’équipement technique et le château lui-même, un édifice très ancien », poursuit-il, unique propriétaire de ce domaine de 116 hectares valant désormais 150 à 200 millions d’euros.
Portrait en patchwork
Avec toujours ce même devoir d’excellence. Un mot qui claque comme un acte de rébellion : son père ne lui a jamais reconnu le moindre talent. Il avait même accroché au dos de son fils, ce cancre de 11 ans, l’écriteau : « Je suis un fainéant ». « Trois ou quatre fois par an, affublé de cette pancarte en papier, je rasais les murs pour aller à l’école, fou d’humiliation », se souvient l’homme, encore en colère. « Fainéant… je ne sais toujours pas si je l’étais ou si c’était une fixation de mon père sur moi. »
Son analyse s’arrête là. Le divan, ce n’est pas son époque. Le père est mort avant l’ascension du fils dans un business qui vaut aujourd’hui 700 millions d’euros. Dommage. Cette blessure, il la garde en lui. Indélébile, profonde, inquiétante, nourrie par les sentiments d’injustice et de trahison, et celui de ne pas avoir été compris. Par le doute qui taraude, aussi. L’écriteau infamant est marqué au fer rouge dans son cœur d’enfant, sur sa peau d’homme mûr. Bernard Magrez ne pardonnera jamais. Mais il a pris le contre-pied. Au fil des ans, la faille s’est muée en un puissant moteur, laissant parfois ses salariés à bout de souffle.
Car il faut le suivre, Bernard Magrez. Avec son âme tourmentée, son énergie décuplée, son exigence parfois irrationnelle, son flair hors pair, il malmène son monde pour en tirer le meilleur. C’est sa philosophie : « Tous croient que notre plafond est là, explique-t-il à grand renfort de gestes, avec son accent du Sud-Ouest, l’œil brillant. Moi, le premier. Mais c’est faux ! Mon devoir est d’amener mes collaborateurs au sommet de leurs capacités. Les gens sont plus respectés par leur famille, ils épatent leurs amis par leur évolution, leur personnalité et l’élan qui les porte. Ainsi ils se réalisent pleinement. » S’ils ne tiennent pas le choc, tant pis. Bernard Magrez s’en sépare sans ciller ; il n’a pas une minute à perdre. Et de citer ce garçon boucher, ex-collaborateur, devenu brillant chef d’entreprise, grâce à lui.
Il ne s’économise jamais pour promouvoir sa marque. Son assistante confie : « Monsieur Magrez est un adepte des réseaux sociaux et manie Instagram, Facebook et Twitter avec une facilité déconcertante. Toujours connecté, il est dans une adaptation constante. Chaque jour, il lit “Les Echos”, “Le Figaro” et “Le Monde”. » Quand il ne se replonge pas, la nuit, dans une biographie de Napoléon Ier, son modèle. Grâce à son esprit visionnaire, Bernard Magrez a assuré la pérennité de l’entreprise.
Magrez ne dort que trois heures « car la nuit est propice au jaillissement des idées ». Son équipe a adopté sa devise : « Ne jamais renoncer ». Ce n’est pas suffisant. Pour tenir, la plupart se sont mis au sport. Discipline et hygiène de vie obligatoires pour cette armée d’environ 300 personnes, qui mène les combats du stratège sans faiblir.
J’ai des relations mais pas d’amis, car je ne suis pas facile à vivre. Et puis, qu’est-ce que l’amitié ? » demande-t-il. Si. Depardieu est un ami. Aussi iconoclaste que lui. Il a une photo de lui sur son bureau. Magrez lui a racheté sa vigne quand l’acteur est parti en Russie. Avec une rare douceur, il évoque leur relation : « C’est un homme en qui j’ai trouvé des qualités exceptionnelles. Gérard a une grande facilité à appréhender votre humeur du moment, sensible, il vous dit le mot qu’il faut, avec l’attention, le regard et le ton qu’il faut. Si Gérard est un si grand acteur, c’est parce qu’il comprend immédiatement la situation mentale de l’autre. »
« Je n’ai de comptes à rendre à personne. Mais j’ai eu beaucoup de chance. C’est un devoir d’en donner à mon tour à ceux qui le méritent. Je tente de lutter contre ce destin inacceptable : on ne choisit pas d’avoir un cancer ou d’être abandonné ! »
Le portrait en totalité ICI
A vrai dire, Bernard Magrez est un collectionneur, mais d’œuvres d’art plutôt contemporaines ou photographiques. Sa rencontre avec Bernard Buffet, à qui il a acheté une trentaine de toiles, a sans doute donné le la à cette autre partie de sa vie. De cette proximité avec les artistes est née l’idée de créer l’Institut culturel Bernard Magrez, une fondation qui promeut la connaissance artistique et prend sous son aile des artistes prometteurs.
« J’ai voulu, à mon tour, donner une chance à de jeunes talents, qu’ils soient peintres, sculpteurs, cinéastes ou musiciens », explique-t-il. A la façon de la Villa Médicis, l’Hôtel classé Labottière, propriété du groupe Bernard Magrez Grands Vignobles, héberge les jeunes artistes dans des résidences-ateliers. Dans ces mêmes lieux, l’Institut vient d’ouvrir les portes d’une exposition d’œuvres, entre autres de Picasso et de Giacometti.
Pour autant, les vins Bernard Magrez jouent sur ce positionnement artistique et culturel. La marque s’attribue les vertus d’un « compositeur de vins rares ». La signature de Bernard Magrez s’appose au dos de chaque bouteille comme le sceau d’un connaisseur. Business is business.
J’ai bien connu et côtoyé Bernard Magrez au temps de mon rapport. J’avais son 06.
Le 5 octobre 2009
Bernard Magrez répond au questionnaire de Proust ICI
Étonnant !
Au risque de vous surprendre Bernard Magrez, sous sa carapace parfois rugueuse d’homme qui s’est fait tout seul, est un grand affectif. Cette sensibilité, bien nichée sous une belle prestance, il la préserve avec un soin jaloux de la suffisance des beaux esprits à la française, des héritiers, de tout ceux qui n’ont rien construit. Lui il fait, car c’est aussi un vrai instinctif qui pressent, qui sait être le premier au bon endroit au bon moment, analyse vite, hume la tendance, sait comme son modèle François Dalle, l’homme qui a fait l’Oréal, que « le lendemain cela se construit hier, et cela se construit le matin à 8 heures aussi » Comme il va toujours de l’avant, qu’il a toujours une faim primale, qu’il ne remet jamais au lendemain ce qu’il veut faire aujourd’hui, l’homme est exigeant, passionné, dur souvent – c’est lui qui le dit – avec son fils et sa fille, ses collaborateurs.
Dans mon petit bureau du 2ième, au 232 rue de Rivoli, Bernard Magrez est venu s’asseoir. Il sort de chez Michel Pons. Nous sommes en 2001, mon rapport fait grand bruit à Bordeaux, les grands chefs m’habillent pour l’hiver, je suis celui par qui le scandale arrive. Ce n’est pas pour déplaire à Bernard Magrez qui n’aime rien tant que bousculer l’establishment. Lui si avare de compliments me dit « que j’ai tout compris. » Moi je sais bien que le petit rapporteur que je suis n’a fait que mettre sous le nez des immobilistes patentés un simple instantané de nos forces et nos faiblesses face aux entreprises du Nouveau Monde. Lui qui, sur le socle de William Pitters, a su faire voisiner des marques comme Sidi Brahim, Malesan, avec Pape Clément, démontrant ainsi qu’en France tout pouvait être possible si l’on respecte le produit et ceux qui le consomment, l’avait compris depuis fort longtemps. À juste raison il doutait, et de la volonté des décideurs publics de pousser à des choix courageux, et de la capacité des dirigeants professionnels de sortir du déni de réalité.
Depuis Bernard Magrez a pris un grand virage, sa quête est celle des terroirs d’exception où il applique son perfectionnisme « pour moi on ne fait jamais assez bien ». Il veut ainsi répondre par une offre diversifiée à l’éclectisme de l’amateur de vin. L’étonner aussi. Depuis toujours Bernard Magrez considère le vin comme un objet de satisfaction et de statut. Il assume sans complexe tous les codes de l’univers du luxe. Pour autant, lui qui considère Michel Rolland comme un génie, le seul avec Parker à avoir à ses yeux un goût infaillible, considère que « le génie du vin c’est le terroir ». Moi j’aime les gens qui dérangent, qui ont des angles, et j’avoue que, même si bien des choses nous séparent, j’ai de l’affection pour Bernard Magrez.
Le jury du Grand Prix littéraire Château La Tour Carnet a distingué, jeudi 3 octobre 2019, Mario Vargas Llosa pour l'ensemble de son œuvre. Il a déjà couronné Milan Kundera et Michel Houellebecq
Le suspense a fait long feu. Michel Houellebecq accompagné de sa femme Lysis était là, au vu de tous, au milieu du restaurant Zebra, dans le XVIe arrondissement, qui accueillait la deuxième édition du Grand Prix littéraire Château La Tour Carnet, mercredi 10 octobre, à 19 heures.
Michel Houellebecq est couronné pour son œuvre annonce Franz-Olivier Giesbert, secrétaire général du prix. Et d'ajouter: «C'est le Balzac du XXIe siècle. On le lit pour comprendre notre époque.» Visiblement les jurés étaient fous de joie à l'idée de lui remettre cette récompense. Ils avaient déjà pensé à lui l'an passé.
Patrick Poivre d'Arvor, président de cette édition 2018, rappelle qu'il avait reçu dans son émission littéraire l'écrivain pour son premier roman, Extension du domaine de la lutte, c'était en 1994. «Il m'avait touché», se souvient-il. PPDA affirme, en souriant, qu'après le prix Interallié et le Prix Goncourt, le Prix Bernard Magrez arrive comme une sorte d'apothéose. »
C'était ensuite autour du fondateur et mécène de prendre la parole, Bernard Magrez, propriétaire de grands crus internationaux. Il a affirmé son amour pour la littérature et son désir, après avoir fondé un grand groupe, de soutenir l'art et la culture à travers sa fondation. Il n'en a rien dit ce mercredi soir, mais on sait que Bernard Magrez est le mécène de la cité du Vin, et qu'il soutient également le monde de la musique (deux jeunes violonistes ont joué lors de la remise du prix), de la recherche médicale, notamment dans la lutte contre le cancer, et qu'il s'occupe d'un orphelinat de quatre-vingt-dix enfants en Thaïlande.
Pourquoi le Prix Château La Tour Carnet?
Parce que parmi tous les domaines que possède Bernard Magrez, sans doute ce Château est-il le plus littéraire. Édifié en 1120, le domaine du Médoc a appartenu à la famille de Montaigne, rappelle le propriétaire. On pense que son ami La Boétie y aurait écrit une partie de son chef-d'œuvre Discours de la servitude volontaire.
Enfin, Bernard Magrez a remis la récompense. On était dans le hors norme tant la dotation fut extraordinaire: 4 volumes de Scènes de la vie privée dans leur édition d'origine dédicacée par le grand maître Balzac
Et le lauréat?
Il était visiblement aux anges, tout souriant. «Je me suis marié il n'y a pas longtemps, dit-il debout près de sa femme. C'est difficile de penser à un cadeau de mariage, mais là vous avez été très loin. Je vous remercie infiniment. Moi qui aime le livre et le vin, je suis comblé…»
Le jury du Grand Prix littéraire Château La Tour Carnet a distingué, jeudi 3 octobre 2019, Mario Vargas Llosa pour l'ensemble de son œuvre.
L'écrivain recevra également une édition originale d'un exemplaire de Madame Bovary, datant de 1867, comportant un envoi autographe signé de Gustave Flaubert à Alfred Guérard.
Présidé cette année par Alexis Brezet, le jury est composé de Franz-Olivier Giesbert, secrétaire général, Dominique Bona, Isabelle Bunisset, Françoise Chandernagor, Jean Clair, Teresa Cremisi, Xavier Darcos, Jean-Paul Enthoven, Anne Fulda, Yves Harté, Sébastien Le Fol, Marie-Dominique Lelièvre et Etienne de Montety.
A 83 ans, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, est une légende de la littérature. Auteur d’une vingtaine de romans, pour la plupart traduits chez Gallimard, il a obtenu le prix Nobel de littérature en 2010. On lui doit notamment La Ville et les chiens (1966), Conversation à « La Cathédrale » (1973), La Tante Julia et le scribouillard (1980, Prix du meilleur livre étranger), La Fête au bouc (2002). Il est un des rares écrivains publié de son vivant dans « La Pléiade ».
Un temps proche du communisme, devenu libéral, voire néoconservateur, Mario Vargas Llosa est sèchement battu en 1990 au second tour de l’élection présidentielle péruvienne. Il quitte alors le Pérou pour s’établir à Madrid, obtenant la nationalité espagnole en 1993.
Son dernier roman, Tiempos recios (« temps difficiles », Alfaguara, 2019, non traduit en français), a pour sujet le coup d’Etat au Guatemala en 1954, tout en résonnant avec les tumultes du continent sud-américain, son grand sujet.
L’écrivain a reçu, en octobre 2019, à Paris, le prix Château La Tour Carnet, du nom d’un grand cru du Médoc et doté de 20 000 euros. Il lui a été remis par Bernard Magrez, propriétaire de ce domaine et de plusieurs autres châteaux bordelais. Nous l’avions rencontré à cette occasion dans un grand hôtel de la capitale.
Le vin a-t-il sa place à votre table ?
C’est la seule chose que je boive en dehors de l’eau, et uniquement du rouge. Je ne consomme pas d’alcool fort. Mais je déguste seulement le soir, pas au déjeuner, sinon je suis paralysé et je ne peux pas travailler. J’apprécie beaucoup le vin, essentiellement français et espagnol. Un jour, un médecin m’a recommandé d’arrêter l’alcool pendant un mois. Je lui ai avoué que je ne buvais que du vin. Cela l’a rassuré, et il m’a dit que ce n’était pas de l’alcool ! Je lui ai alors demandé ce qu’était le vin. Il m’a répondu : « C’est la civilisation. »
« C’est en France, dans le Paris des années 1960, que j’ai appris à boire »
La civilisation ! C’est formidable, non ? Et, comme lui, je crois que la civilisation et le vin sont inséparables. Les pays où l’on boit du vin ont développé une culture riche, diverse, et la littérature s’y est déployée de manière très importante, comme en France, en Italie, en Espagne.
En Amérique du Sud, on trouve de bons vins, non ?
En Argentine et au Chili oui, c’est une tradition importante dans ces pays. Quant au Pérou, c’est curieux, pendant les années coloniales espagnoles, le pays possédait un vignoble important, mais la viticulture a disparu avec l’arrivée de l’indépendance. Il reste encore quelques vins, mais pas d’une aussi belle qualité qu’en Argentine ou au Chili.
Le vin et la politique sont-ils liés ?
Le vin est social. Il est lié au repas, à la conversation. On ne peut pas boire un verre de vin tout seul, à la différence d’un whisky ou d’un autre alcool fort, n’est-ce pas ? Le vin encourage l’amitié, la sociabilité. C’est sa spécificité.
Vous souvenez-vous de votre premier verre de vin ?
Je m’en souviens très bien, oui, car c’était lors de mon premier mariage. J’avais 18 ou 19 ans, et, avec ma future épouse, c’était une espèce de folie. Nous cherchions un petit village pour nous marier, dans le sud du Pérou. Finalement, on a trouvé un maire qui était pêcheur. Il n’avait pas de chaussures, il était très pauvre. Avant de commencer la cérémonie, il nous a demandé où était le vin. Il n’y en avait pas. Nous n’y avions pas pensé. Mais lui s’est entêté et il refusait de nous marier dans ces conditions… Alors, il est sorti de la mairie pour en acheter lui-même. Il est revenu avec une bouteille.
« On ne peut pas concevoir la richesse de la littérature occidentale sans le vin »
C’était la première fois que j’en buvais. C’était pour moi du vinaigre, sans que je sache si c’est moi qui n’aimais pas, ou si c’est le vin qui était mauvais. Sans doute un peu les deux. Toujours est-il que c’est ma première expérience dans un Pérou où on n’en buvait pas. A l’époque, c’était très rare. Aujourd’hui, c’est différent, la culture du vin s’est enracinée dans toute l’Amérique latine. Quand je me suis marié pour la seconde fois, j’étais habitué au goût du vin. La cérémonie a également eu lieu au Pérou, mais, cette fois, on a fait venir des vins français et italiens.
Quand avez-vous ensuite découvert la culture du vin ?
C’est en France, dans le Paris des années 1960, que j’ai appris à boire. Je buvais du bourgogne, qui était solide alors en bouche, et puis aussi ce que j’appelle du vin populaire, comme le beaujolais nouveau. Je me souviens de l’apparition du beaujolais nouveau, c’était vraiment quelque chose de différent, de festif, tout un événement. Une bonne chose dont j’ai hérité de mon père, que je n’aimais pourtant pas beaucoup, est une belle résistance à l’alcool, mais, attention, je ne bois pas tous les soirs.
Le vin a-t-il une place importante dans la vie littéraire ?
Oui, je crois, mais pas forcément dans mes livres. Vous ne pouvez pas penser à Baudelaire sans penser au vin et comment il enrichit son imagination. Plus largement, on ne peut pas concevoir la richesse de la littérature occidentale sans le vin. La poésie espagnole en témoigne.
Le religieux castillan Gonzalo de Berceo, qui est le plus vieux poète de langue espagnole que l’on connaisse, au XIIIe siècle, a fait l’apologie du vin dans ses poèmes. On le connaît surtout par ce vers très célèbre, « un vaso de buen vino », et il faut mentionner l’ensemble des mots, car le contexte est intéressant. Berceo écrit : « Je veux faire un récit en langue espagnole, dans laquelle le peuple a l’habitude de parler à son voisin, car je ne suis pas assez lettré pour employer le latin. Cela vaudra bien, je crois, un verre de bon vin. »
Il parle si magnifiquement bien des vignes de la Rioja qu’il existe aujourd’hui un vin de cette région qui porte son nom. Et puis, il montre déjà que, comme une langue, le vin relie les hommes. Il a aussi conscience de la hiérarchie des vins, puisqu’il parle d’un « bon » vin et pas du vin en général.
Avez-vous votre propre panthéon du vin ?
Je n’ai pas d’autorité suffisante pour me risquer à une telle hiérarchie. Je ne suis pas un spécialiste, donc je n’oserai pas. J’aime cette idée de « bon vin ». Puisque je vis en Espagne désormais, les vins espagnols sont ceux que je connais le mieux. Il s’agit souvent de vins populaires, qui sont généralement très bons. Je les apprécie beaucoup, parce qu’ils ne sont pas toxiques, non, et ils passent vite ! Ils sont d’une bonne compagnie pour le repas. Mais, si vous m’obligez à choisir, je dirais que mes vins préférés proviennent de la Rioja, une région où le vignoble est une tradition ancienne, doublée d’une belle diversité.
Avez-vous eu à Paris des amis qui vous ont servi de guides ?
Paris évoque beaucoup de souvenirs pour moi. Dans les années 1960, j’ai travaillé à la Maison de la radio, à l’époque de l’ORTF. Au début, quand on touchait les murs, on recevait des décharges électriques ! Je suis devenu ami avec l’écrivain et journaliste Jean-François Revel, qui aimait beaucoup le vin, et qui a écrit magnifiquement sur le sujet.
J’admirais aussi ce qu’il écrivait sur l’Amérique latine, qu’il connaissait profondément du point de vue politique et social. Il avait vécu au Mexique. Je me souviens de son essai formidable sur l’Argentine, son histoire tragique et riche, et dont la société se trompait systématiquement dans ses choix politiques – on le voit encore avec la catastrophe que vit le pays aujourd’hui.
Quels intellectuels avez-vous rencontrés alors à Paris ?
Dans les années 1960, les intellectuels étaient très à gauche. Moi aussi, il faut le dire. Mais mon gauchisme avait beaucoup de défaillances. Par exemple, j’achetais discrètement une fois par semaine Le Figaro pour lire les articles de Raymond Aron, qui était très intelligent tout en écrivant contre tout ce que je croyais à l’époque. J’admirais aussi André Malraux, qui était un très grand orateur, mais était détesté par la gauche. C’était une époque passionnante où d’immenses écrivains étaient encore vivants : Sartre, Camus, Malraux.
« J’aime le vin comme fidèle compagnon d’un bon repas. Il enrichit la conversation et l’amitié, il permet de nous sortir de nous-mêmes »
Grâce au directeur d’une revue qui m’avait remis un prix littéraire, j’ai rencontré Camus dans un théâtre parisien, sur les grands boulevards, un midi, alors qu’il travaillait à la représentation d’une de ses pièces. Il était comme sur les photos, avec son éternel imperméable, et il était surtout accompagné de [l’actrice de cinéma et de théâtre espagnole] Maria Casarès, qui était alors sa maîtresse. Je lui ai parlé dans mon mauvais français et il m’a répondu en espagnol.
Ce n’est qu’après que j’ai découvert que sa mère était espagnole. Je lui ai donné une petite revue que nous publiions à Lima. Ah ! La jeunesse ne doute de rien ! Je ne me rendais pas compte. Mais j’avais beaucoup d’admiration. Par la suite, j’ai suivi ses évolutions politiques. Je me souviens même d’un entretien de lui dans Le Monde par Madeleine Chapsal : ça a été ma grande déception, car Camus y disait que les écrivains africains devaient abandonner la littérature pour faire, d’abord, la révolution. C’était une trahison, car, pour moi, la littérature pouvait changer l’histoire.
A l’époque, j’étais politiquement plus proche de Sartre que de Camus. Mais, ensuite, c’est Camus qui a gagné, avec cette idée qu’on ne peut pas séparer la morale de la politique, et donc qu’il ne faut pas tomber dans la violence – c’est une idée très valable encore, je crois. Quant à Sartre, je l’ai rencontré à la Mutualité, lorsqu’il s’est rallié à la cause des prisonniers politiques au Pérou. Simone de Beauvoir était là aussi. Pour revenir au vin, le beaujolais en tant que vin nouveau avait sa place dans cette ambiance.
Avez-vous une cave ?
Non. Pour moi, le vin n’est pas assez essentiel pour que j’aille jusqu’à me constituer une cave. Je dois ajouter que mon épouse ne boit pas du tout. Mais j’insiste, j’aime beaucoup le vin comme fidèle compagnon d’un bon repas. Il enrichit la conversation et l’amitié, il permet de nous sortir de nous-mêmes. Pour finir, je sais bien que, en Espagne et au Pérou, on boit beaucoup, mais je ne suis ni l’Espagne ni le Pérou !
Laure Gasparotto