Loïc Monjour Ancien professeur de médecine tropicale à la Pitié-Salpêtrière Paris dans une tribune du 13 février 2020 ICI
L’hygiène des mains est une mesure très efficace et peu coûteuse pour éliminer les germes, microbes et virus, les empêcher de disséminer les infections, et, par voie de conséquence, diminuer le recours aux antibiotiques devenant, peu à peu, inactifs. Les mains sont un monde peu connu, peuplé de millions de germes : les uns résident en permanence sur la peau et forment une barrière de protection contre les infections ; les autres, étrangers, dits « transitoires », sont récupérés dans l’environnement et peuvent se révéler pathogènes à tout moment.
Environ 80 % de ces micro-organismes se transmettent par les mains.
Chiffre plus inquiétant : 92 % des mobiles sont tapissés de bactéries et sur 16 % sont identifiés des bactéries fécales…
Certains germes peuvent survivre pendant soixante minutes : ils ont donc bien le temps de se préparer à commettre des infections, selon leur envie et leur spécificité. D’autant que chaque humain porte les mains à la bouche au moins deux fois par heure. Naissent ainsi grippes, rhumes, bronchites, surtout gastro-entérites, car le lavage insuffisant des mains est à l’origine de plus de 50 % des infections d’origine alimentaire.
Sur 63 nations, la France se trouve en 50e position en ce qui concerne l’hygiène des mains
L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) concluait en 2012 que seulement
- 67 % des Français se lavent les mains avant de cuisiner,
- 60 % avant de manger et à peine 31 % après un voyage en transport en commun.
- Dans les toilettes publiques 14,6 % des hommes et 7,1 % des femmes négligent ce geste de propreté élémentaire.
Nous sommes en 1924 ; Louis Ferdinand Destouches, qui deviendra l’écrivain Louis Ferdinand Céline, vient de soutenir sa thèse de médecine. Le sujet en est : « La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis (1818–1865) ».
Semmelweis avait été rejeté par ses pairs alors qu’il avait mis en évidence une cause essentielle des infections puerpérales de l’époque, souvent mortelles, et le moyen de les éviter.
Destouches propose à La Presse Médicale, cette même année, une version synthétique de cette thèse intitulée : « Les derniers jours de Semmelweis » [1]
Soutenu comme thèse de médecine de la Faculté de Paris, La Vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis (1818-1865) du Dr. Louis Destouches est publié à compte d’auteur en décembre 1924 à Rennes, mais nullement diffusé hors du cercle académique.(3) Le sujet de cette thèse aurait été inspiré par le professeur Athanase Follet, beau-père de Destouches et lui-même membre du jury : il s’agissait de récapituler le parcours scientifique du médecin hongrois, promoteur malheureux de l’asepsie. Semmelweis eut en effet l’intuition des causes microbiennes de la fièvre puerpérale, mortelle jusqu’à la révolution pasteurienne, mais il ne put faire reconnaître la pertinence de son travail de son vivant et mourut prématurément, dans une grande détresse. L’ouvrage de Destouches fait l’objet d’une contraction à l’usage des pairs, « Les derniers jours de Semmelweis », dans La Presse médicale. L’auteur le propose en juillet 1928 aux éditions de la NRF qui le refusent. Le 28 décembre 1936, Denoël l’édite à peine retouché, sous le titre abrégé de La Vie et l’œuvre de Semmelweis, à la suite de Mea culpa. Publié cette fois sous le nom de Louis-Ferdinand Céline, annexé et désormais intégré à l’œuvre littéraire déjà reconnue, cet essai biographique renforce la posture que Céline a imposée dès 1932 au public, celle du médecin-qui-écrit. Réédité en 1952 par Gallimard dans la collection blanche sous le titre encore abrégé de Semmelweis (1818-1865), il fait désormais pleinement partie de l’œuvre littéraire et se voit donc inclus dans les Œuvres préparées par Jean A. Ducourneau en 1966.(4) En 1977, le troisième volume des « Cahiers Céline » en redonne le texte et le titre original à l’usage des spécialistes, avec une annotation d’Henri Godard et Jean-Pierre Dauphin. Enfin, le texte annoté de cette édition accède en 1999 à la collection de poche « L’Imaginaire », sous le titre désormais dépouillé de Semmelweis, avec une préface de l’écrivain Philippe Sollers. Rachetant soixante-dix ans plus tard le refus initial des éditions de la NRF, celui-ci relit sur un mode littéraire « cette drôle de “ Thèse ” dans le style épique » comme l’acte de naissance d’un écrivain (Jean A. Ducourneau ne disait pas autre chose en 1966). (5)
Toute sa vie, Céline a pratiqué la médecine, sous différentes formes : successivement médecin hygiéniste à la fondation Rockefeller puis à la SDN de Genève, médecin de dispensaire, puis installé en médecine libérale. Il a repris une activité médicale après son incarcération pour collaboration après la deuxième guerre mondiale. Il s’est toujours revendiqué médecin autant qu’écrivain. Les observations qu’il a pu faire au cours de son exercice médical lui ont servi pour les descriptions littéraires des maladies, en particulier dans « voyage au bout de la nuit »
Le nom d’Ignace Philippe Semmelweis, né à Budapest en 1816, est peu connu. Pourtant, depuis deux siècles, la plupart des femmes à travers le monde, de toutes conditions sociales, bénéficient de sa perspicacité et de ses travaux… Ce génie médical a aboli la tragédie des fièvres puerpérales (après l’accouchement) dans son service de la maternité de Vienne et découvert l’importance de l’asepsie avant le grand Pasteur.
Ses étudiants en médecine pratiquaient des autopsies avant de se rendre à la maternité pour effectuer des examens de femmes en travail ou procéder à des accouchements. La mortalité des parturientes était considérable, et Semmelweis, après une véritable enquête épidémiologique, imposa aux étudiants de se laver les mains avant toute intervention obstétricale, non pas avec du savon, mais avec une solution de chlorure de chaux, une initiative inconnue à l’époque.