Je ne suis pas cinéphile, j’aime le cinéma, en salle, même si je n’y vais plus guère, et la nuit sur mon écran plat.
Adolescent j’écoutais sur mon transistor le Masque et la Plume le dimanche soir
17 novembre 2006
Le Masque et la Plume
L'oreille collée au transistor, dans ma jeunesse, le dimanche soir, dans mon lit, j'écoutais le Masque et la Plume animé par Michel Polac puis François-Régis Bastide. Les joutes entre Jean-Louis Bory de l'Obs et Georges Charensol de France-Soir, me fascinaient. ICI
Le Palace de Beaumont-sur-Oise, qui apparaît dans le générique de l'émission La Dernière Séance
Ma culture cinématographique s’est enrichie grâce à Claude-Jean Philippe avec le Ciné-club, le vendredi soir sur Antenne 2 puis France 2, de 1971 à 1994, soit environ 1 000 films qu'il introduit, pendant une quinzaine d'années, à la fin de l'émission Apostrophes de Bernard Pivot et à Eddy Mitchell avec La Dernière Séance essentiellement consacrée aux classiques du cinéma américain Coproduite et réalisée par Gérard Jourd'hui, Patrick Brion assurant la partie éditoriale, elle tire son titre de la chanson homonyme d'Eddy Mitchell1, parue sur son album La Dernière Séance. La première diffusion eut lieu le 19 janvier 1982 sur FR3 (qui deviendra par la suite France 3). La chaîne décida de retirer le programme de sa grille après une dernière émission le 28 décembre 1998.
Donc, l’autre soir, je pianote sur la télécommande et je tombe sur l’annonce du Dernier tournant de Pierre Chenal sur Ciné Classic, en version restaurée.
J’apprends que c’est la première adaptation du célèbre roman noir de James Cain, Le facteur sonne toujours deux fois (The postman always ring twice, 1934) sa traduction, publiée quelques mois plus tard chez Gallimard, qui sera ensuite adapté par Visconti (Les amants diaboliques, 1943), Tay Garnett (Le facteur sonne toujours deux fois, 1946), Bob Rafelson (Le facteur sonne toujours deux fois, 1981) et Christian Petzold (Jerichow, 2009).
Je me dis bonne pioche d’autant plus que des cinéphiles affirment ICI
La moins connue des quatre, c'est pourtant peut-être la meilleure. L'érotisme du film doit beaucoup aux dix-neuf ans de Corinne Luchaire. Cora Marino a accepté son mari pour échapper à la misère :
- ...Mais maintenant il m'appelle sa petite colombe. Est-ce que j'ai l'air d'une petite colombe Frank ?.
- Tu m'as plutôt l'air d'être une belle garce, oui tien.
- Toi tu es propre, tu n'es pas graisseux. Tu sais ce que cela veut dire Frank ? Sans doute non. Ce n'est pas possible. Un homme ne peut pas savoir ce que c'est pour une femme ; être tout le temps avec quelqu'un de gras, quelqu'un qui vous soulève le cœur dès qu'il vous touche. J'en peux plus.
- Une belle garce, oui. C'est pas possible, tu dois sortir de l'enfer toi, sans quoi tu ne me convaincrais pas comme ça.
Fernand Gravey trouve ici son meilleur rôle en interprétant Frank. Sans doute à cause de son physique, il était plutôt enclin à jouer les godelureaux ou les aristocrates ruinés, mais moins souvent les voyous et les marginaux. Ici il manifeste une vraie inquiétude, une fragilité.
Corinne Luchaire est grandiose. Il est du reste étonnant qu’elle ne tournât pas durant l’Occupation. Elle représente ici une détermination bornée qui frise l’hystérie sournoise, mais en même temps, elle accède à des sentiments amoureux et passionnés. Elle joue aussi bien la jalousie que l’alanguissement. Son physique curieux l’aide bien. Une mélancolie neurasthénique se dégage de son personnage.
Michel Simon dans le rôle du mari cocu, mais content, est sans doute le moins convaincant des membres de ce trio infernal. Il ne connait guère la sobriété dans le jeu. Mais enfin il tient bien sa place.
La prestation de Robert Le Vigan, grand délateur, antisémite notoire et pote avec l’infâme Céline, est un peu du même tonneau : beaucoup de cabotinage, un jeu très peu moderne qui sent son théâtre de province d'avant-guerre à un kilomètre.
Plus étonnant est sans doute Marcel Vallée dans le rôle du juge d’instruction qui harcèle Frank pour lui faire signer n’importe quoi avec la volonté confuse de perdre le couple en les jouant l’un contre l’autre. Il est excellent. L’action se passant en Provence, Charles Blavette fera un petit rôle de composition. On y verra aussi Marcel Duhamel dans le rôle du témoin pressé, c’est un peu une façon anticipé de rendre hommage au père de la Série noire qui n’existait pas encore. Et puis l’épouse de Pierre Chenal, Florence Marly au physique curieux – elle était d’origine tchèque, dans le rôle de Madge, l’étrange dompteuse de fauves, chasseuse émérite.
Bon, Télérama trouve Michel Simon, époustouflant, il fait du personnage du gentil mari trompé un être ambigu, qui a sans doute deviné ce qui se tramait dans son dos et l'adaptation de Pierre Chenal s'appuie avec bonheur sur les comédiens, tous plus ou moins à contre-emploi : Fernand Gravey était jusque-là plutôt spécialisé dans les comédies ; Corinne Luchaire s'approprie un rôle qui semblait destiné à Viviane Romance : elle est moins glamour, mais plus fatale.
Ce n’est pas du tout mon avis, j’ai trouvé ce film sans consistance, faussement esthétisant, sonnant le faux, bâclé à la fin, des images, rien que des images, ça ne fonctionne pas, ça ne tient pas la route.
Mais, pour la première fois, j’ai pu voir jouer Corinne Luchaire, « la fille de Jean Luchaire, personnage sulfureux, collaborateur notoire et sans scrupule qui profitait de tout ce que la collaboration pouvait lui offrir : l’argent les femmes, une position sociale avantageuse, en échange desquelles il régnait sur l’ensemble de la presse collaborationniste. Il sera fusillé en 1946. Sa fille connut aussi un destin tragique, mais pour bien d’autres raisons. Droguée, partouzarde, elle fut mariée plusieurs fois et mourut en 1950 de la tuberculose après avoir été condamnée à 10 ans d’indignité nationale pour ses relations sexuelles avec un officier autrichien avec qui elle aura un enfant. Elle n’avait même pas trente ans. Il ne semble pas qu’elle se soit intéressée plus que ça aux questions politiques. Elle avait connu la gloire dans Prison sans barreau de Léonide Moguy… »
Comme je suis un grand lecteur, et que ce qui touche à la Collaboration m’a toujours intéressé, j’ai acheté et lu le livre autobiographique de Corinne Luchaire Ma drôle de vie
À travers le regard sincère et souvent ingénu de Corinne Luchaire, ses confidences et ses souvenirs - notamment ses rencontres ou ses amitiés dans le monde de la politique (Otto Abetz, Curzio Malaparte, le ministre de Mussolini Pavolini, les Français de Sigmaringen, etc.) et du spectacle (Jean-Pierre Aumont, Danielle Darrieux, Fernand Gravey, Michel Simon, Charles Trénet, Ray Ventura, etc.), tous les événements dramatiques, mais aussi bouleversants et fascinants d'une époque qui ne cesse encore aujourd'hui de nous hanter.
Corinne Luchaire, a tourné jusqu'en 1940 dans une dizaine de films. On la comparait à Greta Garbo.
Ma drôle de vie raconte surtout ce qu'elle a vécu, auprès de son père, pendant l'Occupation, la fuite des collaborateurs vers Sigmaringen, son arrestation et sa maladie contractée en prison. L'ombre après la lumière.
On sent une grande sincérité dans ce récit autobiographique mais pas le moindre regret de ce que fut la vie dangereuse d'être intime avec l'Occupant.
Le Dernier Tournant, sorti en 1940, eut des malheurs : il fut interdit par l'occupant, Pierre Chenal étant juif, puis quasiment banni à la Libération ; Robert Le Vigan était accusé de collaboration, tandis que Corinne Luchaire était la fille d'un patron de presse fusillé pour ses amitiés nazies. Une double malédiction !