Hasard du calendrier, ce dimanche est ma Séquence du spectateur, avec les 100 ans du cinéma Katorza et la sortie, en version restaurée, du glaçant « Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock (1964) avec une pincée d’affaire Weinstein.
« Adaptation d’un roman de l’écrivain britannique Winston Graham, Pas de printemps pour Marnie (1964) était un projet qu’Alfred Hitchcock avait mis sur pied dans l’unique but de faire revenir Grace Kelly, alors princesse de Monaco, au cinéma. Impatient, le cinéaste annonce dans la presse que le film contiendra des scènes d’amour « passionnées et très inhabituelles ». La déclaration offusque les Monégasques, et la princesse est contrainte de décliner le projet. Marnie se fera avec l’ultime blonde hitchcockienne, Tippi Hedren, mannequin qu’Hitchcock a élevé au rang de célébrité dans Les Oiseaux (1963). A elle d’incarner ce personnage dément que le réalisateur présente comme « psychotique, kleptomane, effrayée par le sexe, et à la fin elle comprend pourquoi ».
Tippi Hedren dévoile dans son autobiographie Tippi, A Memoir, qu’Alfred Hitchcock, l'aurait agressée sexuellement dans les années soixante.
Elle y raconte notamment comment «Hitch» lui aurait demandé de «le toucher», ou comment il l'aurait forcée à l'embrasser à l'arrière de sa limousine. Un «moment atroce», se souvient la comédienne âgée à l'époque de 31 ans, qui avoue même l'existence d'une porte secrète reliant le bureau du cinéaste à sa loge sur le tournage de Pas de printemps pour Marnie. Hitchcock s'en serait servi pour «poser ses mains» par surprise sur elle...
Tippi Hedren, l’une des incarnations les plus parfaites de la mythique “blonde hitchcockienne”, dont l’apparence froide et impeccable est censée dissimuler l'insondable perversité qui émoustillait tant le réalisateur anglais éduqué chez les jésuites. L’intense névrose sexuelle d’Hitchcock déchaînant ses pulsions sadiques sur les femmes dans ses thrillers tordus explique en partie la force de son univers filmique. Son œuvre elle-même, indissociable de ses frustrations, a sans doute empêché ce prédateur sexuel potentiel de réellement passer à l’acte.
« Pas de printemps pour Marnie
L’histoire est improbable, autant que sa résolution : tout Marnie semble se déployer dans la psyché à vif d’un homme amoureux qui fomente une fantasmagorie pour expliquer pourquoi la femme qu’il aime lui échappe. Sur le tournage, Hitchcock fait subir un calvaire à son actrice et tente de détruire la grande carrière qui l’attend. Sur le territoire symbolique du film, Marnie est un chant d’amour pervers où l’héroïne se voit affublée des pires défauts, plongée dans un monde sans amour où les hommes qui la désirent ne peuvent que l’agresser – par leurs gestes, leurs mots, leur pouvoir. Si la métaphore du félin qu’il faut domestiquer est filée, Hitchcock saisit autant le désir d’emprise masculin que son échec. Marnie est détenue par Mark Rutland, joué par le sémillant Sean Connery, qui harcèle sa captive pour la soumettre à une analyse aussi sauvage qu’arrogante.
Jeu sadomasochiste
Jamais les rapports entre hommes et femmes n’ont été si violents, réduits à un jeu purement sadomasochiste. Avec le temps et l’âge, le cinéaste a délaissé l’élégant badinage amoureux pour un constat bien plus implacable : les êtres ne sont pas libres, mais agis par leurs pulsions, leurs perversions, leurs traumas d’enfance. Sous les apparences sophistiquées de la civilisation pulse l’animalité.
Reprise : du faux à l’effroi, l’amour selon Hitchcock avec « Pas de printemps pour Marnie »
par Murielle Joudet publié le 14 janvier 2020