Le REX le cinéma de mon enfance peint par Henri-Pierre Troussicot
À la Mothe-Achard y’avait un ciné, le REX, qui passait aussi bien des nanars que des films dignes de la cinémathèque. Les jeunes y venaient pour peloter les filles dans les rangs du fond ou sur le balcon.
20 décembre 2005
Une bouteille à la mer
L'autre soir à la veillée sur le plateau des Claparèdes j'ai revu sur Arte, en VF, Vingt mille lieues sous les mers avec James Mason en capitaine Nemo et Kirk Douglas en harponneur mauvaise tête qui pour se sortir du Nautilus, appeler à l'aide, ne trouve d'autre solution que de jeter des bouteilles à la mer; et bien sûr il réussit...
C'est du cinémascope, comme au REX de la Mothe-Achard où j'ai vu ce film pour la première fois.
À l’école d’agriculture de la Mothe-Achard, ND de la forêt, nous avions droit tous les mois à notre dose de Cinéma et Culture, un « 4 pages » sur le film, du sérieux, du lourd, un socle pour acquérir une excellente culture cinématographique.
Quand j’ai quitté mes culottes courtes, j’allais voir des films plus osés, au Modern sur le remblai des Sables-d’Olonne.
12 novembre 2006
Le clone de Giovanni Drogo
Tout près de la frontière, aux confins de mon univers connu, j'attendais le jour où la vraie vie commencerait. J'étais le clone de Giovanni Drogo, ce jeune ambitieux pour qui « tous ces jours qui lui avaient parus odieux, étaient désormais finis pour toujours et formaient des mois et des années qui jamais plus ne reviendraient... »
Aux yeux du clan des femmes je croissais, en âge et en sagesse, dans l'étroit périmètre de notre bocage cernée de hautes haies, alors que je ne poussais vraiment que dans l'obscurité du Rex et du Modern. Perfusé par les yeux verts et le nombril de Debra Paget dans le Tigre du Bengale et par les bas de soie glissant sur les cuisses diaphanes de Catherine Deneuve dans Belle de Jour, je me lignifiais en silence. Jour après jour j'accumulais la chlorophylle des belles étendues sur le papier glacé des magazines de mode de ma mère. Je thésaurisais de la beauté pour gagner les centimètres qui me placeraient au-dessus du commun. C'était le bonheur de jours passés à regarder filer les heures, hors des limites du réel, avec pour seule ligne d'horizon la belle destinée qu'allait m'offrir la vie, au plus haut, à l'étage des seigneurs. Quand parfois le doute m'effleurait - allais-je pouvoir m'extraire de ce monde contraint ? - je me parais des oripeaux d'Edmond Dantès, le trahi, le paria surgi de nulle part accomplissant son implacable vengeance ; les yeux topaze d'Yvonne Furneau m'irisaient...
Et puis, à 17 ans, Nantes m’ouvraient les bras
« Mes premières années d'Université furent insouciantes et légères. Loin de mes terres originelles, libéré de ses entraves, je papillonnais. Mes amours duraient le temps que durent les fleurs coupées. Moisson facile, il me suffisait de promener ma grande carcasse dans l'amphi 2 de la Fac de Droit pour cueillir, sur ce vaste parterre, les plus belles pousses de l'opulente bourgeoisie nantaise. Le premier rang, celui des beaux genoux pour ce vieux satyre de doyen Bouzat, celui du gros bouquin de droit pénal, exhalait les effluves lourds de parfums mythiques. Pure économie de cueillette, pour le seul plaisir de les sortir, de m'afficher à leur bras, de jouer le chevalier servant attentionné au bar Cintra de la place Graslin, de petit déjeuner au Molière, de les sentir s'abandonner sous mes effleurements dans le noir du Katorza. »
Oui le Katorza !
« C’est une institution de l’art et essai à Nantes, qui rejoint en 2020 le corps d’élite des cinémas centenaires. Le Katorza (du nom de son fondateur, Salomon K’torza, juif tunisien arrivé en France en 1877). Contemporain du cinématographe des frères Lumière, il fut d’abord cinéma ambulant à la foire de Nantes, où il s’installa en 1898. En se sédentarisant en 1920, il élit domicile au 3, rue Corneille pour ne plus en bouger. « Il est rare qu’un cinéma témoigne d’une telle continuité sur un siècle, tant en ce qui concerne le nom que le lieu et l’identité », explique Caroline Grimault, directrice de la salle depuis sept ans.
Salomon Kétorza vint la première fois à Nantes en 1898 | COLLECTION : STÉPHANE PAJOT
Scandée par les convulsions des époques qu’il a traversées et des films qu’il a vus naître, l’histoire du Katorza pourrait en effet tenir dans un roman russe. Après avoir été sauvé des mains des nazis et reconstruit après les bombardements qui ravagèrent la ville en 1943, le cinéma a dû renaître de ses cendres. Au moment de sa réouverture, en 1951, il est le seul détenteur de la technologie CinémaScope hors de Paris, donc le premier écran de province à proposer des films américains à grand spectacle comme les péplums et les westerns.
C’est dans Télérama ICI (c’est pour les abonnés si vous voulez l’intégralité il suffit de me le demander)
Buster Keaton au fronton du Katorza
Aujourd’hui, les coupures de presse et photos noir et blanc retracent sur ses murs les épisodes de sa mythologie, à la croisée de celle du septième art. Sur l’un des clichés Annie Noailles, directrice historique de 1931 à 1959, une passionnée avait marqué l’opinion en faisant circuler à Nantes, en pleine grève des transports, un tram aux couleurs d’Un tramway nommé Désir, d’Elia Kazan pour promouvoir sa sortie au Katorza.
Sur une autre photo s’étale en grand la figure d’Anouk Aimée, l’inoubliable Lola de Jacques Demy dont le souvenir hante encore les rues de Nantes.
Jean-Serge Pineau, qui en fut le directeur à la suite d’Annie Noailles, alors que de nombreuses salles de quartier faisaient faillite dans les années 60, foudroyées par la concurrence de la télévision, celui-ci a su organiser les moyens de la résistance. Il fit notamment de son mono écran l’un des premiers complexes multisalles de l’Ouest.
Cet ardent défenseur de l’expression artistique offrit également au cinéma ses moments les plus sulfureux. « C’est vrai que je faisais un peu ce que je voulais… » se souvient-il avec amusement, les yeux brillants derrière ses lunettes rondes. J’étais le seul à Nantes à passer La Religieuse, de Rivette. Et quand on a programmé Je vous salue Marie, de Godard, en 1983, il y avait des prêtres en soutane agenouillés devant le cinéma qui récitaient des rosaires. Ça a duré des jours ! »
Malgré la cote d’amour du cinéma auprès des Nantais, le Katorza a failli déposer les armes, au plus fort de la lutte entre les salles indépendantes et les multiplexes. En 1993, le Gaumont, situé à 200 mètres, passe de six à douze salles, et recentre son offre sur les films d’auteur et la version originale. Deux ans plus tard a lieu l’inauguration des multiplexes Pathé et UGC en périphérie, tandis que l’Apollo, le rival historique, inflige le coup de grâce en abaissant ses tarifs à 10 francs (l’équivalent de 1,50 euro). Face à l’effondrement des entrées, Jean-Serge Pineau cède le Katorza au groupe Soredic-Cinéville, spécialiste de l’exploitation privée.
Bref, le Katorza est toujours là, bon pied, bon œil à 100 ans, j’en suis heureux moi le nantais de cœur :
« Immature et cultivé, sur la route de l'ENA, j'observais avec un sentiment mêlé d'étonnement et d'intérêt, les premiers plissements, sous l'impact d'une poignée de trublions, du vieil habit universitaire, trop étroit, empesé par les mandarins, si poussiéreux qu'on avait le sentiment d'être confiné, enfermé dans un monde mort. Né dans l'eau bénite j'exécrais les chapelles et, comme le petit monde des enragés vivait en vase clos, avec des codes ésotériques, rabâchant la vulgate marxiste, pire encore, pour moi, les rares filles présentes dans leurs cercles cultivaient le dépenaillement et les cheveux gras, alors je me tenais à l'écart.
Dans le camp des officiels, les bourrins du PC et les fachos de la Corpo se foutaient sur la gueule, bourraient les urnes et nous inondaient de tracts lourdingues. Mes belles plantes, à de rares exceptions - les filles d'avocats et de pontes du CHU compagnons de route des rouges - m'attiraient en des salons où, même un socialiste - objet difficilement identifiable en ces temps par la faute de Guy Mollet - prenait des allures de buveur de sang des filles et des compagnes, de bouffeur de curé sournois capable de piquer l'argenterie. Dans ces lieux cossus j'affichais le détachement d'un dandy, courtois avec le petit personnel, caustique et arrogant en présence de monsieur le Procureur de la République. Les mères frissonnaient. Les pères haussaient le sourcil. Les filles en redemandaient. On me tolérait. Sous l'ennui apparent de la France vu par Viansson-Ponté la tempête se levait. »