Entre le dithyrambe de certains et les « je n’aimais pas ses vins mais… », j’ai choisi la citation ci-dessus. Lorsque la crise vint, celle du Beaujolais nouveau, donc du Beaujolais tout court, certains pointèrent du doigt celui qui vient de disparaître.
Il ne faut jamais réécrire l’Histoire, il suffit de la conter comme le faisait nos professeurs, en suivant sa chronologie.
Cet homme fut un inventeur de génie.
Au temps des lauriers voilà ce qui s’écrivait :
« Vin régional de joueurs de boules devenu un phénomène de marketing, le beaujolais primeur 90 exhale des arômes de framboise, de fraise, une once de myrtille, c’est un concentré de fruits et de bonbons anglais ; en bouche il est plus tendre, plus friand que le 89, il est dénué de cette lourdeur disgracieuse qui le fait pencher vers la puissance d’un bourgogne de pinot – ce qu’il ne sera jamais.
Inventé en 1954 par Louis Orizet et son disciple Georges Duboeuf, le beaujolais primeur, premier vin AOC de l’année viticole, est l’expression accomplie du gamay, ce raisin noir à jus blanc qui pousse partout – jusqu’en Australie – mais qui ne livre de pur beaujolais que sur les monts du Lyonnais riches de granit. Cela s’appelle l’imprescriptibilité du terroir. Sa marque. Son sceau. »
La parole est à papa Bréchard l’homme de la conquête, l’artisan le plus populaire du Beaujolais primeur:
« Mais revenons à nos feuillettes. Longtemps, nos vins ont pu se contenter de n’être que de bons petits vins faits pour la carafe et le café. Sensible au charme « écologique » eu barriquaillage qui lui donnait la promesse d’un vin authentique de vrai vigneron – en direct du producteur au consommateur – la clientèle, essentiellement locale, pardonnait la faiblesse ou la rusticité de ce beaujolais de bonne franquette. Par exemple je me souviens de vin livré dans la précipitation et qui démarrait sa « malo » au comptoir, cette malo dont on ne savait pas grand-chose alors, sinon qu’elle faisait un temps le vin revêche et amer, quasi imbuvable et que l’on appelait seconde fermentation. Eh bien, personne ne se fâchait, on supportait cet avatar provisoire avec constance, comme une maladie infantile, la rougeole ou la varicelle, dont le vin sortirait plus fort et meilleur qu’avant. Essayez donc maintenant d’écouler du beaujolais qui n’aurait pas fait sa malo !
Avec la mise en place progressive du négoce qui a considérablement élargi les zones de diffusion de nos vins, mais aussi gommé le folklore, la clientèle frustrée de barriquaillage pittoresque, a retrouvé le goût juste et sans indulgence, elle exigé du primeur mieux élaboré, plus étoffé. Bon gré mal gré le vignoble a suivi pour le plus grand bien de tous. Les vignerons décidés à faire du primeur, ou ceux qui n’avaient pas de meilleure alternative – je pense surtout aux miens, ceux du Sud – se sont appliqués. Ils ont démontrés, nonobstant les tentatives ultérieurs d’autres vignobles attirés par la poule aux œufs d’or, que l’association terroir beaujolais/gamay noir à jus blanc, donnait par vocation et quand on le voulait bien, le meilleur primeur rouge du monde, souvent imité, rarement égalé, jamais dépassé et croyez-moi, c’est pas de la réclame mensongère...
On fit tant et si bien que le primeur est, en quelque sorte, devenu une appellation officieuse dans l’appellation beaujolaise. Conséquence plaisante, Chiroubles, Brouilly, tous les crus ont pu dans l’esprit du consommateur, se démarquer du simple label beaujolais puisqu’ils ne font pas le vin en primeur, prendre leur essor, s’imposer comme beaujolais haut de gamme porte-drapeaux de l’appellation. Conséquence plus préoccupante pour les beaujolais et beaujolais-villages classiques, coincés entre la notoriété universelle des primeurs et des crus. Sans image de marque précise, pour eux la partie se compliquait, elle l’est toujours hélas, et de plus en plus au fur et à mesure que le primeur gagne des parts de marché. » [...]
Papa Bréchard, l’homme de la conquête, l’artisan le plus populaire du Beaujolais primeur dresse un tableau impressionnant : la suite ICI
Quelques citations :
« Il est plus difficile de réussir le beaujolais primeur que le vin du château Lafite-Rothschild, de Petrus ou de Cheval-Blanc », lance Georges Duboeuf
« Ici, dans le Mâconnais, et jusqu’aux Pierres Dorées, plus au sud, le paysan vivait au rythme des saisons. Jusqu’en 1960, l’hiver, il coupe le bois, l’été il coupe le blé, et en septembre les raisins. Le reste du temps, il s’occupe de son potager et de ses vaches qui s’engraissent dans les champs et sont payées cher par l’abattoir. Le vin ne saurait le passionner, il n’en vit pas, ou si peu. Ce sont les coopératives qui vont le sauver et les gens de l’INAO lui apprendre à respecter la vigne. »
« La médaille a son revers. Le beaujolais nouveau fonctionne comme une super-marque. Les vignerons élevés par Georges Duboeuf dans le goût du bon vin sont devenus exigeants, un rien prétentieux question porte-monnaie et compte en banque. Le prix du beaujolais a monté de 30% en deux millésimes ; pas mal, non ? Les paysans qui font les vendanges en Renault 25 ont des envies de nouveaux riches. Oublié le temps de la mouise, quand le père Ramonet, à Chassagne, n’avait pas de chaussures pour sarcler ses vignes ! »
- Le beaujolais c’est comme le champagne, ça n’a pas de prix, disent les parvenus du gamay, les crésus des règes dont les femmes ont abandonné le catalogue de la Redoute pour le dépliant Hermès.
Fureur de Duboeuf, qui les sermonne :
- Ah ! Les vignerons, vous avez la mémoire courte ! Priez le ciel que la vigne vous soit toujours clémente ! Vous n’êtes pas les dieux des ceps, vous êtes les serviteurs de votre terroir que le Seigneur vous a légué, et qui vous a appris la belle vie.
En conclusion :
2 hommes qui se situent aux antipodes de notre échiquier du vin : Marcel Richaud de Cairanne et Georges Duboeuf de Romanèche-Thorins. Le premier, précurseur d’un retour à des pratiques précautionneuses, fut longtemps moqué par ses pairs avant de se retrouver aujourd’hui inscrit sur les tablettes des meilleures maisons ; le second, père du Beaujolais-Nouveau, encensé, révéré, cité en exemple par le Gotha de notre France vineuse comme le porte-drapeau d’une France conquérante et sûre d’elle-même, se voit depuis quelques années vilipendé, caillaissé, stigmatisé comme étant l’auteur de tous les maux du Grand Corps Malade...
9 décembre 2010
Marcel Richaud&Georges Duboeuf sur le divan : le vin français en analyse ICI
Au revoir monsieur Georges…