9 octobre 2006
La Vigne arrachée
Cette vigne avait un âge dont nul ne se souvenait. Chaque année, depuis qu'il avait conscience des choses, Driot avait taillé la vigne, biné la vigne, cueilli le raisin de la vigne, bu le vin de la vigne. Et elle mourait. Chaque fois que, sur le pivot d'une racine, il donnait le coup de grâce, qui tranchait la vie définitivement, il éprouvait une peine; chaque fois que, par la chevelure depuis deux ans inculte, il empoignait ce bois inutile et le jetait sur le tas que formaient les autres souches arrachées, il haussait les épaules, de dépit et de rage. Mortes les veines cachées par où montait pour tous la joie du vin nouveau ! Mortes les branches mères que le poids des grappes inclinait, dont le pampre ruisselait à terre et traînait comme une robe d'or ! Jamais plus la fleur de la vigne, avec ses étoiles pâles et ses gouttes de miel, n'attirerait les moucherons d'été, et ne répandrait dans la campagne et jusqu'à la Fromentière son parfum de réséda ! Jamais les enfants de la métairie, ceux qui viendraient, ne passeraient la main par les trous de la haie pour saisir les grappes du bord ! Jamais plus les femmes n'emporteraient les hottées de vendange ! Le vin, d'ici longtemps serait plus rare à la ferme, et ne serait plus de "chez nous". Quelque chose de familial, une richesse héréditaire et sacrée périssait avec la vigne, servante ancienne et fidèle des Lumineau. La suite ICI
La revue de presse de la Mission Agrobiosciences-INRAE du 13 janvier 2020 s’interroge :
Foncier agricole : comment reprendre terre ?
La question était déjà sensible à plus d’un titre.
Comme de nombreux autres pays d’Europe, la France va connaître d’ici 2030 un profond renouvellement de sa population agricole, un tiers des actifs étant appelé à faire valoir son droit à la retraite.
Reste que le problème est connu de longue date, le renouvellement des générations se heurte, entre autres choses, à un défaut d’accès au foncier.
Difficile, pour un nouveau venu qui désire s’installer en dehors de toute transmission de l’exploitation familiale, de trouver des terres disponibles à un prix accessible, dans un système qui tend à se financiariser de plus en plus. Sans compter qu’avec l’artificialisation croissante des terres agricoles, les surfaces exploitables se réduisent d’année en année. En 2019, le sujet a pris une dimension capitale, devenant désormais un enjeu de souveraineté alimentaire hexagonale et de lutte contre le changement climatique.
Peau de chagrin
D’abord il y a les chiffres, publiés en mai dernier par la FNSafer et commentés par son président Emmanuel Hyest. Depuis maintenant près de quinze ans, 50 000 à 60 000 hectares de terres agricoles changent d’usage chaque année. « Tous les cinq ans, cela représente la surface moyenne des terres arables d’un département » déclarait ce dernier à plusieurs médias. Dit autrement, « 18% du territoire [français] sera bientôt artificialisé » selon les données éditées par l’IDDRI (1) et reprises par Ouest France.
La conséquence ?
La pression qui s’opère sur le foncier agricole obère toujours un peu plus l’installation des nouvelles générations et, à travers elle, notre libre-arbitre quant à nos façons de nous nourrir. Tel est le cri d’alarme lancé par Ouest France dans son édition du 20 décembre dernier. Le quotidien s’émeut du fait que « les terres agricoles indispensables pour assurer [la] souveraineté alimentaire (…) disparaissent sous des couches de béton ».
La question de la puissance productive de l’hexagone n’est pas le seul facteur d’inquiétude. Sont également sur la brèche le maintien de la biodiversité et notre capacité à lutter contre le changement climatique. Auditionnées dans le cadre d’une mission d’information sur le foncier agricole (voir ci-après), Valérie Masson-Delmotte et Nathalie de Noblet-Ducoudré, coauteures d’un article dans le dernier rapport du GIEC, expliquaient que « mieux gérer les terres agricoles, faire une plus grande place à l’agroécologie, c’est se donner les moyens d’atténuer les effets du changement climatique ».
Offensive au Palais Bourbon
La question agite fortement certains élus de l’Assemblée Nationale. Le 4 décembre dernier, le député Dominique Potier présentait le fruit de la réflexion de la mission d’information parlementaire créée sur le sujet. Riche de près de 200 pages, le rapport se clôt sur quinze propositions. Parmi elles, la création d’un « livret vert, collectant l’épargne sur le modèle du Livret A » et qui aurait pour vocation, « outre le renouvellement des générations, [de] financer des investissements utiles à la transition agroécologique (…) ». Autre suggestion glissée par les députés, « inscrire le sol [dans le] code de l’environnement afin qu’il soit reconnu élément du patrimoine commun de la Nation, à l’instar des espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins ». Le rapport s’attaque également à la question de l’artificialisation en proposant de créer « un principe supérieur de "neutralité" en termes de dégradation des terres ». Autant de jalons d’ores et déjà plantés en vue de la future loi sur le foncier agricole. Souhaitée par beaucoup, annoncée par le président Emmanuel Macron lors du dernier salon de l’agriculture, sa mise à l’agenda législative n’interviendra pourtant pas avant 2021.
Artificialisation : une clef de sols
Peut-on tendre vers le zéro artificialisation nette ?
Comme le rappelle le Journal de l’Environnement, plusieurs organismes se sont essayés à l’exercice. Après le Comité pour l’économie verte et France Stratégies, c’est le Conseil général au développement durable (CGDD) qui a rendu sa copie le 17 décembre dernier. Dans cette étude prospective, il esquisse cinq scénarios pour stopper l’artificialisation des terres.
Ses principaux leviers ?
Réduire le nombre de logements vacants et accroître la densité des logements bâtis. Seul hic soulevé par le JDE, « l’objectif [du zéro artificalisation] n’est atteint qu’en 2050 ». Un horizon quelque peu distant au regard des enjeux.
Mettre au pas les règles d’urbanisme pour mieux préserver les espaces agricoles, c’est ce que suggère le président de la FNSafer, qui en appelle à une rupture dans notre conception du développement : « Il y a de plus en plus de prises de conscience qu’il faut absolument protéger le foncier agricole. Mais beaucoup d’élus pensent encore que le développement passe par une consommation de terres agricoles et de la construction » (Terre-net). Première victime de ce changement de conception à l’œuvre, le projet Europacity, finalement abandonné en novembre dernier.
La friche, chiche !
Autre piste explorée par nombre d’acteurs, la remise en culture des friches. Si, en métropole, le sujet est encore balbutiant, plusieurs départements de l’Outre-Mer ont appliqué la procédure dite des « terres incultes ». Inscrite dans le code rural, celle-ci permet à une personne physique ou morale « d’exploiter une parcelle susceptible d’une mise en valeur agricole ou pastorale et inculte ou manifestement sous-exploitée depuis au moins trois ans ». En Guadeloupe, le conseil départemental s’est saisi de la question et envisage d’appliquer cette procédure (France-Antilles). A la Réunion, département pionnier en la matière, le système est d’ores et déjà en place depuis une dizaine d’années, où il a permis de stabiliser la surface agricole utile, malgré l’expansion urbaine.
Les friches ont de l’avenir, c’est une certitude, y compris en métropole. Souvenez-vous, on vous en parlait déjà en 2017, dans un précédent dossier de Sesame.
SOURCES
La France continue à gaspiller ses terres agricoles Ouest France, 20 décembre 2019.
Rapport d’information n°1460 déposé par Mme Anne-Laurence PETEL ET M. Dominique POTIER, 5 décembre 2019.
Zéro artificialisation nette : le CGDD propose sa trajectoire Journal de l’Environnement, 17 décembre 2019.
La régulation française, un atout compétitif à préserver Terre-net, 10 décembre 2019.
L’artificialisation et la financiarisation des terres agricoles s’intensifient Terre-net, 24 mai 2019.
Le Département prend la main sur le foncier agricole France Antilles, 13 décembre 2019.
Code rural ChapitreV
Dossier de presse Terres incultes, DRAAF Réunion, avril 2014.
Lire aussi le dossier de sesame "Artificialisation des sols, une notion à creuser"