Ce fut mon quartier lorsque, en 1975, revenant d’Algérie, j’ai posé notre sac au 60 rue Mazarine, dans un minuscule appartement de 30 m2, situé juste au-dessus des éditions Gründ. C’était encore un village, le bougnat, le boulanger « je suis parti porter le pain à madame Boudue », la voisine pâtissière, les facéties des élèves des Beaux-Arts, la mamie concierge de la rue Guénégaud qui allait chercher notre fille à l’école élémentaire du Jardinet, les commerçants de la rue de Buci, la poissonnerie de la rue de Seine devenue depuis la Boissonnerie, le boucher rond et rubicond affichant sa caricature par Wolinski, aller au boulot rue Barbet de Jouy à pied, on se saluait, on papotait et puis…
Et puis, un à un les commerces de bouche laissèrent la place aux galeristes, aux marchands de fringues, aux popotes pour touristes, les appartements passèrent entre les mains de fortunés du Golfe ou de la France-Afrique, les futurs bobos allaient planter leur tente dans les quartiers populaires, Paris petit à petit changeait de visage.
Nous y avons vécu 3 ans, à 3 c’était étroit, bruyant : sous nos fenêtres les taxis diésel ronronnaient autour de minuit pour embarquer la clientèle de notre voisin l’Alcazar, mais ce quartier m’a donné le goût de Paris.
Alors, devenu blogueur j’ai écrit le 21 janvier 2012
Le BEAT HOTEL, 9 rue Gît-le-Cœur, à l’époque où Paris était un endroit exotique, William Burroughs et Allen Ginsberg y ont vécu
9 rue Gît-le-Cœur, adresse légendaire comme « l’hôtel Chelsea à New-York ou le Château Marmont à Hollywood : ce sont des adresses de la bohème à travers le monde. Il y en eut d’autres : le Mills Hotel et le Albert à New-York, le Swiss American et l’hôtel Wentley à San-Francisco ou le Tropicana Motel à Hollywood. C’était des endroits où artistes et poètes vivaient, des adresses citées dans des poèmes, entrevues dans d’obscurs films d’avant-garde, utilisées comme titres d’immenses peintures abstraites en dripping, comme adresses de substitution sur les magazines de poésie ronéotypés, ou suggestions de logement griffonnées sur un bout de papier au cas où l’on s’aventurait hors du Royaume-Uni… »
« Paris était un endroit exotique à l’époque. Il y avait des bars qui restaient ouverts même après les vingt-deux heures réglementaires à ce moment-là en Angleterre. Les cigarettes françaises étaient plus fortes et plus parfumées ; il y avait des places de première et de seconde classe dans le métro. On écoutait stupéfaits, la description des toilettes à la turque, des pissotières à ciel ouvert et des dames pipi. Les voyageurs nous parlaient des bistrots d’étudiants et des boîtes de jazz à l’ambiance décontracte ; à Londres il n’y avait qu’une seule boîte de jazz – le Ronnie Scott’s – et les prix y étaient prohibitifs. Ils nous parlaient de sexe facile et des drogues accessibles, et même si nous savions qu’ils exagéraient sûrement, ça semblait bien plus intéressant que la vie en Grande-Bretagne »
L’hôtel n’avait pas de nom « au-dessus de la porte de gauche il y avait une enseigne « HÔTEL » et au-dessus de la porte en verre à l’entrée du café « CAFÉ VINS LIQUEURS », et cela paraissait suffisant. » Sur la porte de verre « J.B. Rachou, était peint d’une écriture penchée, à l’ancienne… »
La chronique ICI
« CAFÉ VINS LIQUEURS », c’était fléché, naturel, à quelques encablures de la rue Gît-le-Cœur, l’ami Emmanuel Giraud, a ouvert un bouiboui (pour moi c’est une appellation valorisante) de charme et de saveur, à l’enseigne Augustin, marchand de vins, au 26 rue des Grands Augustins, normal ma pomme, prénommé Jacques, je crèche boulevard Saint-Jacques.
Notre homme, sanglé dans un seyant tablier de cuir, taulier maintenant prénommé Augustin, marchand de vins.
Dimanche donc, je dévalais le boulevard Saint-Michel qui n’est plus le Boul’mich mais une artère sans âme, puis j’enfilais la rue Saint-André des Arts, croisait l’embouchure de la rue Gît-le-Cœur en pensant à l’histoire d’ « un Américain qui pisse »
« C’est aussi rue Gît-le-Cœur que la célèbre arrestation de e.e cummings (Edward Estlin Cummings) eut lieu. À trois heures du matin, en juillet 1923, John Dos Passos, Gilbert Seldes et cummings se dirigeaient vers la « boîte à calvados de la rue Gît-le-Cœur ». Quand cummings s’arrêta pour uriner contre un mur, « toute une phalange de gendarmes* » apparut. Il fut arrêté et emmené au commissariat du Quai des Grands Augustins, où on le désigna comme « un Américain qui pisse », et on lui demanda de revenir le lendemain matin pour la lecture de l’acte d’accusation. Seldes téléphona à son ami l’écrivain Paul Morand, ministre des Affaires Étrangères*, qui fit tomber les charges. Ils n’en informèrent pas cummings qui se présenta au commissariat le lendemain. Il fut congédié, et lorsqu’il sortit, il se trouva face à ses amis qui portaient des pancartes sur lesquelles était écrit : « Remise de peine pour le Pisseur Américain ». cummings fut profondément touché par cet élan de solidarité, jusqu’à ce qu’il apprît que leurs protestations n’étaient qu’une vaste plaisanterie. »
*Des hirondelles plutôt que des gendarmes qui exercent leur talent à la campagne
*Morand était diplomate et pas Ministre des AF
Pourquoi allais-je chez Augustin marchand de vins à la tombée de la nuit ?
« Pâté en croûte is the new Galette des rois ! » disait Churchill...
Venez rencontrer Marion Sonier et Yohan Lastre, champion du monde de Pâté en croûte, dimanche 19 janvier de 15h à 18h chez Augustin Marchand d’Vins, pour une causerie gourmande autour de cette spécialité baroque et charcutière.
À la carte ce jour-là : un exceptionnel pâté en croûte « sur mesure » imaginé par Yohan Lastre spécialement pour Augustin : gibiers et alcool de bourgeons de sapin !
15 juin 2012
Supplique à Emmanuel Giraud anthologiste facétieux du pâté en croûte : et si nous ressuscitions en grandes pompes fuchsia Les Frères de la Croûte ? ICI
Cher Emmanuel,
L’amer présida à ma première rencontre avec tes lignes ICI. Tu revenais d’un séjour en Italie, pensionnaire à l’Académie de France à Rome, la fascinante Villa Médicis dans son écrin de de pins, de cyprès et de chênes verts, sur le mont Pincio et je t’enviais.
[…]
Mais, pour en finir avec la croûte, j’avoue que le summum de la croûte, reste que pour moi, qui me pique d’être amateur de peinture, le tableau du peintre du dimanche : une croûte ! Entre toutes les œuvres kitch la croûte bien léchée, peinte, me procure une profonde jouissance proche de l’épectase forme ultime et radicale de la petite mort.
Reste, cher Emmanuel, après avoir apaisé ma faim spirituelle avec ta superbe et érudite Anthologie fabuleuse, fallacieuse et facétieuse du pâté en croûte, que je recommande à mes lecteurs ICI à me donner la satiété de ton pâté en croûte. Je suis prêt à tout pour me voir oindre des derniers sacrements charcutiers afin d’entrer, du moins je l’espère, dans le cercle des initiés des Frères de la Croûte, dont je te rappelle tu seras le Grand Boucanier.
Dans cette attente sereine, reçois, Emmanuel, ma Profession de foie, et ma foi inébranlable en toutes les cochonneries de la terre.
Un Taulier repenti de son indifférence pour la pâte et la farce…
Accompagné de mon cher Shaun le mouton, après avoir garé mon destrier électrifié au bord du trottoir, j’entrais à pas de loup, j’étais dans mes petits souliers dans l’antre d’Augustin marchand de vins.
En effet, étant plus pied de cochon nature que pâté en croûte, goûtant assez peu les championnats de ceci et de cela, je me disais dans ma petite Ford d’intérieur : « Tu es un imposteur mon coco… que viens-tu faire sur ce bateau ? Assieds-toi et tais-toi ! »
Ce que je fis.
Augustin marchand de vins nous conta l’histoire d’un charcutier corse vegan tirée de son opus Anthologie fabuleuse, fallacieuse et facétieuse du pâté en croûte
Et puis, le jaja nu aidant, la glace se rompit sans pic… J’écoutais, j’étais tout ouïe, Marion Sonier et Yohan Lastre, des gens charmants, investis, parlaient de leur métier sans afféteries.
Je goûtais une bouchée de leur pâté en croûte.
J’appréciais.
Mais, j’osais avouer que ma becquée avait évité la gelée…
Qu’avais-je dis-là, Marion Sonier se lança, avec fougue et passion, dans un plaidoyer pour la gelée de la maison Lastre, pourfendant les gelées industrielles aussi molles que les montres de Salvador Dali.
Je m’inclinais face à la conviction de Marion, goûtais, avouais que mes préventions chutaient, et qu’il ne me restait plus qu’à me rendre à vélo au 188 rue de Grenelle où la maison Lastre, hormis ses pâtés en croûte, concocte un boudin noir sans chaudin…
Lorsque je saluais la compagnie, ce n’était donc qu’un au revoir…
Pour mes fidèles lecteurs, certains sont parisiens, d’autres parfois de passage dans notre ville capitale bien chaude en ce temps de défilés divers, je recommande chaudement Augustin Marchand d'Vins 26 Rue des Grands Augustins, 75006 Paris. ICI
C’est une bonne maison, j’y ai dîné en belle compagnie, c’est raffiné, le jaja qui pue y est à l’honneur, Augustin est attentionné… et puis il y a, comme je suis un 68 hard non révisé, une brassée de souvenirs à ma portée…
« Un hôtel de classe 13, la plus basse sur le marché, c’est-à-dire qu’il n’avait qu’à satisfaire au minimum légal des normes de santé et de sécurité et cela suffisait (…) chaque chambre était alimentée par 40watts, juste assez pour alimenter une faible ampoule de 5 watts et une radio ou un tourne-disque(…) Les 42 chambres n’avaient ni tapis, ni téléphones. Certaines étaient très sombres parce que leurs fenêtres donnaient sur la cage d’escalier (…) Chaque palier avait des chiottes à la turque. Des journaux déchirés, accrochés à un clou, servaient de papier toilette (…) Il y avait une baignoire au rez-de-chaussée mais, pour l’utiliser, il fallait prévenir à l’avance pour que l’eau soit chauffée. Bien entendu, il fallait payer un petit supplément pour ce service. »
Peter Orlovsky & Allen Ginsberg, their room at 9 rue Git-le-Coeur, Paris December 1957. c. Harold Chapman]