La France est un vieux pays conservateur, figé, englué, qui s’offre de temps à autre des poussées de fièvre, le pays du changement dans la continuité selon le déplumé de Chamalières, le pays des réformes repoussées, le pays d’une gauche rassemblée sous la houlette de Mitterrand, homme de droite, l’impromptu de mai 81, grand malentendu vite écourté en 1983, le ver était déjà dans le fruit pour que le petit syndic de faillite François Hollande la fasse se désintégrer, le pays d’une droite la plus bête du monde, de De Gaulle à Christian Jacob en passant par Sarkozy, un gouffre, une droite qui a tenu le manche pendant des décennies, une droite qui a éclaté grâce à Fillon-Macron.
François Fillon, le « petit chose » de Sarko, sortit vainqueur d’une primaire promise à Juppé, le meilleur d’entre-nous selon le défunt Chirac. Un boulevard s’offrait à lui.
Une république naufragée. Une France menacée. Des Français épuisés. Une économie asphyxiée. Une Europe déboussolée. Depuis trois ans, François Fillon labourait le terrain électoral en brandissant ces thèmes. «Ce que j’entends: le ras-le-bol. Ce que je vois: la faillite», nous avait-il lancés lors d’une rencontre avec quelques journalistes, à l’automne 2015, lors de la sortie de son livre «Faire» (Ed. Albin Michel).
De tous les candidats déclarés aux primaires de la droite française – Nicolas Sarkozy ne l’était pas encore – l’ancien premier ministre était celui qui avait le plus «bossé». «Quand vos compatriotes accusent l’Etat de les faire ch… en plaçant des radars routiers dans les descentes à seule fin de recettes fiscales, il faut être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que ce pays va dans le mur», avait-il poursuivi devant nous. Et d’ajouter: «Je veux démolir ce mur et arrêter d’installer ces radars qui emm… les Français».
Le goût de la fraternité catholique
Ainsi va François Fillon, 62 ans, vainqueur incontesté de la primaire de la droite et désormais favori de la course à l’Elysée, en avril-mai 2017. Un candidat convaincu qu’il a mieux compris la France que ses adversaires, parce qu’il a su écouter ce que les autres ignorent. Illustration? Le sort des chrétiens d’Orient, martyrisés par les islamistes en Syrie et en Irak. Tous ses concurrents ont eu des mots de compassion pour cette minorité religieuse forcée à l’exil. Lui est allé sur place, et a perçu l’écho hexagonal à leur tragédie lointaine: «Je l’ai souvent entendu dire que l’on se méprenait sur les Français explique un de ses proches. Le drame des chrétiens d’Orient a réveillé, dans de nombreuses familles provinciales et normalement conservatrices, le goût de la fraternité catholique, des églises, des échanges avec les prêtres et les évêques».
Lui-même se dit catho non pratiquant. Sa femme, galloise de confession anglicane, s’est convertie au catholicisme sans avoir pour autant «la foi du charbonnier». Fillon a néanmoins grandi politiquement à l’ombre de l’abbaye de Solesmes, dans son fief de Sablé-sur-Sarthe: «Il a un côté cathédrale confie son éditeur Alexandre Wickham. Il croit que les gens ont avant tout besoin de repères». La suite ICI
Et puis… il y eut Bourgi… et cette pauvre Pénélope…
Sans la déconfiture de Fillon pas de Macron, nous aurions eu Fillon et cette leçon Macron l’a retenue : il sait que son électorat est conservateur, enraciné à droite…
Laissons Fillon et Macron et revenons à mes moutons :
« Arnys et moi », de Philippe Trétiack, éditions Plein Jour, 164 p., 17 euros, je l’ai acheté en pensant aux costumes sur mesure offerts par l’avocat Robert Bourgi à François Fillon, mais pas que. Souvenir de Serge Moati dans son émission Ripostes, en direct à 17h45, sur France 5 d'octobre 1999 à juin 2009 avec sa collection de vestes Forestière ; aussi à Henri Nallet, le Sphinx de l’Élysée, en voie de gentrification, après avoir été un supporter de Coluche candidat à la Présidentielle de 81 et grand zélateur de l’extrême-gauche paysanne à l’INRA (le célèbre passage Tenaille dans le 14e avec ses compères Michel Gervais et Claude Servolin). Et puis aussi mon goût pour les belles étoffes, les chemises surtout, m’ont fait pousser, à la différence de l’auteur, les portes du 14, rue de Sèvres, sans jamais rien acheter. C’était sur mon chemin lorsque je me rendais à pied, puis à vélo, au Ministère de l’Agriculture, mais outre les prix corsés, l’élégance surannée d’Arnys ne m’a jamais emballée, je trouvais ça trop. J’étais Old England, Hilditch & Key, Marcel Lassance, Victoire et Adolphe Laffont pour les vestes de charpentier noire. Et puis, enfin, l’intuition que ce petit livre allait me faire entrer dans un monde disparu.
Je n’ai pas été déçu.
Extraits de quelques critiques : Thierry Gandillot Les Échos, Nathalie Crom Télérama et le blog de Gilles Pudlowski qui avec Christian Millau et Jean-Luc Petitrenaud en était.
« Le livre de Philippe Trétiack, ancien grand reporter à Elle, drôle et informé, fourmille d'anecdotes savoureuses. Mais surtout, il analyse avec finesse - un peu à la manière du Roland Barthes des Mythologies - comment les Grimbert ont bâti leur réputation et leur fortune, détaille les stratégies marketing, psychosociales voire éditoriales, qui leur ont permis de toujours rester dans l'air du temps. Mais Trétiack ne s'arrête pas à Sèvres-Babylone, il nous emmène également rue du Faubourg Saint-Antoine dans le sillage de ses deux grands-pères juifs d'origine ukraino-russo-roumaine. Tandis que la famille Grimbert grimpe quatre à quatre les barreaux de l'échelle sociale, le commerce des Trétiack fait du sur-place du côté de la Bastille. La maman, qui tient la boutique, n'a pas la fibre commerçante. »
« Philippe Trétiack, qui avoue en liminaire n’avoir jamais fréquenté Arnys, s’est bien rattrapé depuis la fermeture de la maison, enquêtant avec minutie, interrogeant les frères Grimbert sur leur passé, leurs fréquentations, leurs habitués, leurs manies, leurs passions. On y a apprend une foule de petites choses que l’on ne savait pas forcément. Cette dynastie de juifs ukrainiens, devenus les plus british des tailleurs parisiens de la rive gauche, penchaient à gauche, étaient férus de belles lettres, habillaient les gens de medias et les autres avec le même bel esprit de tolérance et d’affection, sans affectation. »
« Comme Jankel Grünberg, le fondateur de la dynastie des Grimbert, les grands-parents ashkénazes de l’auteur sont arrivés en France à l’aube du XXe siècle, fuyant les pogroms. Et comme lui, c’est dans le commerce d’habillement qu’ils se sont lancés à Paris. Mais pas avec le même succès : alors que, sur la rive gauche, la chic boutique des Grimbert prospérait chaque décennie davantage, aimantant les élites tant intellectuelles qu’artistiques et politiques (de Roland Barthes à Orson Welles, de Claude Sautet à Pierre Bergé…) et devenant une authentique institution, dans celle des Trétiack, installée dans le populaire faubourg Saint-Antoine, Pauline, la mère de l’écrivain, ne vendit jamais que des chemisiers bon marché achetés chez les grossistes du Sentier et en conçut un désappointement durable. Cette implication généalogique et autobiographique enveloppe de mélancolie le récit enlevé, passionnant, fourmillant de détails et d’humour, dans lequel Philippe Trétiack retrace la saga de la maison Arnys, en sonde l’esprit et le génie — une certaine façon de sentir et d’accompagner les mutations de la société. S’appuyant sur cette histoire, et celle des siens, pour méditer discrètement sur les générations et le poids de l’héritage immatériel qui se transmet de l’une à l’autre. »
« Arnys était un club masculin, un monde à part, une parenthèse. Une fois le seuil franchi, les espaces évoquaient pourtant moins Buckingham Palace qu’une France prérévolutionnaire (…) Le détachement y était la norme. Qui pénétrait dans ces lieux vivait quelques instants d’apnée, à l’écart de la furie du monde »
Mes petits soulignés au crayon de papier :
« Il est fascinant de voir jusqu’où les immigrés en ce début de siècle poussaient leur amour de la France. Il fallait que les intérieurs de leurs logements aient de l’allure et cette distinction mobilière avait un nom : le classique. »
« La famille loue donc un local rue de Sèvres, là où s’élevait un couvent, au coin de l’impasse Récamier.
À la suite de l’Inventaire consécutif à la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 et à l’interdiction des congrégations religieuses, nombre de terrains et d’immeubles du faubourg Saint-Germain ont été mis en vente. Un acheteur a fait main basse sur le pâté de maison. »
« Le nouveau propriétaire lotit tout le pâté de maisons jusqu’à la rue de la Chaise, mais se voit puni par les religieux. Dans la foulée de son rachat, il est excommunié ! Par mesure d’expiation sa veuve ira aux vêpres tous les soirs. »
« Dans le silence de la paisible rue de Sèvres, un bail commercial est signé en 1933 et voilà que, un an plus tard, sous l’impulsion du gouvernement Laval, une baisse des salaires et des loyers est imposée. Celui d’Arnys est raboté à la demande des Grinbert. Les propriétaires cèdent mais rongent leur frein. À chaque renouvellement de bail, ils reprendront la procédure, accumulant les procès perdus. Dura Lex. La France pays du droit, décidément. »
« En ce début des années trente, la rive gauche de Paris conserve de faux airs de campagne. Dans les hôtels particuliers enclos de jardins privés, les rejetons des familles nobles résistent encore à la déferlante de la modernité mais leur combat est sans avenir.»
« Déjà Victor Hugo notait dans Les Misérables : « Le faubourg Saint-Germain d’à présent sent le fagot. »
« À l’époque encore, on s’habille rive droite, où règnent quelques rares maisons de couture, Charvet, Sulka* et Hilditch pour les hommes, Chanel, Dior, Lanvin, Jacques Fath pour les femmes. La rive gauche reste la province. »
Note du Taulier : le tout nouvel Office des Vins de Table créé en 1976 s’installa au-dessus de chez Sulka rue de Rivoli, à quelques encablures de la Place Vendôme. L’INAO créchait avenue des Champs Élysées. L’État vivait sur un grand pied : je le sais c’est moi qui réglait le loyer du 232 rue de Rivoli à la maison…, la Cour des Comptes poussait des cris d’orfraies en pure perte comme d’habitude. Sulka fut racheté par Jacques Séguéla pour y installer sa jeune et nouvelle épouse.
« L’élégance du jour est au goût anglais (…) Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment Agatha Christie représentait dans les années trente son détective, le Belge Hercule Poirot. Toujours engoncé dans une succession de gilets et de vestes, étouffé par le tissu. Une camisole. Nous avons oublié ce que furent les bouleversements apportés par la mode anglaise dans notre mode de vie. »
« En 1966, Michel et Jean Grimbert, les fils de Léon, reprennent l’affaire. »
Jean Grimbert. Photo Andreas Licht.
Michel Grimbert, by The Sartorialist
Ils héritent « … d’une affaire qui a déjà de la surface. À ‘origine de celle-ci, il y a la veste, la Forestière, devenue le « basique » d’Arnys. Sa longévité va la muer en îcone. L’icône d’Arnys. Du style Arnys. »
« La Forestière lui fut apportée en 1947 par l’architecte Le Corbusier en personne. Vérité ou légende ? »
« À cette ampleur d’épaules qui fit le bonheur de quelques sommités enveloppées (sans vouloir offusquer personne – Serge Moati, Jean-Claude Carrière…), il faut ajouter les manches retroussées façon mousquetaire qui donnent à l’heureux propriétaire de cette pièce désormais entrée au panthéon de la couture française le soin de laisser paraître le tissu d’une extravagante doublure de couleur jonquille, cerise ou violette. »
« La culture générale, que symbolisait un modèle intitulé Sorbonne, était une mine que les Grimbert ne cessaient d’exploiter et l’on n’est point étonné d’entendre aujourd’hui des clients rappeler qu’ils passaient chez Arnys comme ils passaient à l’Écume des pages, la librairie du boulevard Saint-Germain. À sa manière, Arnys était une librairie dont les volumes garnissaient les cintres. »
« Tout ce qu’Arnys produisait était sourcé chez les meilleurs artisans (…) Ils étaient adeptes des circuits longs, ce qui n’est plus du tout à la mode. Ils choisissaient des fils, faisaient fabriquer des tissus, puis assuraient le façonnage des pièces. Ils composaient ensuite les doublures. Indiscutablement, ils surent allier l’utile à l’accessoire. »
Arnys « … refuse aussi de vendre des cravates blanches car elles symbolisent le pouvoir honni de Pierre Laval. »
« Le sur-mesure est tyrannique. Pas moins de soixante heures de travail sont nécessaires à la réalisation d’une veste. Quand on sait, à titre de comparaison, qu’un costume de chez Brioni n’en exige qu’une quinzaine et que la fabrication d’un costume ordinaire, de chez Mario Dessuti par exemple, est bouclée en quinze ou vingt minutes, on mesure, c’est le cas de le dire, l’investissement du haut de gamme. »
« Serge
Moati fait sensation dans ses prestations télévisées avec ses innombrables vestes Forestière. Il en possède dix-neuf, en coutil de coton noir, puis en lin, en cachemire, qu’il aligne aujourd’hui dans son vestiaire. Les manches retroussées de ses vestes laissent paraître des doublures couleur safran, violine, pêche…et, tandis qu’il agite ses mains comme un prestidigitateur, dessinant des volutes dans l’espace sous le nez de son invité, les doublures éclaboussent l’écran et même le crèvent. Grosse sensation ! »
« La visite de François Fillon, alors Premier Ministre, au président Nicolas Sarkozy en vacances au fort de Brégançon, en est un accélérateur. Soudain les sunlights arrosent la maison Arnys. Fillon porte sa fameuse Forestière bleue, sans col, sans cravate. « Le 20 août 2000* restera dans l’Histoire, écrit Le Nouvel Observateur. Car c’est le jour où un vêtement est devenu, pour les analystes politiques, aussi signifiant qu’une petite phrase. » Les stocks de Forestière d’Arnys sont dévalisés. »
NDLR. Il s’agit du 20 août 2010, simple erreur typographique.
« … le premier agrégé de médecine d’origine asiatique, ancien condisciple à la faculté de Léon Grimbert, alors aux commandes d’Arnys, s’enquiert d’un lieu neutre où il pourrait organiser une réunion. La salle du premier étage, qui accueillera plus tard l’atelier sur-mesure, est alors inutilisée. Elle est mise à disposition. C’est ainsi qu’un beau jour de 1948 ou 1949 les membres du futur gouvernement révolutionnaire du Vietnam du Nord s’y réunissent ? Pham Van Dông, qui sera premier ministre de la République démocratique du Vietnam, est présent, ainsi que, peut-être (légende, toujours légende), Hô Chi Minh et le général Vô Nguyên Giap. »
« À l’annonce de la fermeture de la boutique*, les sanglots des clients sont devenus des torrents de larmes. À la file, les historiques entraient pour se lamenter, si bien que les frères Grimbert ont pris le parti de les arrêter au plus vite. « Ah non, s’écriaient-ils, pas de pleurs, pas encore ! » Mais c’était trop demander à des zélateurs en perte de repères. Serge Moati n’hésite pas à parler de « deuil ».
*en 2012, racheté par LVMH et avalé par la marque Berluti