Dès ma prime jeunesse, moi qui n’est jamais connu la guerre, mon grand-père revenu de la boucherie de Verdun, mon père blessé par éclat d’obus, mon frère sur la ligne Morice en Algérie, ont tenus des armes, ils n’en ont jamais parlé, je me suis enfoui dans les livres d’Histoire pour tenter de comprendre la folie des hommes, ce siècle meurtrier, l’holocauste, et très vite la guerre civile espagnole m’apparut comme la mère de ces atrocités.
Choqué par la guerre, le Catalan Antoni Campañà avait toujours refusé de publier ses témoignages photographiques du conflit d’il y a quatre-vingt ans. Elles ont finalement été retrouvées au fond d’un garage d’une maison de famille.
Selon le quotidien catalan La Vanguardia, il s’agit « du dernier grand trésor photographique de la guerre civile espagnole » (1936-1939). Lors de la démolition d’une maison ayant appartenu à Antoni Campañà sont apparues, au fond du garage, deux boîtes rouges contenant plus de 5 000 photos, la plupart des négatifs, mais également plusieurs centaines de tirages.
Des clichés traumatisants
Le photographe, mort en 1989, avait publié quelques photos du conflit à Barcelone, notamment pour La Vanguardia, puis avait cessé. « Il était républicain, démocrate et croyant, écrit le site El Diario.es. Mais l’expérience traumatisante du conflit ainsi que l’utilisation [à des fins de propagande] que faisaient les deux camps de ses photos ont fait qu’il a préféré les oublier. »
« Il n’a jamais voulu que l’on apprenne qu’il avait fait de photos de la guerre », témoigne son fils Antoni dans La Vanguardia.
Aujourd’hui une sélection de ces photos “cachées” vient de faire l’objet d’un livre, en catalan, publié par l’éditeur barcelonais Comanegra : La Capsa Vermella (“La Boîte rouge”). Les photos ont été sélectionnées, expliquées et contextualisées par le journaliste Plàcid Garcia-Planas, l’historien Arnau Gonzàlez i Vilalta et le photographe David Ramos.
« Mais pourquoi, alors qu’Antoni Campañà ne voulait plus entendre parler de ces photos, ne les a-t-il pas détruites ? » s’interroge La Vanguardia. Le quotidien évoque une explication possible :
Même si elles étaient pleines de tristesse et d’amertume, les détruire aurait signifié détruire son regard. Se détruire lui-même.
La suite des photos ICI
« Ces yeux furent pour nous la première annonce des nombreuses exactions commises pendant la guerre civile. Des injustices, des assassinats, une ribambelle de cruautés qui se déchaînèrent et firent remonter en surface la part la plus abjecte de l’être humain. Les pires choses imaginables se produisirent alors. Des folies collectives et des bassesses individuelles d’une férocité déchirante. On tua au nom de la révolution, de la religion, de l’ordre nouveau fasciste de droite, du surprenant totalitarisme de gauche. On tua au nom de tout, de n’importe quoi et de rien du tout. Je vais vous dire une chose : ce fut une insulte à toutes les valeurs et à tous les droits de l’homme. Oui, il y eut de l’infamie des deux côtés. Aussi bien dans mon camp que dans l’autre. Je vous assure que oui. N’allez pas croire que j’ai perdu la mémoire et que je n’en ai pas honte. Vous vous tromperiez cruellement à votre tour… »
« … je vais être sincère avec vous : jamais jusqu’à aujourd’hui, je n’ai entendu la voix des fascistes qui ont gouverné l’Espagne pendant quarante ans par le sang de cette guerre demander pardon pour leur responsabilité dans tous ces massacres, qui se prolongèrent longtemps après la victoire. Jamais. Et je n’ai jamais entendu le moindre regret des catholiques non plus, ni une mise au point critique des communistes, ni des républicains de telle ou telle tendance, qui furent cependant souvent responsables d’incroyables atrocités. Alors ce n’est pas moi qui vais me mettre à présent à rendre responsables les miens, les groupes libertaires de tout ce qui s’est passé. Pendant plus de soixante ans, tous les acteurs de cette époque ont transformé le mouvement anarchiste en grandiose décharge où chacun est venu déverser ses propres immondices, pour mieux les cacher. Et il faudrait que ce soit moi qui vienne maintenant y épandre mes propres remords ? Non ! Il n’en est pas question. »