Rabelais, titulaire d’un diplôme de médecine fraîchement délivré par la faculté de Montpellier, s'installa à Lyon au printemps 1532 – il vient d’être nommé médecin à l’Hôtel du Pont du Rhône (Hôtel-Dieu) – où il commit Pantagruel et Gargantua il citait la saumate dans Le Quart livre des faictz et dictz Heroïques du noble Pantagruel, paru en 1552. Il écrivait à ce propos que la recette aurait dû s'écrire summate plutôt que saumate, le mot venant du latin sumen, sumata au féminin (graisse du bas ventre en latin ; summata, graisse du porc en italien). Il rappelle aussi que les Grecs en faisaient une « vraie friandise ».
Il séjournera à Lyon jusqu’en 1535. Et y multipliera les courts séjours jusqu’en 1548.
Lyon, deuxième ville de France, compte alors près de quarante mille habitants. Ville-frontière, ville-carrefour en plein essor économique et commercial, ville royale, aussi, puisque la Cour y résidera entre 1525 et 1540, Lyon connaît alors son apogée. Le monde de l’édition, lui aussi, est en ébullition. La production imprimée lyonnaise est la première de France, avec environ deux mille cinq cents éditions au cours du premier tiers du XVIe siècle. De 1530 à 1540, Lyon fait même figure de capitale européenne de l’imprimerie. C’est dans ce contexte qu’est édité, en novembre 1532, ce qui deviendra par la suite le deuxième livre des aventures de la famille de géants inventée par Rabelais. Le premier livre, Gargantua, paraîtra en effet deux ans plus tard.
Publié sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier (anagramme de François Rabelais), Pantagruel aurait été présenté au public pour la première fois à l’occasion des foires d’automne. Remarqué pour son irréprochable correction et son élégance typographique – François Rabelais a préféré les caractères gothiques aux caractères romains, qu’il réservait à ses écrits scientifiques –, Pantagruel contient de nombreuses illustrations issues de la gravure sur bois. Son format (14 cm x 10 cm) correspond à celui qui était alors en vogue dans l’édition populaire. Quant au nombre d’exemplaires de cette première édition, il n’a sans doute pas dépassé les quelques centaines.
Concentré de cochonnailles
Près de quart siècles plus tard, en 1933, dans son livre Myrelingues* la brumeuse ou L'an 1536 à Lion sur le Rosne, Claude Le Marguet décrit la saumate comme « un fin ragout de cochon surmonté de côtelettes à l’oignon, cervelas fumés, saucissons fumants, couennes grasses, grattons de saindoux fondu, et andouillettes, caparaçonnées de moutarde fine. » Autrement dit, il ne s'agit ni plus ni moins qu'un concentré de l'essentiel des cochonnailles lyonnaises.
Marc Georgette, le patron du Petit bouchon chez Georges le revisite avec tête, pieds et queues de porc, paquets de couenne, saucisson à cuire, andouillette XXL à la moutarde, cotes à l’oignon et jarret de veau. Pour l'écrivain culinaire Yves Rouèche, en cours d'écriture d'un livre sur les recettes disparues de la gastronomie lyonnaise (et qui a sollicité le cuisinier pour cette proposition hautement condamnable), « la saumate est une véritable carte postale de la gastronomie lyonnaise à elle seule ».