« À partir de petits carnets retrouvés dans une maison abandonnée, ce livre raconte la vie quotidienne d’un hameau du Haut-Forez. Claude BENOIT à la GUILLAUME, photographe et nouveau propriétaire de la maison, a montré cette quinzaine d’agendas, tenus de 1997 à 2000, à sa voisine, Laurence Hugues, qui a bien connu Marie, la personne qui les remplissait. »
CRÉAPHIS ÉDITIONS, Collection “Passeport”,
152 pages 12€
10,5 x 15 cm, cousu broché, coins arrondis, marquage à chaud,
40 photos en bichrom
L’écrivaine a entrepris de transcrire ces textes de listes, très contemporains dans leur style, leur énoncé, leur répétition, sans affect même lorsque des morts surviennent, et de les reprendre dans sa propre écriture, au sens de repriser, comme on répare un tissu. L’écriture à deux voix, deux voix de femmes, scande l’histoire du hameau et de ses habitants. » la suite ICI
photo : Claude Benoit à la Guillaume
Marie habitait un hameau au-dessus de Noirétable, « à la frontière entre l’Auvergne et le reste du monde ».
Le cochon
Le cochon, on lui prépare de la soupe aussi mais aux choux, dans une marmite noire assez grande pour y bouillir deux ou trois enfants. On touille, ça sent le chou. C’est piquant. Il grogne, il gratte, dans sa cabane en bois. En janvier, on le tue. Les hommes l’amènent sur une place plate, ils le forcent à se coucher sur la paille. Un homme à la tête, un homme à la queue. Les autres regardent. La lame. Le cou. Il crie. Très fort. Fort.
Il ne crie plus. Le vieux range son couteau, une femme se dépêche de recueillir le sang, il faut tourner, vite, pas de caillé, pas tout de suite. On brûle les soies. Ça pue. Les femmes nettoient les boyaux. Après la merde, elles vont mettre les bras dans le sang et la graisse tout le jour. Du persil, du laurier, de l’ail, des oignons. Des choux, des carottes. Pour décorer, donner du goût.
Dehors, il neige un peu. Dedans, on sue et on rigole. À midi on mange la fricassée. Et puis on recommence. On hache, on sale, on poivre, on muscade. On boit des canons. Enfin les hommes. Les femmes boivent le café. Un sirop.
Dans le cochon tout est bon. Il y a toujours quelqu’un pour le dire. Deux à trois jours de labeur, de la graisse sur le plancher et dans les narines, des semaines de menus. Pieds paquets, pâté de foie, côtelettes, salaisons. Des grattons pour la brioche, du lard pour la soupe.
Marie met les saucisses à sécher dans la souillarde, après elle monte à la chambre. Elle dort sous cette guirlande. Au sec, au frais. Les soirs d’insomnie elle doit les compter les compter. Les jambons, on les a enterrés sous la cendre, il faut les retourner de temps en temps.
Les côtelettes, les longes et toute cette viande fraîche, on la mettait au saloir. Désormais elle va au congélateur.
Après la mort de Joseph, le premier homme à partir, Marie achète le cochon à la superette. Un demi porc, à découper, à détailler et à transformer à la maison
Après la mort du mort de son mari, elle achète la viande te les saucisses toutes prêtes, en barquettes. Après la mort du mari, quand les neveux ont tué ils apportent la fricassée, ou des côtelettes.